Thèse:Conclusion

De Cinémancie
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Représentation schématique mettant en perspective, les principales catégories cinématographiques et anthropocentriques.


Conclusions provisoires : Choix et constats (2001)

« 

Que veut dire ce qui se passe, en ce moment, devant moi ? C'est demain qui le dira. Et demain un nouveau sursis laissera encore cet incident ouvert sur l'avenir et suspendu une fois de plus à ce qui sera. »

A Laffay. Logique du cinéma. p. 56.

«  Et pour finir il (le cinéma) nous rassure par la chute même des événements, leur neutralisation, le brassage statique, le retour à zéro, comme la poussière retombe après les combats. Dans un sens, puis dans l'autre, le cinéma joue de l'indifférence des choses à notre égard - l'ouverture du monde sur l'indéfini. »
— A Laffay. Logique du cinéma. p. 43.


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Récapitulatif des aspects cinémantiques : Les aspects épistémologiques

Nous ne pensons pas avoir épuisé toutes les fonctions et les conséquences cinémantiques, il doit rester certainement d'autres fonctions que nous pensons pouvoir dégager en consultant d'autres films, d'autres réalisateurs. C'est l'objectif du troisième tome. En effet, notre ambition est de poursuivre les linéaments inhérents à notre étude et d'effectuer ultérieurement, une décomposition méthodique et systématique de l'ensemble des données dans certains films. Nous n'allons pas nous répéter, nous avons évoqué, en partie, le "programme" en question dans l'introduction générale. Toutefois, au terme de notre étude sur Andreï Tarkovski, nous avons démontré que les aspects et les agents cinémantiques sont inscrits indifféremment à tous les niveaux des structures du film. Ils débordent également au-delà du film et du cinéma, ce sont d'une part, les aspects biographiques ou extra-filmiques des auteurs ; et d'autre part, le potentiel imaginaire des figures.


Les principaux aspects et agents cinémantiques ouvrent la voie à des recherches épistémologiques. Ils se divisent en deux grands groupes. Il s'agit d'une part, des aspects esthétiques de l'image filmique ; et d'autre part, des aspects anthropocentriques.


Au cours de notre exposé, nous avons régulièrement dégagé des problématiques issues des aspects esthétiques, nous n'allons pas revenir sur l'ensemble. Nous citerons seulement deux aspects pertinents. Il y a d'une part, les structures plastiques des images : composition (symétrie, division) ; projection des lignes de fuite (transfert psychologique, résonance) ; chromatisme (ombre et lumière) ; densité et matérialité (systèmes et structures des objets). Nous pensons qu'il faut encore interroger ces structures, car ils cachent un potentiel épistémologique important.

D'autre part, il reste un problème majeur concernant l'épaisseur sémantique d'une image, dans la mesure où cette épaisseur prend du volume grâce à la juxtaposition successive d'autres plans. Un plan est significatif toujours en fonction d'autres plans. Cette raison nous a confirmé notre principe de "description plan à plan" qui, en réalité, n'est pas un simple compte-rendu des plans d'un film, mais plutôt une description-analyse de faits (majeurs ou mineurs) qui tracent toujours une trajectoire de sens. De plus, cela nous permet de garder le film en mémoire, car comme le souligne C. Metz : (…) "On ne retient d'un film que son intrigue et au mieux quelques images." (Tome 1, op. cit., p. 54.)

En ce qui concerne les catégories cinématographiques et anthropocentriques, elles peuvent se résumer succinctement de la manière suivante (Cf. Représentation schématique.):



A travers notre étude nous avons eu l'occasion d'aborder les éléments cités dans des contextes différents. Nous allons représenter une figure schématique qui illustre nos propos.


Par ailleurs, il reste encore des questions importantes que nous n'avons pas analysées comme il se doit, et qui mériteraient une étude particulière. La plus importante de ces questions est sans doute, la question du geste. La thèse de Marcel Jousse est séduisante à plus d'un titre. Elle peut se résumer ainsi : (…) "dans l'Univers, tout est action et ces actions agissent sur d'autres actions. Ces interactions innombrables s'enregistrent, dans le Composé humain qui les reçoit, sous forme de gestes élémentaires triphasés qui constituent une unité indéchirable. C'est toujours un Agent - agissant - un Agi. (…) C'est la loi de l'Inter-action universelle." [1] Nous pouvons sentir les analogies qui s'établissent entre la formule de M. Jousse et la nôtre. Par ailleurs, M. Jousse distingue les "gestes caractéristiques" des "gestes transitoires" [2]. Cette distinction peut être également analysée au cinéma. Une autre question est importante, elle est relative aux instances narratives : (…) "Qui parle ? Qui voit ?" [3] Ensuite, question d'actualité, quels sont les rapports du quotidien [4] et du cinéma ? Enfin, il reste des questions ouvertes : elles concernent l'avenir, [5] le devenir, [6] la finalité [7] et les prémonitions. [8] A présent, nous résumons les grands principes qui se dégagent de notre étude.


