Stalker

De Cinémancie
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Stalker, premier plan du film. Le prologue.
Stalker, premier plan du film. Le prologue.


Aspects techniques du film

Stalker : D'après le roman d'Arkadi et Boris Strougatski, Pique-nique au bord du chemin.
Titre pressenti, La Machine à vœux.
Réalisation : Andreï Tarkovski.
Année de réalisation 1979.
Genèse de l'idée : 26 janvier 1973.
URSS. 161 minutes. Couleurs. Production : Mosfilm, unité de production 2.
Scénario : Arkadi et Boris Strougatski et Andreï Tarkovski.
Directrice de production : Alla Demidova.
Assistants de réalisation : Maria Tchougounova et E. Tsimbal.
Régie : Larissa Tarkovski.
Images : Alexandre Kniajinski.
Son : V. Sharun.
Direction artistique : Andreï Tarkovski.
Montage : Ludmila Feganova.
Décors : A. Merkoulov et Andreï Tarkovski.
Costumes : Nelly Fomina.
Musique : Edouard Artemiev, dirigé par E. Khatchatourian.
Poèmes d'Arseni Tarkovski et de Fiodor Tiouttchev.

Acteurs :

• Stalker : Alexandre Kaïdanovski.
• L'Écrivain : Anatoli Solonitsyne.
• Le Professeur : Nikolaï Grinko.
• La femme du Stalker : Alissa Freindlich.


* * *

Aspects extra-filmiques ; Que veut dire "Stalker" ?

Dans le film Stalker , le Stalker est un personnage clé. Il est la clé de la Zone : (…) "Un no man's land gardé par des militaires et qui contient la "Chambre des Désirs", capables d'exaucer les vœux de ceux qui y parviennent. Mais l'accès en est interdit et seul quelques guides - "les stalkers"- en connaissent le chemin. Un écrivain et un physicien, [1] demandent à un stalker de les y conduire." [2] Ainsi, le terme Stalker soulève des ambiguïtés dues précisément à la triple alliance du terme : il est le titre du film, la fonction et le nom d'un personnage, enfin, il suggère une palette de terminologie anglo-saxonne : d'ordinaire, le mot Stalker est un nom anglais, masculin, qui désigne un "chasseur à l'approche." [3] Le mot "stalk" a trois sens différents. [4] Pourquoi Andreï Tarkovski a-t-il choisi ce nom pour son personnage ? En regardant l'évolution de la genèse du film nous allons voir que la décision de choisir un nom (ou un mot) est parfois un long travail. Il a fallu presque trois années pour privilégier le nom Stalker. Grâce à ce détail, un nom, nous assisterons à la genèse du film. De plus, les interminables attentes que Tarkovski a du subir entre chaque film ont contribué certainement à donner plus de poids au film en chantier. L'attente est par ailleurs, un puissant révélateur cinémantique : là où il y a attente, il y a des possibilités d'observations d'actes ou d'actions cinémantiques. Ainsi, le premier moment inscrit dans le Cahier Journal de Tarkovski, à propos du film Stalker, date de 1973. Il n'y a pas plus qu'une phrase.

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Stalker dans le Cahier Journal de Tarkovski (1973 - 1979)

1973

Le 26 janvier : (...) "Je viens de lire la nouvelle fantastique des Strougatski. (…) On pourrait aussi en faire un formidable scénario." Il faut attendre ensuite deux ans, avant de le voir s'intéresser à ce scénario. C'est le moment où il vient de terminer Le Miroir.

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1974

Le 26 décembre : (...) "L'idée d'un film "sur Dostoïevski" pourrait être très bien venue pour moi. (…) Quelque chose pourrait trouver chez moi une forme très harmonieuse, ce serait un film d'après les Strougatski : dans une action continue, détaillée, mais équilibrée et purement idéale, donc semi-transcendante, absurde, absolue. (…) 1. Deux acteurs. 2. Unité de lieu. 3. Unité d'action. 4. On observerait la nature heure après heure, suivant la tombée et le lever du jour. (…) Moi, ce que je voudrais, c'est un alliage qui résonne pleinement : une confession pleine d'émotion, de sentiments simples et forts, et un effort pour poser de grandes questions philosophiques et éthiques liées au sens de la vie." [5] A cette époque, Andreï Tarkovski hésite entre Dostoïevski et les Strougatski. [6] D'ailleurs, le premier auteur est constamment cité dans son plan de travail. [7] Cet intérêt constant pour Dostoïevski réside sans doute dans la puissance dramatique de la trame narrative, et dans la pénétration de l'écrivain russe dans la nébuleuse de la psychologie humaine, dans un temps relativement court, de l'ordre de quelques jours. [8] Cependant Tarkovski va réussir l'exploit de faire une synthèse entre Dostoïevski et les Strougatski. Avec les Strougatski il est séduit par l'idée de l'espace et du décor de la Zone, [9] avec Dostoïevski il est attiré par la peinture minutieuse de l'âme humaine. Mais, à ce jour là, Andreï Tarkovski ne sait toujours pas quel sujet il va traiter. Quelques jours plus tard :

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1975

Le 6 janvier : Il écrit à Ermach [10] pour prendre des décisions au sujet de son travail. Quatre films sont en évidence : " L'Idiot, Dostoïevski, La mort d'Ivan Ilitch, Le Pique-nique" , seulement, il va falloir trancher la question des Strougatski." (C. J. p. 117.) Deux mois s'écoulent avant de voir les Strougatski.

Le 27 mars : "Je suis allé voir Arkadi Strougatski. Il est très content que je veuille monter "le pique-nique", pour le scénario, on sera trois à égalité." (C. J. p. 122.) Dommage qu'on n'en sache pas plus, car, comme nous allons le voir, le scénario va subir des transformations radicales, et nous ignorons qui est le géniteur onomastique des protagonistes du film.

Le 10 décembre : (...) "La proposition des Strougatski a plu à Sizov. [11] Au ETO [12] ils veulent apparemment "Le pique-Nique". (C. J. p. 129.)

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1976

Le 14 décembre : (...) "Stalker, du verbe anglais "to stalk" : Marcher à pas de loup." (C. J. p. 146.) C'est la première apparition et définition du terme Stalker, comme titre de film désignant "Le Pique-Nique".

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1977

Le 24 février : (...) "Le tournage à Isfara [13] a été ajourné à la suite du tremblement de terre qui a eu lieu à Chourabe." (…) "Nous venons de filmer l'appartement du Stalker. Il faut maintenant chercher une autre nature extérieure, compter un mois de plus." (C. J. p. 153.) C'est la première apparition du personnage du Stalker.

Le 26 août : (...) "Il s'est passé beaucoup de choses. Des choses catastrophiques." (…) "Tout est stoppé pour un bon mois… Si c'est comme ça, tout sera nouveau: l'opérateur, le décorateur (je vais me risquer avec Chavkat Abdousalamov) [14] et le scénario (en ce moment, Arkadi et Boris Strougatski tentent de réécrire entièrement le scénario, à cause du nouveau Stalker, qui ne doit pas être une sorte de trafiquant de drogue ou de braconnier, [15] mais un serviteur, un croyant, un fidèle de la "Zone"). Il faut tout recommencer à zéro.(…) Il faut envoyer un article à la Pravda au sujet de Mosfilm : "Sur la primauté de la matière et le caractère secondaire de notre conscience."… Parler de cette idée à Sizov, dans une lettre." (C.J. p. 158.)

Nous devons dire un mot sur "La primauté de la matière" Il nous semble qu'elle résume le grand principe qui guide et forme la démarche de Tarkovski. En effet, ses films sont animés par une densité matérielle peu ordinaire, toute sa substance filmique tire de là sa quintessence. D'autre part, nous assistons à la transformation du Stalker du film, par rapport au Stalker du livre, Redrick Shouhart qui est une "âme simple", intéressé par le profit et l'alcool, et guidé par des instincts mercantiles.

