Présage

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La Source, plan 1.  Scène d'ouverture du film.
La Source, plan 1. Scène d'ouverture du film.

Titres des films

Mode d'emploi de la figure (mot) et abréviations


Titre Titre original Réalisation Scénario Année Pays Durée (min.)
Dernier Présage (Le) First snow Fergus Mark Fergus M. 2006 USA 100
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Autres titres de films

Mode d'emploi de la figure (mot) et abréviations


Titre Titre original Réalisation Scénario Année Pays Durée
Andreï Roublev
§.
Les présages de la Bible
Andreï Rublyov Tarkovski Andreï Tarkovski A.
Konchalovsky A.
1969 URSS 215
Femme du Boucher (La)
§. Cf. Bague
Butcher's Wife (The) Hughes Terry Litwak Ezra, Schwartz Marjorie 1991 USA 107
Mathilde

§.
« Le Plan Parfait I » La fameuse nuit

§.
« Le Plan Parfait II »
Mathilde Mimica Nina Mimica Nina 2004 Italie, Espagne, Angleterre, Allemagne 97
Pledge (The)

§. Présage de l'épluchure

Φω. 3 et 4.
Pledge (The) Penn Sean Kromolowski Jerzy, Olson-Kromolowski Mary 2001 USA 124
Source (La) Jungfrukällan (littéralement : La Source de la vierge) Bergman Ingmar Isaksson U. 1960 Suède 89
Stalker

§.
L’ordalie du Tunnel-hachoir

Stalker Tarkovski Andreï Tarkovski A.
Strougatski A. et B.
1979 URSS 161


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Photogrammes extraits des films - Analyse et liens spécifiques des films

La Source, d'Ingmar Bergman

Les 9 présages

(…) "Ulla Isaksson a emprunté l'argument (de La Source)… de la ballade de "La Fille de Töre à Vangé", elle-même tirée d'une légende suédoise du XIVème siècle. (…) La Suède, depuis plusieurs siècles, était officiellement convertie au christianisme ; mais en secret, on y vénérait toujours les anciens dieux. (…) Il est donc tout naturel que la sombre sœur adoptive de Karin s'adresse à l'ancien dieu Odin, dans sa haine envers sa sœur, mieux lotie qu'elle… Le crapaud que, dans un moment de haine, elle introduit vivant dans le pain cuit que sa sœur emporte comme viatique, est un symbole de ses mauvaises intentions, mais il symbolise aussi, par tradition, la Mort et le Diable. (…) Le vieil homme au bord du torrent est l'un des derniers païens qui sacrifient ouvertement à Odin et les restes racornis qu'il montre à la sœur adoptive sont les vestiges de son dernier sacrifice…"[1]

La crise filmique s'articule sur trois moments forts : le viol et l'assassinat de Karin, la vengeance de son père Töre, et enfin le miracle : à l'emplacement où était le corps de Karin, une source jaillit de la terre. Nous allons d'une part, voir succinctement l'acheminement de l'action jusqu'au viol, car, plusieurs présages annoncent la fin tragique de Karin, nous avons vu séparément les deux premiers :


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1er présage : le poussin

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2ème présage : l'hypothèse du "doigt pointé"

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3ème présage : le rêve de Märeta

Plan 28, Märeta la mère de Karin, insiste auprès de son époux Töre d'envoyer Frida à la place de Karin. Il lui répond: "Tu sais bien que la tradition veut que les cierges de Marie soient portés à l'église par une vierge."
_ Märeta : "J'ai fait de mauvais rêves cette nuit."

Photogramme - Présage 1 : La Source, Plan 35b.  Ingeri incorpore un crapaud dans le pain de Karin.
Photogramme - Présage 1 : La Source, Plan 35b. Ingeri incorpore un crapaud dans le pain de Karin.

Töre n'a pas voulu prendre en considération l'inquiétude et le pressentiment de Märeta. Il va se contenter d'envoyer Ingeri avec sa fille unique. Mais entre temps, Ingeri accomplit son acte diabolique :
Elle coupe un pain en deux (plan 33). Elle gratte nerveusement la mie d'une moitié du pain. Elle mange la mie et gratte l'autre moitié. Elle mange à nouveau de la mie et jette le reste. Puis, elle prend un crapaud dans un pot, le met dans une moitié du pain et le recouvre (plan 35). (Cf. Photogramme – Présage 1.)