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Principes et hypothèses

La figure du cheval noir capé : justification de la méthode de l'arbre cinémantique

Lire la page.


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Les premiers indices pour établir une première conclusion sur la valeur de la cinémancie

Dans Andreï Roublev, le plan 207 (la scie sifflante) est, en fait, encore plus important qu'on ne pourrait le croire. D'abord, nous ne pensons pas avoir rencontré une image aussi clairement définie dans ses transformations. Ce plan devient, en quelque sorte, un témoignage clair : c'est-à-dire que si nous admettons les métamorphoses à l'intérieur de ce plan, nous devons aussi admettre d'autres métamorphoses, à l'intérieur de ce même plan et à l'intérieur d'autres plans. Nous voulons démontrer que ce qui compte c'est le champ d'activité que laboure une figure. Ainsi, à la lumière de ce que nous venons d'énoncer, les développements à propos d'autres figures, comme celle du cheval, du chien, de la barque, de la foule, etc. prennent un poids d'ancrage considérable qui consolide ainsi nos déductions.

A partir de cela, nous avons à notre disposition les premiers indices pour établir une première conclusion sur la valeur de la cinémancie. Établir cette conclusion passe avant tout par un inventaire méthodique de l'ensemble des éléments présents. La cinémancie est en quelque sorte une consécration de l'observation (qui est importante aux yeux de Tarkovski). [9] La véracité du regard engendre la véracité de la réponse. La cinémancie devient ainsi une analyse de l'objet et de son cortège de significations, car si la forme (de l'objet quelconque) est physique, concrète, matérielle ; le fond est psychique, abstrait, spirituel. Ceci explique l'importance qu'on accorde aux figures. Mais, la question qui se pose, est celle de savoir, qu'est-ce qui fait que telle image, tel plan, telle figure, a une incidence cinémantique ? Nous venons de donner la réponse à cette question : l'incidence est cinémantique car le moment est toujours paroxystique. [10] Dans ce cas, la réciproque est aussi juste : tout moment paroxystique est d'une manière ou d'une autre cinémantique. C.Q.F.D. Ainsi, dans Andreï Roublev, Efim, le Bouffon, Kyril, Thomas l'apprenti, Roublev, le prince, traversent tous des moments paroxystiques qui sont en général de très courte durée. L'intensité aiguë de ces moments est souvent, pour ne pas dire toujours, représentés d'une façon ou d'une autre dans un plan ou plusieurs plans, dans une séquence ou plusieurs séquences. Cela nous donne, par la même occasion, une justification dans l'analyse superposée en strates des figures.



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Le principe d'une subite émanation téléologique ou 1er principe de la cinémancie

Aujourd'hui nous sommes en mesure de penser sur la base de tout ce que nous venons de dire qu'il y a mise en route du "principe d'une subite émanation téléologique" de la part d'un objet cinémantique. C'est un moment particulier (un moment cinémantique), à travers lequel il y a un déclenchement, une soudaine irruption de qualités ou de propriétés intrinsèques de l'objet. Il peut s'agir aussi bien de qualités culturelles, des qualités archétypales ou historiées de l'objet ; ou bien de qualités techniques et fonctionnelles de l'objet. Et justement, le concept du principe d'une subite émanation téléologique suit en général une courbe en cloche. Remarquons qu'il n'y a pas de terme convenable qui désigne cet état spécifique. Le terme symbole peut à la limite désigner en partie cet état phénoménal, mais il est insuffisant, pour une raison importante, nous l'avons déjà dit : il ne désigne pas le moment précis, le moment subit d'une émanation téléologique. Ce que nous voulons dire par-là, c'est qu'un objet est à un moment donné éteint (il est "off") et puis tout à coup, pour différentes raisons, et par différentes manières, il s'allume (il est "on"). De cet objet émanent des qualités qui rayonnent sur les personnes ou sur une aire déterminée. Nous pensons que si nous réussissons à démontrer la validité du principe d'une subite émanation téléologique d'un objet cinémantique, nous démontrerons par-là une espèce de bio-vitalisme de l'objet quelconque, voire une projection à caractères psychologiques. Nous venons de voir, entre autre, la grande figure de la cloche qui correspond à Andreï Roublev lui-même.