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1978

Le 7 avril : (...) "A partir de la mi-mai, nous recommençons (pour la énième fois !) le tournage du Stalker." (C. J. p. 161.)

Le 9 avril : (...) "J'ai eu un infarctus. Maintenant il va falloir se soigner pendant deux mois. Stalker est ensorcelé !" (C. J. p. 161.)

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1979

Le 10 février : (...) "Peut-être, en effet, que Stalker est mon meilleur film…" (C. J. p. 178.)

En somme, Tarkovski porte le film dans son esprit plus de six ans. Nous constatons que l'évolution du film est lente et progressive. Il procède par juxtaposition, par effacement, par transformation, par adaptation. Contrairement au livre, le film s'articule sur un seul trajet et un aller simple dans la Zone. Mais, nous obtenons quatre moments forts : le départ, le trajet, l'arrivée dans la Zone et devant "la Chambre des Désirs", et enfin, le retour du Stalker chez lui. Nous commençons par le départ pour la Zone.


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Stalker, le film plan par plan

Le départ pour la « Zone » : Description, composition et situation (plans 2 – 42)

« 

…comme les principes rationnels, ou les lois scientifiques, la réalité se conforme à cela, à peu près, mais rappelle-toi le grand mathématicien Poincaré, il n'est pas sûr que les mathématiques soient rigoureusement exactes.  »

M. Proust. [16]


Enquête théophanique ou théophanie d’une enquête :

Le météorite (plan 2)

Comme Citizen Kane d'Orson Welles, comme Les Chevaux de Feu de Sergeï Paradjanov. Stalker est aussi un film qui commence par la chute d'un objet, d'un objet colossal, phénoménal. Un objet qui dépasse jusqu'à présent tout ce que nous avons pu voir, dans l'ordre de grandeur d'un objet : il s'agit d'un météorite, [17] qui donne d'emblée au film un caractère catalogique[18] extrême ; d'où, par conséquent, les aspects et les significations, si l'on ose dire, extrêmes, voire paradoxaux des données du film. [19] Pourtant, comme le signale l'intertitre du début du film : "Ce n'est pas sûr." Voilà un premier paradoxe, car, nous ne verrons pas le météorite tomber. Nous n'en saurons rien, hormis quelques rares signalisations verbales dans le corps de l'œuvre. Dans ces conditions, nous perdons au fur et à mesure du déroulement de l'action, la réalité effective de la chute d'un objet céleste. Regardons de près le développement de cet aspect : la première signalisation est annoncée dès le plan 4. [20] Sur un fond bleu, au centre de l'écran, le texte suivant défile[21] :

"Qu'est-ce que c'était ? La chute d'un météorite ? La visite des habitants de l'abîme cosmique ? Ça ou autre chose, dans notre petit pays, s'était produit le miracle des miracles : la ZONE. On y envoya des troupes. Elles ne revinrent pas. On encercla la Zone de cordons de police. Et on fit bien… Enfin, je n'en sais rien." Extrait de l'interview du Professeur Walles prix Nobel accordée à l'envoyé de la RAI."

Même l'avis d'un prix Nobel est incertain. De plus, nous apprenons qu'il y a eu des troupes qui ne sont pas revenues. [22]

*
Est-ce que le météorite est un « message du ciel » ?

Quoi qu'il en soit, la "Zone" devient un espace interdit, un lieu à éviter, défendu, le mirage d'un miracle. Tout l'intérêt et le drame du film résident dans l'accession et la progression de l'homme à l'intérieur de l'interdit. Tarkovski peint avec une lumière sombre le périple d'hommes transgresseurs. Le réalisateur est-il un homme transgresseur ? [23] Par ailleurs, dans le livre des frères Strougatski, le météorite est absent ; il s'agit d'une visite d'extra-terrestre. La question qui se pose est donc celle de savoir pourquoi Tarkovski accorde une importance à ce météorite. Il faut constater que : « (…) L'aérolithe est considéré comme une théophanie, une manifestation et un message du ciel. (…) (Il) Remplit une mission analogue à celle de l'ange : mettre en communication le ciel et la terre. L'aérolithe est le symbole d'une vie supérieure, qui se rappelle à l'homme comme une vocation ou qui se communique à lui." [24]

Ainsi, le film s'engage sur une voie biblique, grâce à un certain nombre d'indices qui vont se multiplier et vont acheminer le film vers cette voie. [25] Après la biographie d'Andreï Roublev, moine-peintre du XVème siècle russe, Andreï Tarkovski propose une transposition biblique de la création dans une époque contemporaine. Cette composante biblique est en permanence sous-jacente : elle donne au film son caractère constamment pesant, pensant et perçant : pesant, car les protagonistes et les objets acquièrent un poids constant. Même l'eau dans ce film est lourde, métallique. Les murs suintent avec des reflets gris acier, comme s'ils transpiraient. [26] Pensant, parce que tous les personnages adultes [27] sont anxieux : dos courbés par un poids moral, fronts ridés, traits tirés. Perçant, parce que nous allons découvrir le mystère de la "Zone", et pénétrer dans son secret. De plus, les trois caractéristiques citées, illustrent d'une manière cinématographique les apparences et les facettes d'une dramaturgie qui vont au-delà de la configuration filmique.

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Le passage du particulier au général

Le film ne se contente pas de re-présenter le drame de ces trois principaux protagonistes, mais encore, le drame de la destinée humaine : drame de l'excès (matérialisme du Professeur), drame du succès (mondanité de l'Ecrivain), drame de la place du sacré (spiritualisme hésitant du Stalker), et en fin de compte, le drame d'être. Jean Mitry, en citant Gisèle Brelet, écrit: (…) "Le drame c'est essentiellement un devenir" [28], "le drame sert de prétexte à l'évocation d'un climat" [29], "les événements sont orientés (ou choisis) en vue d'une certaine "finalité". [30] Dans Stalker, le climat est double, d'une part le climat proprement filmique, d'autre part, le climat social. Ainsi, Tarkovski anticipe d'une dizaine d'années, la chute du communisme, la fin de la guerre froide et la menace nucléaire (hantise du réalisateur). Il pose la question cruciale suivante : Que se passera-t-il après ? Comment l'homme va-t-il réagir à ces profonds changements ? Qu'est-ce qui de l'homme ou de la société, change ? Une fois de plus, nous assistons d'une manière frappante, à une convergence du monde filmique dans le monde contemporain. D'ailleurs, comme l'écrit à juste titre R. Dadoun : (…) "Toute image, quelle qu'elle soit, est comme intrinsèquement, du seul fait d'être là, marquée voire saturée par le politique." [31]

Regardons de près les images de ce film exceptionnel.


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Les pèlerins de la « Zone » (plans 2 – 42)

Le Professeur et le néon clignotant (plan 3)

Stalker, Photogramme - 2 : Plan 3. Le Professeur entre dans le bar, au-dessus de sa tête, un néon blanc ne cessera pas de clignoter.
Stalker, Photogramme - 2 : Plan 3. Le Professeur entre dans le bar, au-dessus de sa tête, un néon blanc ne cessera pas de clignoter.

Plan 3 : 01' 00" : "Le Professeur" est le premier protagoniste qui apparaît dans le film. C'est un physicien. Il entre dans un bar singulier, le sol est d'apparence mouillée, aux reflets brillants, presque argentés. Le Professeur porte un bonnet et tient une espèce de petit sac à dos, à bandoulière. Le bar est le lieu de rencontre des gens qui se rendent dans la "Zone". Au-dessus de sa tête un néon blanc [32] ne cessera pas de clignoter, c'est le premier témoignage d'une incertitude dominante dans le film. (Cf. Photogramme - 2.)