Outre le crapaud, (…) "Animal crépusculaire et un symbole de laideur et de maladresse"[2], nous voyons dans le pain coupé en deux, une représentation symbolique des deux sœurs. En effet, elle mange la mie de la première moitié, et jette le reste de la seconde moitié. Sans parler de la valeur sacrée du pain, comme une représentation du corps du Christ.

Plan 36 : Märeta se rend dans la chambre de Karin pour qu'elle se prépare. Karin refuse. Sa mère insiste, Karin lui répond : "à condition que j'aie mon cotillon de soie jaune alors ! "

Plan 37 : Sa mère lui dit : "Allons ma petite Karin, ce n'est pas dimanche." Cependant, la mère finit par accepter, mais sa fille veut maintenant : "les jupes de dimanche et ma cape bleue. Alors je serais heureuse… toi tu le seras… Tu verras comme je serai digne à cheval… comme s'il se rendait à un pèlerinage. Je ne regarderai ni à droite, ni à gauche, seulement devant moi. Je ne penserai qu'aux cierges et à la Vierge Marie… Les bas blancs aussi, Mère… et les souliers bleus avec les perles ! Hi, hi…"

Plan 42 : Märeta fait part de son rêve une seconde fois, cette fois-ci, à l'intéressée, mais Karin non plus ne tient pas compte de ce présage. A cela s'ajoute un second aspect non moins pertinent, c'est quand Karin dit : "Je ne regarderai ni à droite, ni à gauche..." Ce qui est loin d'être le cas. Car au plan 132, lors de la rencontre avec les trois pâtres (les violeurs), l'un des pâtres jouait de la guimbarde. Au passage de Karin à cheval, ils lui sourient, ils s'arrêtent en se courbant pour la saluer et repartent. Au plan 133, Karin s'arrête. Elle leur sourit. Et elle dit au pâtre à la guimbarde : "tu as une drôle de guimbarde." Ainsi, elle n'a pas respectée ses engagements vis-à-vis de sa mère. Elle n'a pas pensée, comme elle l'a dit, "aux cierges et à la Vierge Marie." Cet aspect ressemble, au vœu pieu de l'ivrogne dans Au Hasard Balthasar de Robert Bresson, qui avait juré devant Dieu de ne plus boire. Il ne tiendra pas longtemps sa promesse et mourra étrangement peu après.


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4ème présage : le clédon de Töre

Töre vient chercher sa fille (plan 45). Il la taquine : "maintenant je conduis cette méchante jeune fille à la montagne… Et je dirai que je ne veux pas d'une fille pareille… Je la laisserai sept ans, alors elle deviendra gentille." C'est un témoignage d'une forme de divination inspirée, auquel le père n'a pas pris garde. Nous avons abordé cette question. De plus, le cas particulier des paroles prononcées d'un père à sa fille ou inversement d'une mère à son fils ou bien d'un fils à sa mère ou d'une fille à son père sous-tendent des nœuds psychologiques troublants, qu'il n'est pas de notre propos ici d'approfondir, mais qui mériterait au cinéma une étude particulière. [3]


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5ème présage : les auspicia

Nous considérons le terme "auspicia" dans son sens étymologique, les oiseaux. Nous constatons dans ce film une grande présence du thème des oiseaux. Nous l'avons vu avec la figure du poussin, Ensuite, grand moment prémonitoire :

Plan 47 : Frida dit à Simon : "C'est vraiment dommage…Oh!…que l'église soit si loin.
- Simon : "Oui, les gens comme toi auraient besoin d'un confessionnal plus proche."
- Frida : "Tu peux parler ! Toi qui es recherché. Je connais ton histoire, monsieur le philosophe."
- Simon : "Pas mal, pas mal… (il lève sa main) l'oiseau qui vole attrape de quoi se nourrir, celui qui ne bouge pas ne trouve que la mort. J'ai vu quantité de femmes et d'églises."
- Frida : "Comment étaient les églises ?"
- Simon : "Hautes comme… le ciel… Grandes ! Faites de pierres recouvertes de chaux, et non de bois… (etc.)