Plus simplement, nous pouvons dire qu'un objet vit, il est inanimé et tout à coup il s'anime. Ce point de vue suggère fortement (…) "l'interprétation la plus primaire qui soit, "l'animisme". C'est une tendance naturelle. Nous avons spontanément tendance à personnaliser les objets de notre environnement. Nous disons : "Ma machine lave bien mon linge", comme si une sorte d'esprit l'habitait. Parfois même, nous nous efforçons de conserver une attitude de pensée positive à son égard. Nous craignons, sans oser le dire, qu'elle se mette à ne plus fonctionner si nous la regardons "d'un mauvais œil." (…)"L'animisme constitue, de fait, la base de notre relation avec l'environnement. Il est partout, constamment. Simple exemple : nous devons sans cesse "nommer" les choses, les êtres vivants et même les humains qui nous entourent. Sans cela, nous sommes perdus. Or le nom constitue le premier pas dans la magie." [11] Dès qu'on nomme une chose, on spiritualise. Cependant, l'animisme non plus ne peut désigner le principe d'une subite émanation téléologique de l'objet. Nous suggérons le néologisme composite "l'obmancité", il inclut à la fois, le lexème "man" comme dans "mancie" et le préfixe "ob", comme dans "objet". [12]


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« L'Obmancie » (L'objet cinémantique)

L'intérêt de "l'obmancie" est sa faculté d'établir "des faits porteurs d'avenir." [13] En fait, nous pouvons distinguer jusqu'à présent deux grandes catégories : l'obmancie passive et l'obmancie active. Dans cette dernière catégorie nous incluons les objets catalogiques, qui se manifestent avec évidence, instantanément, ce qui est une marque de connaissance immédiate. Mais c'est surtout le premier groupe qui pose problème : quand, où et comment se déclenche un tel phénomène ? Nous ne voyons pas l'obmancité passive comme étant quelque chose de plus qui se passe ou qui a lieu. Mais bien au contraire, il s'agit de quelque chose qui est déjà là, intégré au tout, qui se manifeste selon un mécanisme spécifique, propre à lui, et qui a une part significative dans un complexe déterminé.


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« L'Imancie » (L'image cinémantique)

Ce complexe déterminé n'est rien d'autre que l'image cinémantique que nous appellerons « l'imancité ». Elle englobe à la fois l'objet et ce qui entoure l'objet, c'est donc un tout (le présent). Seulement, ce tout, d'une part fait partie d'un autre tout (le futur), et d'autre part, il faisait partie d'un tout autre (le passé). En d'autres termes, le complexe indéterminé est formé ou engendré par un autre complexe, et il prend une certaine direction ou forme à son tour un autre complexe. Or, quel est le véhicule qui nous permet d'accéder au triple registre temporel ? C'est l'image, ou plutôt un train d'image, des images en chaîne, c'est-à-dire des images cinématographiques, des images en mouvement. Très souvent la locomotive qui tire le train d'image est justement le caractère d'imancité, non seulement elle tire le train d'image mais elle indique aussi son chemin, sa trajectoire, sa destination.

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« la Rémancie » (La réponse cinémantique)

L'objet et l'image cinémantique (l'obmancité et l'imancité) vont nous livrer, grâce à l'appui de coupes dans la trajectoire du train d'image, une espèce de réponse qui est dans le cadre de nos propos une réponse-image, que nous nommerons la "rémancie". Chaque film conserve en lui, un genre spécifique de réponse-image ; parfois en partie, parfois en détail, parfois il y en a plusieurs, parfois elles sont allusives, etc. Il serait intéressant de déterminer dans chaque film la série d'images cinémantiques qui contribuent en quelque sorte à proposer la (ou les) réponses-image(s). L'intérêt n'est pas uniquement dans la syntonisation générale des données multiples du film dans des images majeures. Nous serons presque tentés d'utiliser un répertoire de vocabulaire musical, car admettre des images majeures suppose des images mineures, d'autres augmentées, d'autres diminuées, etc.