Le Professeur est le premier arrivé. Il est donc avant l'heure, c'est un indice de sa ponctualité. Nous l'apercevons le temps du défilement du générique du film. Aussitôt après, passe le texte que nous avons cité sur "le mystère de la Zone" (plan 4).

Mais contrairement au Professeur, Andreï Tarkovski, pour introduire le deuxième protagoniste du film, le Stalker, choisit de nous le présenter directement dans son appartement. Nous ne saurons rien des appartements respectifs du Professeur et de l'Écrivain. De plus un certain nombre de faits cinémantiques vont avoir lieu.

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Le Stalker : Gîte du guide (plans 5 - 14)

Stalker, Photogramme - 3 : Plan 5a. Le mur du fond a un aspect métallique, brillant.
Stalker, Photogramme - 3 : Plan 5a. Le mur du fond a un aspect métallique, brillant.

Stalker, Photogramme - 4 : Plan 6. Le plateau en fer qui vibre, en faisant déplacer le verre.
Stalker, Photogramme - 4 : Plan 6. Le plateau en fer qui vibre, en faisant déplacer le verre.

Plan 5 : 03' 34" : Avec un travelling avant très lent, "la caméra passe entre deux portes-fenêtres et cadre en plan d'ensemble une chambre. Au centre est disposé un lit à baldaquin en fer forgé."[33] Le mur du fond a un aspect métallique, brillant. (Cf. Photogramme – 3)

Plan 6  : La caméra poursuit son travelling pour venir en plan rapproché et en légère plongée sur un plateau en fer vibrant sur une table. (Cf. Photogramme – 4)

Nous entendons des sons de sifflets de train. Sur la table : (…) "Un verre d'eau, un bout de coton, deux comprimés, une sorte de petite boîte, un morceau de papier froissé." [34] Après la vibration de verre, grâce à un travelling lent à gauche, nous allons apercevoir dans l'ordre : la femme du Stalker, ensuite, une petite fille, Ouistiti, et enfin, un homme au crâne presque rasé, le Stalker. Un travelling repartira à droite, pour s'arrêter de nouveau sur le plateau qui continue de vibrer légèrement. [35]

Donc, le verre vibrant ponctue et isole l'introduction du Stalker et de sa famille. Et à la fin du film, le prodige de Ouistiti, (plan 144, dernier plan du film) ponctue le début et la fin du film. Quel est alors, l'intérêt de ce plan ? Est-il plastique ? Est-il métaphysique ? Est-ce que le sifflement du train et la vibration du verre sont comme un signal de départ pour le Stalker ? Est-ce que cela veut dire qu'il habite près d'une gare ? S'agit-il d'un centre de départ et d'arrivée imminentes ? Est-ce l'indice sismographique de la météorite ? Cette ponctuation peut être aussi considérée comme une parenthèse. Pour reprendre un terme tarkovskien, elle devient comme une strate supplémentaire, mieux encore, comme une strate cinémantique. Car le plateau devient une représentation métaphorique de la Zone, où tout change à chaque instant, où tout bouge. [36] E. Morin dirait une "représentation cosmomorphique". [37]

Plan 7 : 06' 20" : La première chose que le Stalker va faire en se levant du lit n'est pas d'enfiler son pantalon, mais de prendre le réveil, pour ne pas réveiller sa femme.

Stalker, Photogramme - 5 : Plan 8. La lumière s'illumine un instant avant d'imploser l'instant d'après.
Stalker, Photogramme - 5 : Plan 8. La lumière s'illumine un instant avant d'imploser l'instant d'après.

Plan 8 : 08' 25" : Le Stalker passe à la cuisine, il allume un chauffe-eau à gaz. Soudain, l'ampoule accrochée à un mince fil, au centre de la pièce, s'allume. "L'ampoule s'illumine un bref instant avant d'imploser.» (Cf. Photogramme - 5.)

Plan 9 : 09' 15" : « En contre-champ, la femme qui tient encore le fil de l'ampoule.» [38]L'image n'est-elle pas cinémantique ? N'annonce-t-elle pas l'éphémère, l'instantané ? C'est une représentation de la brève réaction de la femme du Stalker, qui découvre en une seconde dans toute sa lumière, l'éclatante vérité du départ du Stalker pour la «Zone». Elle tient à présent, un fil électrique au bout duquel ne règne que l'obscurité. Elle dit au Stalker : «Pourquoi as-tu pris mon réveil ? Dis où est-ce que tu vas ? Tu m'avais pourtant juré…»

Plan 10 : 09' 54" : Le Stalker se brosse les dents, il dit à sa femme, imperturbable : « Chut ! Tu vas réveiller Ouistiti !» Il continue à se brosser les dents. A gauche du cadre, les flammes du chauffe-eau. L'image, ici, suggère le feu de la détermination qui habite le Stalker. La permanence du feu s'oppose à l'éclair instantané de la lampe qui implose. Si cette dernière représente sa femme, la première représente le Stalker. De plus, l'une éclaire, l'autre chauffe. [39]Le Stalker crache de l'eau, se retourne et s'essuie la bouche avec une serviette.

Stalker, Photogramme - 6 : Plan 12a. Au passage du Stalker, la serviette tombe sans raison.
Stalker, Photogramme - 6 : Plan 12a. Au passage du Stalker, la serviette tombe sans raison.

Stalker, Photogramme - 7 : Plan 12b. La crise spasmodique de la femme du Stalker.
Stalker, Photogramme - 7 : Plan 12b. La crise spasmodique de la femme du Stalker.


Plan 12 : 11' 20" : Au passage du Stalker derrière sa femme, la serviette suspendue tombe au sol. (Cf. Photogramme - 6.) Les reproches de sa femme continuent, elle entre dans une espèce de crise spasmodique (couchée sur le sol), et veut l'empêcher de partir.(Cf. Photogramme - 7.)

Deux indices vont retenir notre attention : le crachat et la serviette. En ce qui concerne la serviette, (…) "Certaines croyances voient dans le fait de laisser tomber une serviette (de table, de toilette ou de bain) l'annonce d'une visite imprévue, bienvenue ou inopportune." [40] Or, nous allons nous apercevoir que ces deux actes [41] presque insignifiants et courants vont concourir à annoncer un sens imperceptible de l'image. Ils amorcent en fait, la suite filmique. En effet, au :

Plan 14 : 13' 00" : Le Stalker se rend sur une voie ferrée pour rencontrer le troisième et dernier protagoniste du film : l'Écrivain. A son arrivée, il est surpris de voir l'Écrivain accompagné d'une dame élégante. Les signes s'accumulent. L'enchaînement et l'accumulation des indices à l'intérieur des plans 9, 10, 12, et 14, sont, entre autres, un bel exemple démonstratif de la construction d’une image chez Tarkovski, quand il écrit (…) : "Je ne crois pas au caractère multistratifié du cinéma. La polyphonie filmique ne naît pas d'une multiplicité de strates, mais "d'un enrichissement progressif plan à plan", par leur succession et leur accumulation. Et il n'y a que cela : la polysémie de l'image réside dans sa nature intrinsèque." [42] Ces propos pertinents sur l'image cinématographique illustrent le poids des liaisons de l'image cinématographique: la construction de l'image passe d'abord par l'intermédiaire des composantes internes et spécifiques de l'image, et non pas par la densité du jeu de l'acteur. D'autre part, nous retiendrons de ces propos seulement ce qui est relatif à la cinémancie. Pour Tarkovski, l'image, le plan, n'est pas un espace fixe, statique, une nature morte dans laquelle nous disposons des accessoires décoratifs pour faire de belles compositions. Car, plus précisément (…) : "Une image artistique est une image qui assure son propre développement, sa propre perspective historique. Cette image est une semence, un organisme vivant qui évolue." [43] En fait, ces constatations concourent à édifier les bases évolutives de ce qu'il appelle "L'idée directrice, constructive." [44]

*
Transposition de la Bible ?