Ce passage annonce en fait deux moments importants : d'abord, la promesse de Töre, en repentir après sa vengeance, de construire une église près de la source, au plan 389 : "je te promets Seigneur, (…) je bâtirai une église pour expier mon péché. C'est ici que je la construirai ! De chaux et de pierres." D'autre part, le discours de Simon annonce le chant de Karin sur son chemin pour livrer les cierges, comme en écho. Un chant ayant pour thème central un oiseau :

Plan 64 : "Le petit oiseau… Vole si haut… Que le vent porte… C'est difficile quand… On est si petit… De se lancer à l'assaut… De si hautes montagnes…

Photogramme - Présage 2 : La Source, Plan 85.  Des oiseaux innocents se transforment en oiseau de proie.
Photogramme - Présage 2 : La Source, Plan 85. Des oiseaux innocents se transforment en oiseau de proie.

C'est une liaison avec la figure du poussin au plan 6 (premier présage). Cependant, dès que nous approchons du lieu sinistre du viol, les oiseaux innocents se transforment en oiseaux de proie qui crient, particulièrement près de la cabane du gardien du pont. (Cf. Photogramme - Présage 2.)


Comme aussi par exemple, au plan 83 et au plan 86. Ensuite, peu après le viol (les plans du viol correspondent du plan 177 au plan 209), et avant que les trois pâtres arrivent à la ferme de Töre, au plan 211, nous entendons une chouette qui crie dans la nuit. Il en sera de même, au plan 311.


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6ème présage : le pressentiment d'Ingeri

Les deux jeunes filles sont devant le pont, nous apercevons le gardien du pont et sa cabane, aussitôt après :

Plan 92 : Ingeri attrape le bras de Karin : "Allons nous-en! Rentrons à la maison!"
- Karin : "Mais pourquoi Ingeri? Nous allons à l'église."
- Ingeri : "Je peux y aller seule. J'expliquerai à maître Erik."
- Karin : "Pourquoi toi? Ma mère et mon père ne seront pas contents."
- Ingeri : "La forêt est sombre, je n'en peux plus." (elle pleure)
- Karin : "Ne pleure pas tant. Tu peux faire du mal à l'enfant."

Plan 93 : Le gardien s'approche, il tient le cheval d'Ingeri : "Les demoiselles ont peur de la forêt ?"
- Karin : "Je n'ai pas peur, je vais à l'église. Peut-elle se reposer un peu chez toi et attendre ? "
- Gardien : "Tu as des douleurs ?"
- Ingeri : "C'est bien pire que ça." (Karin s'enfonce dans la forêt, en traversant le pont.)

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7ème présage : les "visions" du gardien du pont

Plan 103 : Dans la cabane. Nous n'allons pas nous attarder sur ce présage. Nous voulons juste signaler que les principes de la magie se résument à deux lois : (…) "Le premier principe Loi de similitude… Le semblable appelle son semblable (magie homéopathique). Et le second Loi de Contact ou de contagion (magie contagieuse). [4] La question de la magie rejoint ce que nous avons dit à propos de la divination et de la superstition. C'est un problème qui reste ouvert. Néanmoins, les propos du gardien sont révélateurs, outre le doigt coupé, nous pensons aux animaux cités : le cheval, symbolise ici la mort; le poisson qui arrête sa course, c'est Karin, et par prolongement le corps du Christ et enfin l'aigle, c'est Töre. Il reste à souligner le symbolisme du pont, comme un symbole de passage vers la mort.