Mais l'intérêt est aussi de dresser dans la mesure du possible une classification générale (provisoire) des images-réponses. Dès le début de l'analyse du film Andreï Roublev nous n'avons pas cessé de le faire. Mais en quels termes devons nous poser les questions ? Dans quelles directions devrons-nous poursuivre nos recherches ? Nous pensons pour répondre à ce genre de question hétéroclite qui transportent avec elles un certain nombre d'éléments parfois incompatibles ou parfois irrationnels. La meilleure façon de poser les bonnes questions c'est de faire ce que nous avons toujours fait dans notre étude : l'exploration filmique pluridimensionnelle.


Nous l'avons vu, la question de la réponse cinémantique, la "rémancie" (3) dépend de l'image cinémantique "l'imancie" (1) et de l'objet cinémantique "l'obmancie" (2). Bien entendu, l'équation :

C = Cinémancie = [1 (l'imancie) ↔ 2 (l'obmancie)] = 3 (la rémancie)

Elle est presque toujours et exclusivement incluse dans une situation en crise déterminée. N'oublions pas, comme nous l'avons déjà souligné dans l'introduction générale : il y a film parce qu'il y a crise, parce qu'il y a critique, dans le sens étymologique, du grec "κρινειν" : passer au crible, trier, discerner, distinguer, choisir, décider, trancher, juger, évaluer et, donc ; examiner." [14] Il n'est pas difficile de démontrer que tous les verbes actifs que nous venons de citer, sont toujours inscrits dans le corps d'un film. Ainsi donc,

F (Film) ↔ C ou F = C

Mais que se passe-t-il si F ≠ C ?

Peut-on dire qu'il n'y a plus de film ? Peut-on envisager le documentaire [15] dans cette catégorie ? D'autre part, une crise peut être soit individuelle : Efim, Kyril, Théophane, Thomas, le bouffon, et surtout Andreï Roublev ; mais une crise peut être aussi collective : c'est le cas de la guerre, comme tout le VIème épisode.

Ce qu'il nous intéresse de savoir, plus en avant dans notre recherche, c'est la place de l'équation C dans le tout :

[C ↔ T (Tout)]

Ou bien, si C ≠ T, y-a-t-il un principe (ou plusieurs) qui détermine les relations dans le tout ? Il est intéressant d'évoquer à ce propos, l'étude de Jung sur l'I-Ching ou Yi-King chinois, [16] pour laquelle le psychanalyste avait une grande vénération. [17]


Les modes de représentation d'une réponse cinémantique

Nous pensons pour l'instant, dégager six types de manifestation ou mode de représentation d'une réponse cinémantique : elle est soit :

Directe

Le chien noir et blanc (Nostalghia), le [[Néon#Le Professeur et le néon « clignotant » dans Stalker, d’Andreï Tarkovski. |néon clignotant]] (Stalker), soit :

Indirecte

Les rêves Nostalghia, Stalker, Miroir (Le), Andreï Roublev, le chapeau de l'Ecrivain Stalker, les trébuchements Stalker; soit :

Régulière

Le drap en cloche Andreï Roublev, les plumes (Nostalghia) ; soit :

Irrégulière

La météorite Stalker ; soit :

Large

Les plumes Nostalghia, le sac (Stalker) ; soit :

Restreinte

La serviette (Stalker), les bûches qui trébuchent (Andreï Roublev), etc.


Mais cette distinction se caractérise par la variabilité, car les types cités ne sont pas des règles fixes, puisqu'un agent cinémantique peut correspondre à plusieurs types à la fois. La première plume par exemple dans Nostalghia peut être qualifié du type direct, irrégulier et restreint, en revanche la seconde plume devient directe, régulière et large. Ainsi les questions restent ouvertes.