Comme nous l'avons déjà dit, nos hypothèses nous engagent sur une transposition sophistiquée de la Bible ; sophistiquée à la fois du point de vue de la forme filmique et du fond biblique. En effet, le Stalker et sa femme deviennent une transposition d'Adam et Eve, les premiers humains qui ont connu la "Zone". C'est l'arbre défendu qui portait le fruit défendu. [45] Dans cette allégorie, la "Zone" ressemble à un arbre par ses ramifications interminables. Ici, Eve ne mangera pas le fruit défendu, et Adam sera le guide des hommes, vers et dans cet arbre. Ils n'ont pas d'enfants dont l'un serait parricide. Ils ont une fille qui est dans la réalité du film, une mutante. Andreï Tarkovski écrit (…) : "Dans ce film, je veux faire comme explorer le rapport au jour présent, et me tourner vers le passé où l'humanité a commis tant d'erreurs qu'elle est contrainte de vivre aujourd'hui comme dans un brouillard. Le film parle de l'existence de Dieu dans l'homme, [46] et de la perte de la spiritualité par l'acquisition d'une connaissance trompeuse." [47] Stalker est en fin de compte une mutation de la Bible. C'est la Bible à l'envers et en désordre. L'Apocalypse[48] a déjà eu lieu. Est-ce l'œuvre d'une super civilisation ? Ou la chute d'un météorite ? Ce caractère apocalyptique assure les fondations catalogiques du film, où tout est renversé, où comme nous allons le voir : "Le chemin le plus droit, n'est pas forcément le chemin le plus court."


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Le chapeau de l’Ecrivain sur le capot (plan 14)

Stalker, Photogramme - 8 : Plan 14a. L’image de la fourrure de la belle dame est à prendre en considération, elle entre en résonance avec les nombreuses citations du monde animal.
Stalker, Photogramme - 8 : Plan 14a. L’image de la fourrure de la belle dame est à prendre en considération, elle entre en résonance avec les nombreuses citations du monde animal.

Stalker, Photogramme - 9 : Plan 14b. L'Écrivain perd son chapeau, posé sur le toit de la voiture. Notez le poteau dans l'image qui constitue "un obstacle".
Stalker, Photogramme - 9 : Plan 14b. L'Écrivain perd son chapeau, posé sur le toit de la voiture. Notez le poteau dans l'image qui constitue "un obstacle".


Au Plan 14, sur la voie ferrée, le Stalker surprend l'Écrivain en pleine discussion avec la belle dame.(Cf. Photogramme – 8.) Son discours est basé sur l'ennui. [49] Nous l'avons compris, l'Écrivain veut emmener avec lui dans la Zone, la belle dame. Toutefois, le Stalker ne voit pas les choses de la même façon. Il s'approche de la dame, et lui dit des mots inaudibles à l'oreille. Elle s'en va, en lançant à l'Écrivain: "Crétin." En partant dans sa voiture, elle emporte le chapeau de l'Écrivain qui était posé sur le toit de la voiture. La scène est presque burlesque, une voiture avec un chapeau. (Cf. Photogramme – 9.)


L'Écrivain s'aperçoit que son chapeau part avec sa voiture, il passe sa main sur sa tête nue.

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Les indices du chapeau

Le chapeau est un indice significatif (…) : "Le rôle du chapeau paraît correspondre à celui de la couronne, signe de pouvoir, de la souveraineté, et ce d'autant plus qu'il s'agissait autrefois d'un tricorne." [50] Car, "la corne symbolise la puissance, et le chiffre trois est magique. En outre, le chapeau couvre une partie de la tête, siège du cerveau et de la pensée." [51] Ici, le chapeau représente "la vie mondaine" de l'Écrivain. Mais c'est une mondanité qui va disparaître, emportée par la dame mondaine : le chapeau posé sur le toit de sa voiture, c'est le départ de cette vie mondaine (en vitesse). Ainsi, le chapeau, représente l'Écrivain, il devient l'Écrivain, et en laissant partir "son" chapeau, il laisse partir une partie de lui-même. Progressivement, nous allons assister à l'émergence du "vrai" visage de l'Écrivain, qui est par ailleurs le personnage le plus prolixe parmi les trois protagonistes silencieux et laconiques du film. [52]

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Trois protagonistes, trois couvre-chefs

Stalker, Photogramme - 10 : Plan 5. Dès son réveil, le Stalker aura une bande de tissu autour de cou.
Stalker, Photogramme - 10 : Plan 5. Dès son réveil, le Stalker aura une bande de tissu autour de cou.

Le fait que Tarkovski ait choisi trois personnages qui vont voyager dans les dédales de la Zone nous permet de mieux les observer. Nous sommes plus attentifs à leurs habitudes, à leurs manières, à leurs façons de se comporter, etc. Nous allons justement nous arrêter sur le couvre-chef respectif de chaque protagoniste. Nous venons de le voir, l'Écrivain porte un chapeau qu'il vient de surprendre partir. Le Professeur porte un bonnet, qu'il gardera presque tous le temps sur la tête. Le Stalker, enfin, a le crâne rasé, sauf qu'il porte au niveau du cou, une espèce de bandage médical qui, avec le temps, a perdu de sa blancheur et de sa tension : un bandage relâché, comme la laisse d'un animal. (Cf. Photogramme – 10.) La raison d'être de ce « collier de tissu », nous l'apprenons grâce à la biographie sommaire que le Professeur raconte à l'Écrivain, dans le long plan 44 : « Un séjour en prison, des mutilations ici (…) et sa fille qui est une "mutante", victime de la Zone. Elle n'aurait pas de jambes ! »

*
Le cas du Stalker

Nous n'en savons pas plus sur les "mutilations". En revanche grâce à sa femme nous en saurons davantage sur la prison, à la fin du plan 10 : « C'est en prison que tu rentreras ! Et tu écoperas non pas de cinq ans, mais de dix ans ! » Le Stalker lui lance une réponse qui prête à réfléchir : « En prison ! Mais je suis partout en prison. » D'ailleurs, le Stalker n'en dira pas plus. Durant la crise de sa femme, il ne parlera pas beaucoup, mais quand il parle, en quelques mots, il dit beaucoup.[53] Nous pouvons aussi déduire que même dans la Zone, "il est en prison", qu'il est tenu par une laisse à la Zone, comme celle qu'il porte au cou. Témoin du "développement" de cette image et de son évolution : c'est le chien noir de la Zone. Le Stalker, de retour de la Zone, va l'adopter. Au plan 134, dans le bar, la femme du Stalker dit, en désignant le chien : « D'où ça vient, ça. » Le Stalker lui dit : « Il s'est attaché à moi. Comment l'abandonner ? » Le « ça », ce prénom démonstratif désigne "le chien", mais il pourrait aussi désigner la Zone. Ça sera d'ailleurs une des grandes questions du film : est-ce que le chien noir symbolise la Zone ? Peut-être que, s'il ne la désigne pas directement, du moins il la personnifie. Ainsi, la réponse du Stalker est révélatrice. Mais lui aussi est attaché à la Zone. Cela, nous le verrons au fur et à mesure.

Pour le moment, nous revenons au film :


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Première manifestation de l’eau

Stalker, Photogramme - 11 : Plan 15. L’Ecrivain glisse et tombe genou à terre : (râlant) "C'est plein de flotte ici."
Stalker, Photogramme - 11 : Plan 15.L’Ecrivain glisse et tombe genou à terre : (râlant) "C'est plein de flotte ici."