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8ème présage : le conte du chaperon rouge

Plan 163 : La rencontre de Karen et des trois pâtres :
- Le Muet : "Bababa…"
- Le second pâtre : "Il dit que la demoiselle a des mains si blanches…"
- Karin : "C'est parce que les filles de roi…n'ont besoin ni de laver, ni de faire du feu."
- Le Muet : "Bababa…"
- Le second pâtre : "Mon frère dit que la demoiselle… a le cou si gracieux."
- Karin : "Les filles de roi ont le cou gracieux pour que l'or y brille davantage…"
- Le Muet : "Bababa…"
- Le second pâtre : " Mon frère dit… que la demoiselle…a la taille si fine…"

Par la suite, les événements vont se précipiter. Karin saura qu'ils sont des voleurs. (La marque des voisins de Karin sur le couteau.) (Plan 164.) Le pain jeté qui laisse échapper le crapaud (167). L'enfant fait trébucher Karin sur des branches (180). Ingeri qui assiste à la scène, une pierre à la main n'agit pas (182). Le viol de Karin par les deux frères (184-187). Le muet tue Karin avec un bâton (191). Les deux pâtres s'emparent des habits de Karin (197). Au premier plan un arbre abattu, sa cime touchant le sol. La neige se met à tomber sur l'enfant resté seul (200). Les trois pâtres sont dans la ferme de Töre (211). Ils sont invités à prendre le repas du soir (230).


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9ème présage : la soupe crachée
Photogramme - Présage 3 : La Source, Plan 263.  L’enfant pâtre mange en silence.
Photogramme - Présage 3 : La Source, Plan 263. L’enfant pâtre mange en silence.

Plan 236 : Simon continue ses prémonitions, il dit en s'adressant à l'enfant : "ils en ont vu, ces souliers." (…) "Un jour peut si bien commencer, et si mal finir."

Plan 253 : A table, Simon mange en silence, tout en regardant l'enfant d'un air sévère.

Plan 254 : L'enfant arrête son regard sur le maître de maison Töre.

Plan 263 : Le second pâtre parle en agitant sa main : "mon père disait toujours," (l'enfant boit une gorgée de soupe) qu'il fallait fumer gras les terres argileuses et sec les terrains à sable."(Cf. Photogramme – Présage 3.)


Photogramme - Présage 4 : La Source, Plan 266.  L’enfant pâtre renverse la soupe devant lui.
Photogramme - Présage 4 : La Source, Plan 266. L’enfant pâtre renverse la soupe devant lui.


Plan 264 : A peine le pâtre termine sa phrase, l'enfant crache la gorgée de soupe dans son assiette et renverse la soupe d'un coup devant lui. (Cf. Photogramme – Présage 4.)


Le pâtre se lève. Il essuie avec sa main la soupe renversée sur la table. Les trois pâtres vont subir le même sort que la soupe. Ils seront renversés et poignardés par Töre. Ils ont accompli l'acte sacrilège, de fumer la terre avec le corps de la fille de leur hôte…

Ce film propose et provoque des combinaisons qui méritent d'être approfondies. Outre les faits cinémantiques, nous devons considérer le poids de la religion chrétienne, et les rapprochements avec la bible. En effet, nous pouvons y voir l'idée du fratricide de Caïn et d'Abel ou le sacrifice d'Abraham, car en quelque sorte, Töre sacrifie sa fille à Dieu, et enfin, dans presque toutes les iconographies religieuses, la vierge Marie a une cape bleue, comme celle de Karin. Toutes ces suggestions culminent et annoncent la fin du film, avec la promesse de Töre de construire une église près de la source miraculeuse.



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Liens spécifiques du film

Voir :



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Voir aussi


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Notes et références

  1. Cf. l'article de Jacques Siclier, La Source, L'Avant-Scène Cinéma, d'Ingmar Bergman, Juillet 1995, N° 444. Le découpage et les citations sont tirées également de la même revue, traduction du suédois par Margareta Haïm.
  2. Chevalier/Gherrbrant, Dictionnaire des Symboles, op. cit., p. 308 sq.
  3. Nous citons à titre d'exemple : Lolita (1960) et Shining (1980) de Stanley Kubrick, La Luna (1979) de Bernardo Bertolucci, Le Tambour (1979) de Volker Schlöendorf, Les Poings dans les Poches (1965) de Marco Bellochio, etc.
  4. Cf. James George Frazer, Le Rameau d'Or, traduit de l'anglais par Michel Izard et Henri Peyre, Éditions Robert Laffont, Paris, (1927) 1981, p. 41 sq.


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