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Le principe de la correspondance formelle et analogique ou second principe de la cinémancie

En ce qui concerne "l'obmancie", d'autres questions non moins importantes se posent. D'une part, quelle est la nature exacte d'un objet simple qui possède des qualités cinémantiques ? Quelles sont ses qualités ? Qu'est ce qui les détermine ? D'autre part, comment doit-on envisager l'interférence de plusieurs objets ? Sans vouloir nous répéter, nous pensons dégager un principe organisateur issu de toutes nos considérations et de toutes nos observations : le principe de la correspondance formelle et analogique, qui consiste à installer des directions de possibilités, proposées par une espèce de dialectique de l'objet. Il est vrai qu'un objet ne discute pas, mais par sa présence, il est déjà un discours ; et même des possibilités de discours, engendrées par un troisième principe :

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Le primat de la globalité du monde

En théorie l'I-Ching à l'air simple, mais en pratique l'étude est très complexe, et nécessite comme toute forme de divination, un certain calcul qui n'est pas compatible avec la cinémancie. Nous n'allons pas entrer dans les détails, mais ce qui nous intéresse dans l'I-Ching, c'est qu'il n'y a pas de place pour le hasard. Rien n'est dû au hasard. Cette similitude avec la cinémancie nous permet de dégager une hypothèse : Le primat de la globalité du monde. C'est l'ensemble des données qui interagissent ou plutôt sont en interaction avec une chose déterminée. (Et non le contraire.) Ce qui veut dire aussi, qu'une chose est toujours en réaction par rapport à un ensemble de systèmes donnés. [1]

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[1] C'est très exactement, comme la formule de M. Jousse. Cf. supra, p. 354.

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Le constat d'évidence

Voilà brièvement formulés quelques principes fondamentaux de la cinémancie, que nous souhaitons développer ultérieurement. Il nous reste à attirer l'attention sur un fait que nous rencontrons régulièrement dans nos recherches : c'est le constat d'évidence. Souvent, nous avons l'impression que certaines choses sont si évidentes, que nous trouvons qu'il est inutile de les dire. Dans le cinéma, l'ellipse est la forme qui caractérise le constat d'évidence. Mais un texte n'est pas un film. Et dans un texte, avant de démontrer une idée, il faut d'abord la montrer. La validité et la cohérence de l'idée passent parfois par des évidences pour lesquelles il nous semble qu'il est très utile de dire et d'écrire. Car souvent ce sont des petites choses de rien du tout, mais qui ont un rôle important dans la composition soit du film, soit d'une séquence, soit d'un plan. Parfois, ce sont des mots, un son, un bruit, etc. En d'autres termes, ce n'est pas parce qu'une chose est évidente, qu'on doit l'ignorer, bien au contraire. Parfois une chose évidente est plus difficile à démontrer. Les exemples sont nombreux sur ce constat d'évidence, "la natte et la couronne", "le chat et le cheval", "la tête et le casque", etc.


Comme aussi par exemple, la pierre tenue par des paires de tenailles, par Andreï Roublev, ou le drap plié en cloche. Pour un adulte, à un moment donné, tout ce qu'il voit devient en quelque sorte évident, clair, logique. Or, nous devons voir les choses comme un enfant (tâche difficile), car un enfant ne voit pas les choses détachées l'une de l'autre. Il les voit placées dans une image globale (son image globale). Elles sont incluses dans un contexte. Elles sont in-corporées, tandis que chez un adulte, les objets sont détachés de leur contexte. Ils ont une fonction précise, et ils sont devenus, si nous osons dire dé-corporés. Or le rôle d'un poète c'est de rendre à l'homme adulte sa vision d'enfant : il y a une régression vers une progression. Ce qui nous introduit, de fait dans un autre point que nous voulons développer.