Plan 15: 14' 55" : Le Stalker et l'Écrivain se rendent au bar, ils sont attendus par le Professeur. Avant d'entrer dans le bar, et en montant les quelques marches d'un escalier, l'Écrivain trébuche, glisse et tombe un genou à terre : « (râlant) C'est plein de flotte ici. ». (Cf. Photogramme – 11.) Ce court plan nous révèle deux indices. Le premier indice est la génuflexion involontaire de l'Écrivain. Le second indice c'est la raillerie de l'Écrivain, sur « la flotte ». En effet, cela n'est que le début, comme nous allons le voir, il sera souvent mouillé.


* * *


La question des « noms »

Stalker, Photogramme - 12 : Plan 16. Le Stalker qui donne des noms.
Stalker, Photogramme - 12 : Plan 16. Le Stalker qui donne des noms.


Plan 16a : 15' 13" : Les trois hommes sont réunis, ils ne vont plus se quitter, sauf au cours de petits incidents révélateurs.

Les présentations sont effectuées de la manière suivante : l'Écrivain dit au Professeur : « Alors, vous êtes vraiment un Professeur ?
- Le Professeur : Si vous voulez…
- L’Écrivain : Laissez-moi me présenter. Je m'appelle… Le Stalker le coupe sèchement :
- On vous appelle l'Écrivain.
- Le Professeur : Et moi, comment je m'appelle ?
- Le Stalker : Vous …, vous êtes le Professeur. » (Cf. Photogramme – 12.)


Cette question se pose dans le film d'une manière constante, nous la reverrons plus loin, à l’appui d’autres arguments.

Plan 16b : Au bout d'un moment, nous entendons un sifflet de train retentir. Le Stalker leur dit : « Vous entendez, c'est notre train. » Ils sortent du bar. Ils montent dans une jeep, et ici commence la seule course-poursuite de voiture qu'Andreï Tarkovski ait réalisée. (Plans 18 - 42 )


* * *

« L’Avant-Zone » : Disposition, citation et coloration (Plans 18 – 42 )

Stalker, Photogramme - 13 : Plan 19a. Un passage que la jeep va bientôt emprunté. Nous pouvons constater la haute qualité poétique de l’image.
Stalker, Photogramme - 13 : Plan 19a. Un passage que la jeep va bientôt emprunté. Nous pouvons constater la haute qualité poétique de l’image.

Stalker, Photogramme - 14 : Plan 19b. La jeep à l’arrêt.
Stalker, Photogramme - 14 : Plan 19b. La jeep à l’arrêt.

Stalker, Photogramme - 15 : Plan 21. Une autre rue, un autre passage. Comparer avec le plan 19a : Chaque rue présente sa propre physionomie.
Stalker, Photogramme - 15 : Plan 21. Une autre rue, un autre passage. Comparer avec le plan 19a : Chaque rue présente sa propre physionomie.

Jusqu'à preuve du contraire, la course-poursuite en général n'offre pas une base idéale pour un développement d'hypothèses cinémantiques. Cette remarque met l'accent sur le "caractère contemplatif" et méditatif de la cinémancie, dans laquelle l'observation et l'éveil aux données immédiates sont des facteurs fondamentaux.

Plusieurs détails vont retenir notre attention, en particulier : le sac du Professeur, les grillages et la lourde barrière sous laquelle l'Écrivain passe, en se baissant, pour aller de l'autre côté. En effet, cette dernière représente la pesante tâche que l'Écrivain va accomplir dans la Zone. Elle représente aussi la Zone, par le fait qu'elle constitue un obstacle. [54]


*


La course-poursuite

Plans 18 - 21 : Le Stalker prend le volant, allume les phares et démarre. Il roule sur des routes glissantes. A un moment, il arrête la jeep, le moteur arrêté, le Stalker est debout, il observe aux alentours.

Plan fixe sur une rue boueuse, pleines de larges flaques d’eau. (Cf. Photogramme – 13.) On entend une voiture s’approcher. Dans le brouillard, à droite du cadre, on aperçoit la jeep s’avancer. La jeep débouche sur une autre rue. Elle s’arrête. On entend le bruit d’un autre moteur. Le Stalker éteint le moteur, fait signe aux autres de se baisser. Il sort de la voiture et s’aplatit sur le sol humide : « Ne bougez pas ». (Cf. Photogramme – 14.) Apparaît au fond de la rue, à droite, une moto, qui repart aussitôt.

La jeep fait une marche arrière et disparaît derrière un pan de mur. La jeep réapparaît, et s’éloigne dans le prolongement embrumé de la rue. (Plan 20)

La jeep traverse un hangar plongé dans la pénombre, elle s’arrête au centre de la large ouverture d’un ancien double portail. Le Stalker demande à L’Écrivain : « Regardez s’il n’y a personne. » Ce dernier saute de la jeep, et marche vers l’intérieur du hangar. Le Stalker crie : « Allons, pressez-vous. » L’ Écrivain court, il s’arrête, il regarde à gauche, à droite, et se retourne vers les autres : « Il n’y a personne. » Il revient vers la jeep qui redémarre. Le Stalker lui dit en partant : « Allez vers l’autre sortie. » L’ Écrivain s’exécute, il va de l’autre côté, il sort du hangar et retrouve la jeep qui s’avance vers lui dans une rue jonchée de « longs et fins copeaux de bois blancs » [55] (Cf. Photogramme – 15.)



* * *


Les grilles et les barrières (plans 22 – 35)

Stalker, Photogramme - 16 : Plan 23. Le complice du Stalker recule en refermant le portail, il se retourne et court sur la voie où il trébuche et manque de tomber.
Stalker, Photogramme - 16 : Plan 23. Le complice du Stalker recule en refermant le portail, il se retourne et court sur la voie où il trébuche et manque de tomber.

Stalker, Photogramme - 17 : Plan 28a. L’ambiance électrique d’un poste de garde avec la barrière baissée.
Stalker, Photogramme - 17 : Plan 28a. L’ambiance électrique d’un poste de garde avec la barrière baissée.


Stalker, Photogramme - 18 : Plan 28b. A l’arrivée d’une locomotive la lumière double d’intensité et la barrière s’ouvre.
Stalker, Photogramme - 18 : Plan 28b. A l’arrivée d’une locomotive la lumière double d’intensité et la barrière s’ouvre.

Stalker, Photogramme - 19 : Plan 35. L’Écrivain se baisse sous la lourde barrière, pour passer de l’autre côté.
Stalker, Photogramme - 19 : Plan 35. L’Écrivain se baisse sous la lourde barrière, pour passer de l’autre côté.

Stalker, Photogramme - 20 : Plan 36. Image révélatrice du Professeur, son sac derrière le dos, qui monte un petit escalier, pour redescendre de l’autre côté, avec un escalier en miroir, qui est le contraire du premier.
Stalker, Photogramme - 20 : Plan 36. Image révélatrice du Professeur, son sac derrière le dos, qui monte un petit escalier, pour redescendre de l’autre côté, avec un escalier en miroir, qui est le contraire du premier.


Au fur et à mesure de la progression des trois hommes dans l’Avant-Zone, nous allons rencontrer deux figures qui vont s’imposer d’une manière récurrente, il s’agit des grilles et des barrières. Il faut noter que ces figures ont une forte connotation dans la représentation de l’interdit, du défendu et de l’exclu. De plus, ils ont une qualité de « transparence », si l’on ose dire, ils laissent entrevoir les espaces, tout en produisant une séparation.

Pourtant à travers ces obstacles et ces frontières protégées, le Stalker a des complices qui vont l’aider à franchir l’infranchissable. Nous allons rencontré un complice au plan suivant :

Plan 22 : Sur une voie ferrée et derrière un large portail doublement grillagé, apparaît le complice, il ouvre le portail afin de laisser passer une grosse locomotive, elle est aussitôt poursuivie par la jeep qui emprunte également la voie ferrée et sort dans la même direction que la locomotive.

Un fait singulier va nous intéresser :

Plan 23 : Gros plan du complice, mégot aux lèvres, il regarde la jeep s’éloigner. Il recule en refermant le portail, il se retourne et court sur la voie où il trébuche et manque de tomber. (Cf. Photogramme – 16.)

C’est le second trébuchement dans le film, et ce n’est pas le dernier. Andreï Tarkovski exploite cette figure afin de souligner la part d’hésitation de la part du protagoniste. En quelques secondes, il intensifie la charge de l’interdit. Il montre de la sorte que le complice a peur.

Plan 25 : A l’intérieur d’un hangar plongé dans l’obscurité. La jeep s’engage en marche arrière et s’arrête à la lisière de la porte. Le Stalker descend de la jeep, en demandant à ses compagnons : « Faites le guet, s’il vous plaît. » Et il se dirige de l’autre côté du hangar.

L’image de la voiture en marche arrière est intéressante, elle montre une idée d’une transgression, car, somme toute, les trois hommes sont des transgresseurs, ils refusent l’ordre établi. D’ailleurs, dans le hangar, nous aurons les révélations de l’Écrivain qui sont révélatrices :

Plan 26 : Le Professeur regarde à droite dans la direction du Stalker. L’Écrivain a la tête baissée sur ses mains, il lève la tête et commence à parler au Professeur : « Ce que je vous disais hier… c’était du bla-bla. Je me foutais de l’inspiration. D’ailleurs, comment savoir le nom… de ce que je veux ? Et comment savoir qu’en réalité, je ne veux pas ce que je veux ? Ou que je ne veux vraiment pas ce que je veux ? Ces choses sont insaisissables. Il suffit de les nommer et leur sens disparaît. (…) Mon « moi » voudrait que je devienne végétarien… et mon inconscient se languit d’un beau morceau de viande. Qu’est-ce que je veux vraiment ? » Ces propos anticipent les révélations (inspirées) de l’Écrivain au seuil de la « Chambre des Désirs », à la fin du film.

Deux images pertinentes vont suivre :

Plan 28 : Devant un poste de garde sur la voie ferrée, un policier casqué, près d’une barrière rayée noir et blanc surveille les environs. (Cf. Photogramme – 17.) L’image présente une ambiance générale électrique, survoltée si l’on ose dire, avec des nombreuses lumières puissantes accrochées à des poteaux en bois, le long de la voie ferrée. D’autres lumières vont s’illuminer, nous entendons le son d’une locomotive qui arrive. La barrière s’ouvre. (Cf. Photogramme – 18.) La locomotive apparaît, et s’arrête sous les feux des projecteurs. Des policiers avancent et inspectent le wagon chargé de matériel… électrique.

La variation brutale de la lumière est une grande qualité dans le film, nous l’avons déjà vu, une première fois au plan 8, avec l’ampoule qui implose, comme si elle annonçait un passage entre deux états différents, deux intensités différentes. Ensuite, lors de la course-poursuite, au plan 19a et 21. Nous aurons l’occasion de revoir ce type de variation plus loin. [56]

Nous n’avons pas fini de voir des barrières, en particulier celle du plan 35. Mais avant, les trois hommes vont finir par passer par le poste frontière, ainsi :

Plans 29 - 34 : A l’ouverture de la barrière, le Stalker se met au volant de la jeep en invitant ses compagnons de faire : « Plus vite ». La jeep surgit derrière la locomotive, et profite de son passage pour franchir le poste frontière sous le tir des policiers (plan 30). Une sirène s’enclenche. Les gardes continuent à tirer des longues rafales (plan 31). Mais, le Stalker réussit à se faufiler à travers ce passage mortel. La jeep débouche sur une rue, et fait encore une marche arrière (plan 33).

Plan 35 : La jeep arrive dans un hangar et elle s’arrête devant une barrière en bois. Le Stalker demande à l’Écrivain : « Allez voir si la draisine est sur la voie. » L’Écrivain répond : « Quelle draisine ? » Le Stalker insiste : « Allez, Allez ! » L’Écrivain descend de la jeep, et se baisse sous la lourde barrière, pour passer de l’autre côté. (Cf. Photogramme – 19.)Après quelques pas, une courte rafale broie le silence. Il se couche à terre et reste immobile. Nous sentons qu’il perd ses moyens. Le Professeur réagit et dit : « Laissez, je vais faire. » L’Écrivain retourne vers la jeep.

Plans 36 - 37 : Le Professeur, à travers les flaques et les gravats, monte un petit escalier. (Cf. Photogramme – 20.) Il explore les environs, il marche sur un petit muret. Des balles atteignent l’eau, créant des ondulations. Il arrive devant la draisine, il débloque le frein et la pousse légèrement (Plan 37.) Il fait signe aux autres de venir. L’Écrivain, portant le jerrican d’essence, s’achemine vers les rails. Le Stalker monte sur la draisine et place à l’arrière le jerrican. Il s’adresse au Professeur : « Laissez tomber votre sac, il vous gêne. » - Le Professeur : « Vous êtes parti comme pour une promenade, vous. »

Le Professeur et L’Écrivain montent sur la draisine. Le Professeur est devant avec le Stalker, L’Écrivain est derrière, dos à eux. La draisine démarre.

Plans 38 - 42 : L’Écrivain s’adresse au Stalker : « 
- Et s’ils nous rattrapent ?
- (Off) Jamais ! Ils en ont peur comme de la peste.
- Peur de qui ? »
Le Stalker ne répond pas. L’Ecrivain baisse les yeux et s’assoupit.

Les plans 39 à 42 montrent des gros plans des têtes des trois protagonistes. Ils arrivent enfin dans la Zone. C’est la fin de la voie ferrée, nous assistons au début de la couleur.


* * *


« La Zone » : Solutions, inspirations et convictions (Plans 43 -131)

L’extérieur de la « Zone »

Les poteaux de la « Zone » - 1 -

Stalker, Photogramme - 21 : Plan 44a. Premier plan sur l’extérieur de la Zone.
Stalker, Photogramme - 21 : Plan 44a. Premier plan sur l’extérieur de la Zone.

Stalker, Photogramme - 22 : Plan 44b. L’allusion à Porc-épic.
Stalker, Photogramme - 22 : Plan 44b. L’allusion à Porc-épic.

Stalker, Photogramme - 23 : Plan 44c. Première citation des « bandelettes lestées à des écrous ».
Stalker, Photogramme - 23 : Plan 44c. Première citation des « bandelettes lestées à des écrous ».


Plans 43 - 44 : 36' 22" : L’extérieure de la Zone est un paysage brumeux, au premier plan, des herbes et des arbres, au fond, une forêt et un fleuve. (Cf. Photogramme – 21.) Parmi les rares vestiges d'une civilisation passée, nous distinguons des poteaux électriques en bois penchés de côté. La disposition particulière des deux poteaux va nous introduire de nouveau dans une dimension biblique. En effet l'image inclut et suggère, si l'on ose dire, (...) "les croix du Golgotha", "ce qui veut dire lieu des crânes." [57] La fugacité et la présence étincelante de cette portion d'image sont à comparer, par exemple, avec l'ampoule qui implose au plan 8. Il nous semble qu'une grande part de l'art cinématographique de Tarkovski réside dans la mise en œuvre de "moments-clés", de "moments-éclairs". A ce propos le cinéaste écrit que : "La polysémie de l'image réside dans sa nature intrinsèque." [58] Mais, cette "image" devient une image-éclair qui structure alors l'ensemble de l'épisode, voire l'ensemble du film. Cela explique l'importance de certaines séquences longues, car les unes sans les autres ne peuvent coexister.

Ainsi, grâce à la simple présence de cette puissante figure ascensionnelle, la croix, Tarkovski suggère donc, par extension (et par culture) le port de la croix. Il reste à savoir qui des trois protagonistes est le Christ. Est-ce que c'est l'Écrivain ? Comme nous allons le voir au plan 120, des fils de fer enchevêtrés rappelant une couronne d'épines, qu'il disposera sur sa tête, pourraient le désigner comme le Christ ? Est-ce que cela veut dire qu'il est sur la voie du Christ ? "Un Christ" qui s'intronise? Est-ce que la voie du Christ est accessible à ceux qui la choisissent ?