C'est une question importante à propos de la valeur d'un objet, d'une figure, dans un contexte poétique, car le film de Tarkovski, Andreï Roublev est un morceau de choix dans le répertoire de la poésie cinématographique. Ainsi, peut-on déclarer fermement qu'il y a une similitude, une concordance entre un objet considéré dans un contexte poétique, comme par exemple, la scie, l'oignon, etc. ; et sa présence dans un contexte réel, vivant ? Peut-on déduire nettement qu'il y a un principe universel qui les lient ? Pour Tarkovski, il y a une incarnation (…) : "L'image dépend autant de notre conscience que du monde réel qu'elle tend à incarner. Si le monde est énigmatique, l'image le sera aussi. Elle est une sorte d'équation qui désigne la corrélation existant entre la vérité et notre conscience limitée à son espace euclidien. (Nous ne pouvons percevoir l'univers dans sa totalité. Mais l'image peut exprimer cette totalité) (bis.) (…) L'image incarnée n'est véridique que si, en elle, apparaissent certains liens qui expriment la vérité, et qui la rendent unique et inimitable comme l'est la vie, même dans ses manifestations les plus simples. Les réflexions de Viatcheslav Ivanov sur le symbole sont ici particulièrement éloquentes (il appelle symbole ce que j'entends par image) Ivanov conclut en disant (…) les symboles sont ineffaçables, inexplicables, et nous sommes comme impuissants devant la plénitude de leur sens." [1] "Nous sommes impuissants", car nous avons constamment tendance à mesurer deux concepts opposés : le un et le tout. Et ce n'est que dans la poésie dans son sens large et étymologique : "poeïen", "faire quelque chose" que nous assistons à une harmonie instantanée du "mariage des contraires". Il ne faut pas nécessairement comprendre tout sur tout pour savoir tout. Car, si le un fait partie du tout, le tout est en partie dans le un. Par conséquent, connaître clairement le un, c'est connaître le tout en partie. C'est la tâche primordiale qui incombe à tout agent de culture, de faire découvrir l'instantanéité poétique, car saisir, comprendre un seul instant, c'est presque les comprendre tous. La poésie c'est la porte royale de la connaissance, transcendée, en mot, en son, en image ou en objet.

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[1] Le Temps Scellé, op. cit., p. 100.

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La question de l'attente ou la protomancie

L'attente est toujours inscrite dans un cadre temporel défini. En fait, les questions que posent, entres autres, le cinéma d'Andreï Tarkovski, par exemple, sont celles-ci : qu'attendons-nous exactement ? Pourquoi devons-nous attendre ? Quelle est la nécessité d'attendre ? En ce qui nous concerne, ces questions sont importantes à plus d'un titre. D'abord, par rapport au cinéma en général, et aussi, par rapport à la cinémancie, qui constitue en fin de compte une caractéristique que nous proposons d'appeler "protomantique". En effet, il y a divination parce qu'il y a surtout un choix à faire, une décision à prendre, une question à résoudre. C'est en cela que la sémiotique divinatoire, vaste et prolixe, prend souvent appui sur ce facteur dominant. Le stade protomantique est un stade "d'attente réflexif". D'ailleurs, l'étymologie du mot « attendre » est révélatrice : du latin "attendere", tendre son esprit vers quelque chose, être attentif à, composé de "tendere", tendu, dans le sens d'être attentif à l'arrivée de quelqu'un ou de quelque chose, on passe aisément à celui de "rester jusqu'à ce que la personne ou la chose arrive." [1]

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[1] Cf. aussi en particulier, un ouvrage collectif, dans la collection "Autrement",L'attente, Et si demain., dirigé par Claudie Danzier et Alice Chalonset, série Mutations - N° 141- janvier 1994, Paris.

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Conclusion du VIème épisode d'Andreï Roublev d'Andreï Tarkovski : La cinémancie : Hypothèse d'une incidence paroxystique

Le VIème épisode à lui seul, aborde de bout en bout, le régime de la guerre, avec tout son cortège de malheurs, de douleurs et de confusion. Confusion d'abord dans le montage, avec l'apparition d'une structure en flash-back éclaté de très courte durée.[1] Confusion entre les périodes intra-filmique : l'hésitation du prince (VIème épisode) et d'Efim (Ier épisode), les associations de la natte (VIème épisode) et de la couronne (Vème épisode), les cheveux (VIème épisode) et les algues (IVème épisode). Confusion à l'intérieur de l'image : le plan de la scie, la vache en feu, le cheval qui dégringole l'escalier, le cheval recouvert d'une cape, le chat qui "grossit" en cheval, etc. Confusion enfin du prince et de Roublev lui-même.


Grâce à certaines valeurs dans ces ensembles de données, nous avons dégagé l'hypothèse selon laquelle, une incidence paroxystique est (toujours) inscrite dans un cadre cinémantique. Cette hypothèse nous a permis de vérifier qu'un processus cinémantique est toujours inscrit dans une suite d'images, une suite de temps linéaire ou chronologique.