Le Stalker va rompre le silence : « Nous voilà chez nous. Quel silence. C’est l’endroit le plus calme de terre. Vous le verrez vous-mêmes. C’est si beau ici : il n’y a personne. »
- Le Professeur : « Mais nous sommes là ! »
- Stalker : « Trois hommes ne peuvent tout souiller en un jour. »
- Le Professeur : « Et pourquoi pas ? » (Voir : Clédon)
- Stalker : «  Bizarre, les fleurs n’embaument pas. Ou alors c’est moi… Vous ne sentez pas. »
- Le Professeur : « Ça pue la vase, c’est ce que je sens. »
- Stalker : « C’est la rivière, elle est tout près. Il y avait un parterre de fleurs. « Porc-épic » les a écrasées en égalisant la terre… »
- Le Professeur : « Pourquoi les a-t-il écrasées ? »
- Stalker : «  Je ne sais pas. Je lui ai demandé : pourquoi ? Il a dit : un jour tu comprendras. Je pense qu’il s’est mis à haïr la Zone. »
- Le Professeur : « C’est son vrai nom, Porc-épic ? » (Cf. Photogramme – 22.)
- Stalker : « Il en a mené des gens dans la Zone sans que personne ne s’y oppose. C’est mon maître, il m’a ouvert les yeux. A l’époque, on ne l’appelait pas Porc-épic, on l’appelait Maître. Et puis, il lui est arrivé quelque chose… ça s’est brisé en lui… (Il s’approche du Professeur) Voudriez-vous attacher ces bandes à ces écrous ? (Cf. Photogramme – 23.) (…) Moi, je vais aller faire un tour. »
- L’Écrivain : « Où va-t-il ? »
- Le Professeur : « Peut-être veut-il rester seul. »
- L’Écrivain : « Pourtant, même à trois, on ne se sent pas très à l’aise ici. »
- Le Professeur : « Un rendez-vous avec la Zone. C’est un Stalker, lui. »
- L’Écrivain : « Et alors ? »
- Le Professeur : « Être Stalker : c’est une vocation, en quelque sorte. »
- L’Écrivain : « Je me l’imaginais différent. »
- Le Professeur : « Et comment ? »
- L’Écrivain : «  Genre Œil-de-lynx, Géronimo, Serpent rusé…»
- Le Professeur : « Sa biographie à lui est plus terrible encore. Un séjour en prison, des mutilations ici… et sa fille qui est une « mutante », victime de la Zone. Elle n’aurait pas de jambes ! »
- L’Écrivain : « Qu’en est-il pour ce… Porc-épic ? Que signifie : « il a été puni » ? Est-ce une figure de style ?» - Le Professeur : « Un jour, Porc-épic est revenue d’ici, de la Zone… et subitement il est devenu riche. Incroyablement riche. »
- L’Écrivain : « C’est une punition, ça ?  »
- Le Professeur : « Une semaine après, il s’est pendu. »
- L’Écrivain : « Pourquoi ?  »
- Le Professeur : « Chut » (on entend un hurlement de loup)
- L’Écrivain : « Et ça, qu’est-ce que c’est.  »

*
La question de la dénomination - 2 -

Nous l’avons déjà vu, cette question se pose dans ce film d'une manière constante. De plus, nous distinguons deux types de noms : les noms de fonctions, Professeur, Écrivain, Stalker, Maître ; et les noms d'animaux, Porc-épic, Ouistiti. Nous rappelons l'origine du mot Stalker selon Andreï Tarkovski "to stalk : marcher à pas de loup." [59] A cela s'ajoute dans le prolongement du dialogue au plan 44, l'Écrivain qui "imaginait le Stalker, genre Œil-de-lynx, Géronimo, Serpent rusé…" Et dans le plan 97, devant l'obscurité inquiétante du "tunnel-hachoir", l'Écrivain dit : " C'est plutôt sombre, hein Professeur ? Je ne tiens pas à m'y aventurer le premier. Serpent rusé ne se porte pas volontaire." L'Écrivain devient-il un Stalker ?


Voir : Porc-épic


*


Le petit tour du Stalker

Stalker, Photogramme - 24 : Plan 45. Une image furtive, un arbuste où sont emmêlées des toiles d’araignées, ne suggère-t-elle pas un aperçu de la Zone ?
Stalker, Photogramme - 24 : Plan 45. Une image furtive, un arbuste où sont emmêlées des toiles d’araignées, ne suggère-t-elle pas un aperçu de la Zone.

Stalker, Photogramme - 25 : Plan 46. Au milieu des herbes hautes, le Stalker s’agenouille. Est-ce un témoignage de vénération ?
Stalker, Photogramme - 25 : Plan 46. Au milieu des herbes hautes, le Stalker s’agenouille. Est-ce un témoignage de vénération ?


Plan 45 : Nous entendons des bruits de pas dans l’herbe. Nous découvrons un arbuste où sont emmêlées des toiles d’araignées. (Cf. Photogramme – 24.) L’image est pertinente, elle suggère d’une part, les méandres confondues de la Zone, avec des réseaux indéterminés, et d’autre part, elle représente un complexe de filet, qui sont les dangers de la Zone.

Plans 46 - 47 : Le Stalker apparaît au milieu des herbes hautes. Il s’agenouille progressivement. (Cf. Photogramme – 25.) Nous entendons sa respiration. Il s’allonge de tout son long dans les herbes, ventre contre terre. La tête du Stalker reste immobile, posée sur une main. Ensuite, il se retourne, les yeux fermés, puis, il les ouvre à demi.


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Les bandes de tissu lestées par des écrous

Stalker, Photogramme - 26 : Plan 48a. Le Professeur plie la bandelette en deux afin d'obtenir une boucle, qu'il introduit dans le trou de l'écrou. Il fait passer les bouts du tissu dans la boucle et tire en serrant.
Stalker, Photogramme - 26 : Plan 48a. Le Professeur plie la bandelette en deux afin d'obtenir une boucle, qu'il introduit dans le trou de l'écrou. Il fait passer les bouts du tissu dans la boucle et tire en serrant.

Stalker, Photogramme - 27 : Plan 48b. Le Professeur en fait trois bandelettes lestées par des écrous, comme les trois protagonistes.
Stalker, Photogramme - 27 : Plan 48b. Le Professeur en fait trois bandelettes lestées par des écrous, comme les trois protagonistes.


Plan 48 : 43' 02" : Retour au Professeur qui parle à l’Écrivain : « Il ya une vingtaine d’années, une métorite serait tombée à cet endroit. Le village a été réduit en cendres. (…) » Le professeur cherche dans son sac les écrous afin de les lester aux bandelettes. «Puis, les gens se sont mis à disparaître… (…)Finalement on a conclu que ce météorite… n’en était pas tout à fait un… pour commencer… on a posé le fil de fer barbelé, pour préserver les curieux. »

Le Professeur commence à lester les bandelettes avec des écrous, qui ressemblent à des anneaux. Il attache consciencieusement le ruban de gaze à l'un des écrous. C'est grâce à ces écrous que le Stalker va guider les deux personnes dans la Zone. Il plie la bandelette en deux afin d'obtenir une boucle, qu'il introduit dans le trou de l'écrou. Il fait passer les bouts du tissu dans la boucle et tire en serrant. (Cf. Photogramme – 26.) Il en fait trois de la sorte, comme les trois protagonistes. (Cf. Photogramme – 27.)