Les questions qui nous préoccupent sont de plusieurs natures. D'abord, en ce qui concerne les qualités d'une image cinémantique [2] : a-t-elle un régime particulier ? Qu'est-ce qui nous autorise à parler d'image cinémantique ? Est-ce que c'est précisément une image ? Ou un état ? Ou est-ce alors un état de l'image ? D'autre part, s'agit-il d'une seule image ? Ou de plusieurs ? Dans le cas de plusieurs images, s'agit-il de plusieurs états ? Ensuite, en ce qui concerne les qualités d'un objet cinémantique [3] : quelle est la nature d'un objet simple (quelconque) qui possède des qualités cinémantiques ? Quelles sont ces qualités ? Qu'est-ce qui les détermine ? Par ailleurs, comment doit-on envisager l'interférence de plusieurs objets ? Nous pensons que nous avons apporté quelques éléments de réponses à ces questions.

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[1] Procédé qui rappelle celle de Citizen Kane, d'Orson Welles ou de Thomas Garner de William K. Howard, plus récemment Pulp Fiction de Quentin Tarentino ou Le Barbier de Sibérie de Nikita Mihkalkov. [2] Que nous avons suggéré dans l'Introduction générale d'appeler "l'Imancie", abréviation d'image cinémantique. [3] Abréviation envisagée "l'Obmancie".

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Eléments de géométrie cinémantique : Faces et surfaces

Voir : Drap plié en cloche

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Les faits et les caractères cinémantiques dans un film

Voir : Stalker, d'Andreï Tarkovski

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La forme cinémantique d'un film

Voir : Stalker, d'Andreï Tarkovski


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Le primat de l'exceptionnalité et de l'unique

Voir :

Andreï Roublev : Drap plié en cloche - L'argile « Je l'ai trouvée. » - Les conséquences de la petite barque de procession -

Miroir (Le) : Les bijoux qui tombent -

Nostalghia : La bougie du Mystère de Sainte-Catherine -

Stalker : L'ampoule qui implose -

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Notes et références

  1. L'Anthropologie du geste, Editions Gallimard, Paris, 1974, p. 16. Cf. également, Viléme Flusser, Mars Partouche et Louis Bec, Les gestes, Editeur, HC, Paris, 1999.
  2. Ibid, p. 51.
  3. André Gaudreault, Du littéraire au filmique, système de récit, Editions Méridiens Klincksieck, Paris, 1988, p. 42.
  4. Cf. Carole Anne Rivière, La sociabilité téléphonique, contribution à l'étude des réseaux de relations personnelles et du changement social , thèse de doctorat sociologie, institut d'études politiques, Paris, sous la direction de Michel Forsé, 1999. Jeremy Edwards et Raymond Guidot, Objets anonymes, Editeur, Jean-Michel Place, Paris, 2000. Michel Maffesoli, La conquête du présent, postface de Gilbert Durand, Editeur, Desclée de Brouwer, Paris, 1998. Claude Javeau, Prendre le futile au sérieux, microsociologie des rituels de la vie courante, Éditeur, les Éditions du Cerf, Paris, 1998. Peter Berger, Thomas Luckman, La construction sociale de la réalité, traduit de l'américain par Pierre Taminiaux, préface de Michel Maffesoli, Editions A. Colin, Paris, 1997. Daniel Roche, Histoire des choses banales, naissance de la consommation dans les sociétés traditionnelles (XVIIème siècle au XIXème siècle) , Editions Fayard, Paris, 1997. Serge Tisseron, Petites mythologies d'aujourd'hui, Editions Aubier, Paris, 2000. Michel Maffesoli, L'instant éternel, le retour du tragique dans les sociétés postmodernes, Editions Denoël, Paris, 2000. Francesco Alberoni, Vie publique et vie privée, traduit de l'italien par Raymond Coudert, Editions Pocket, Paris, 2000.
  5. Cf. J. Epstein, (…) "L'avenir éclate parmi les souvenirs", op. cit., tome 1, p. 181. G. Deleuze, tome 2, op. cit., p. 117. J. Mitry, op. cit., tome 1, pp. 139 et 350.
  6. Cf. G. Deleuze, tome 2, op. cit., p. 137. J. Mitry, op. cit., tome 2, p. 228.
  7. Cf. J. Mitry, op. cit., tome 1, pp. 127 et 350 ; tome 2, pp. 183 et 308. Cf. également, Dimitra Panopoulos, "Que faire de la politique au cinéma" (…) "la finalité (c'est la vision historiciste)", in L'art du cinéma, n° 17, décembre 1997, http://www.imaginet.fr/secav/adc/n17dlpc.html
  8. Cf. F. Cesarman, op. cit., pp. 203 et 205. Cf. également, Bruno Cornellier, Désir et pulsion de mort, Analyse psychanalytique, http://www.cadrage.net/films/nosferatu/nosferatu.html ; Mikhaïl Kobakhidze, réalisateur géorgien, naît à Tbilissi Géorgie en 1939. En 1959, il entre au VGIK (l'école de cinéma de Moscou), en 1976, il écrit un scénario Prémonition qui est refusé par le comité du film. http://www.clermont-filmfest.com/francais/festival/p55.htm ; Vincent Amiel (dir.), Krzysztof Kieslowski (1941-1996), Paris : Jean-Michel Place/Positif, p. 179. Sorte de profession de foi du réalisateur lui-même qui, dès Sans fin (1984), dira: (…) "Je m'approche de ce qui n'est pas clair de ce qui est mystère, de ce qui est doute, de ce qui est prémonition. L'extérieur n'existe pas. Dans la plupart de mes films et dans ceux que je ferais, si je fais encore quelque chose, il y aura ces éléments métaphysiques, de manière encore plus présente. (…) la métaphysique, c'est la justification du but." (p. 70) http://www.unites.uqam.ca/religiologiques/recen/17recamiel.html
  9. Cf. Le Temps Scellé, traduit du russe par Anne Kichilov et Charles H. de Brantes, Éditions de l'Étoile/ Cahier du Cinéma, 1989, p. 62 et 64. Par ailleurs, J. Epstein écrit : (…) "Le cinématographe permet des observations assez précises du phénomène (la variabilité du temps), et surtout en permettra plus tard. Le film, en effet, par le découpage et le montage, enregistre et mesure en quelque sorte la vitesse de pensée." Tome 1. Op. cit., p. 109.
  10. Paroxysme : dérive du grec "paroxusmos, du verbe "paroxunein" (aiguiser, exciter contre, mettre en colère), formé sur "oxus" (aigu). Dictionnaire étymologique, op. cit., p. 377.
  11. Philippe Wallon , Le paranormal, op. cit., pp. 85 et 89.
  12. Du latin, "objectum" (ce qui est placé devant, ce qui est saisi par les sens) par opposition à sujet.
  13. A. Cl. Decouflé, La prospective, op. cit.,p. 15.
  14. Dominique Chateau , (sous la direction de), Collectif, A propos de la critique, article : J. R. Ladmiral, Critique & critiques, Editions L'Harmattan, Paris, 1995, p.17.
  15. Cf. Guy Gautier, Le documentaire, un autre cinéma, Editions Nathan cinéma, Paris, 2000. Emmanuel Dumont, Pour un cinéma de fiction dans le réel, mémoire de maîtrise, université de Provence, 2000.
  16. (…) "Formé de formules hermétiques correspondant à soixante-quatre hexagrames ( ensemble de six lignes pleines ou brisées) correspondant au Yang et au Yin de chaque situation possible. (…) (Il) est encore couramment utilisé pour la divination. Il est à l'origine de nombre théories taoïstes et confucéennes." Encyclopédie Universalis.
  17. C. G. Jung écrit : (…)"Ce texte si raffiné que nous ne pouvons pas comprendre. Avant d'y parvenir, il nous faut exécuter un saut périlleux (il s'agit du principe de la synchronicité rapidement résumé.) En présence d'une synchronicité, nous nous demandons toujours : Comment ? Où ? Pourquoi ? Trouvons-nous un chapeau flottant sur la mer et nous nous demandons : Comment ? Pourquoi ? Parce qu'un bateau est passé non loin de là, et que le chapeau s'est envolé. Et nous voilà satisfaits. Le chinois voit les choses différemment. Il remarquera la bouteille qui se trouve à côté du chapeau, ainsi que le morceau de bois, la méduse et le tonneau qui, sans que l'on sache comment, est également venu échouer à cet endroit. (…) Ce qui l'intéresse (…) Comment interpréter sa propre présence au bord de la mer avec le vieux chapeau, la bouteille et le morceau de bois, voilà où réside le problème. (…) Voilà qui constitue un grand problème cosmique. (…) J'ai demandé à un philosophe chinois quelques informations sur le I-Ching. Il considérait toute chose comme participant au système. Pour expliquer la moindre chose, il devait faire appel à la globalité du monde." Sur l'interprétation des rêves, op. cit., p. 63-65.


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