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L'ambivalence marquée de l’écrou

Nous constatons que le Professeur fait le nœud machinalement, comme s'il l'avait toujours fait. C'est une image qui a l'apparence d'une "image-clé", car elle renferme à elle seule un certain nombre de catégories symboliques qui s'enchevêtrent. D'abord, l'écrou polygonal ressemble à un anneau. Ensuite, le nœud de la bandelette, la boucle et l'entrelacs font partie de "la physionomie du film".

L’ambivalence de l’écrou-anneau vient du fait (…) "que l'anneau relie en même temps qu'il isole, ce qui n'est pas sans rappeler la relation dialectique maître-esclave." [60] Le témoignage de cette relation maître-esclave est clairement dévoilé au plan 55, après que le Stalker a lancé une bandelette lestée. L'Écrivain se baisse et tire sur une racine qui fait trembler un arbuste. Le Stalker, hors de lui crie : "Arrêtez, c'est interdit." (Plan 56.) Il lance sur l'Écrivain une barre de fer, en criant : "N'y touchez pas, je vous dis ! (...) Ce n'est pas un lieu de promenade. La Zone demande du respect, sinon elle châtie." (Plan 57.) [61] Mais le Stalker dominateur est à son tour dominé par la Zone. Car, le nœud, comme l'anneau, est aussi ambivalent. Les significations sont fort nombreuses.


*
Le nœud de la boucle

Dans le système varié des nœuds, ce nœud s'appelle "l'empile à boucle". En effet, si la bandelette suggère les petits trajets effectués par les protagonistes, la boucle détermine le film en boucle, et les entrelacs enfin, proposent les ramifications de la Zone. Cette accumulation de symboles est au cœur même du "stalkrisme", si l'on ose dire, sa raison d'être. Ces bandelettes lestées sont les véritables clés de la Zone. Elles ouvrent des portes invisibles. C'est une problématique tarkovskienne. Dans "la maison de la fin du monde", du film Nostalghia, Domenico traverse une porte plantée au milieu d'une pièce, qui n'a aucune raison d'être. Ici, c'est grâce à ces bandelettes lestées que les deux visiteurs vont pouvoir progresser dans la Zone, à travers des passages invisibles. (A partir du plan 52.) Le Stalker procède de la façon suivante : il lance l'écrou auquel est attachée la bandelette, qui atterrit à un endroit donné. L'écrou semble ainsi muni de petites "ailes" blanches. Le Professeur et l'Écrivain se dirigent vers le point de chute, [62] le Stalker les suit. Ils ramassent l'écrou et le Stalker recommence son geste.


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Les symbolismes du nœud

On en retiendra surtout la notion de fixation dans un état déterminé, (…) " de condensation ou en terminologie bouddhique, "d'agrégat". On parle de nœud de l'action, de dénouement, de nœud vital. Le défaire correspond, soit à la crise ou à la mort, soit à la solution et à la délivrance. (…) Car le nœud est contrainte, complication, complexe, "entortillement" [63] ; mais les nœuds sont, par la corde, [64] reliés à leur principe." [65] Les nœuds entrent aussi dans le cadre des pratiques magiques [66]  : (…) "On pourrait les classer dans deux rubriques : 1. Les liens magiques utilisés contre les adversaires humains. 2. Les nœuds et les liens bénéfiques, moyens de défense contre les animaux sauvages, contre les maladies et les sortilèges, contre les démons et la mort." [67]

Par ailleurs, un aspect du mythe gordien est transposé dans le film. Nous avons vu la simplicité du nœud dit de l'empile à boucle. L'aspect peu complexe du nœud correspond à la fragilité des souhaits du Professeur : il emporte avec lui une bombe de vingt kilotonnes, espérant anéantir la Zone. Il accède à son "souhait" (plan 125). Mais quelques instants plus tard, il "désempile" la bombe et il la jette au quatre coins de "l'Antichambre". Le Professeur contribue à nouer les écrous, comme par ailleurs il contribue à fabriquer la bombe. Le "nœud" a été dénoué, aussi facilement qu'il a été noué (plan 131). En fait, chacun des trois protagonistes effectue ou effectuera à un moment donné un type de nœud. Nous venons de voir les réalisations du Professeur. Le Stalker dispose d'un nœud permanent autour du cou, comme s'il était attaché définitivement à la Zone, comme s'il avait la Zone "en collier". Enfin, L'Écrivain confectionnera la couronne d'épines qui ressemble à un grand nœud qu'il dispose sur sa tête. Ces différents niveaux de localisation anatomiques : tête, cou, dos, correspondent aux aboutissements de la destination supposée, à travers les méandres psychologiques de l'âme. Nous constatons qu'il y a une direction symbolique ascensionnelle, notamment avec la couronne de l'Écrivain.


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Le rapport avec le livre des Strougatski

Il nous semble que le procédé des « bandelettes lestées par des écrous » n'a pas pris dans le film tout le poids dramatique qu'il mérite, sans doute pour des raisons techniques. En effet, dans le livre des Strougatski, le Stalker Shouhart dit à Kiril : (…) " Tu te rappelles l'histoire du Petit Poucet ? On te l'a apprise à l'école ? Eh bien, maintenant ça va être l'inverse." (…) Je jetai le quatrième écrou. Et celui-ci, justement, ne passa pas. Je ne pouvais pas expliquer ce qui n'allait pas, mais je sentis qu'il y avait quelque chose. (…) Je pris le cinquième écrou et l'envoyai plus haut et plus loin. La voilà, la "calvitie de moustique !" L'écrou partit vers le haut normalement, il commença à tomber aussi normalement, mais à mi-chemin, ce fut comme si quelqu'un l'avait tiré de côté avec une telle force qu'il s'enfonça dans l'argile et disparut." Dans le livre, la Zone est terriblement dangereuse, avec des lieux et des pièges indescriptibles, outre "la calvitie de moustique", il y a " la gelée de sorcière ", "(qui) pointait ses langues bleues, semblables aux flammèches de l'alcool hors du trou et, le comble, n'éclairait rien du tout" (p. 39), "le duvet brûlant" (p. 25), les crachats du "chou du diable" (p. 25), etc. [68] Ainsi dans le livre, le danger est permanent et "visuel" ; dans le film, le danger est surtout textuel. Andreï Tarkovski élimine toute référence à la science-fiction, [69] il ne garde que la "Chambre des Désirs", ("la boule d'or" dans le livre) qui est la quête de quelques voyageurs audacieux.


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Les dangers dans le film

Les "dangers" de la Zone sont exprimés par le Stalker lui-même, [70] car il les connaît et il les a vus, Ainsi, au plan 65, il dit : "La Zone est un système très compliqué. Il y a plein de pièges, qui sont tous mortels.(…) Des pièges disparaissent, d'autres les remplacent.(…)" Ou alors, le danger est exprimé par la Zone elle-même. Comme au plan 61, quand l'Écrivain voulait "prendre le chemin le plus court", une "voix" l'arrête : "Halte, ne bougez pas." Avec ce parti pris, il nous semble qu'Andreï Tarkovski réalise une "inversion des cadres" de projection de la réalité, c'est-à-dire que ce que nous voyons constitue les cadres de la conscience des protagonistes, [71]comme le dit d'ailleurs le Stalker, au plan 65 : "C'est ça la Zone. (…) à chaque instant, elle est telle que l'avons faite, (…) par notre propre état d'esprit. (…) Tout ce qui se passe ici dépend non de la Zone, mais de nous." Donc, en résumé, la Zone est compliquée, mortelle et capricieuse. Pour y progresser, il faut "stalker", marcher à pas de loup. La bandelette lestée constitue "l'appât" mécanique du complexe organique de la Zone.


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La suite est en préparation, en attendant vous pouvez lire la page suivante : Plan 37.



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Conclusions

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Les faits et les caractères cinémantiques du film

Nous constatons que les strates du film ne s'organisent pas d'une façon cohérente. En effet, le développement sémantique d'un certain nombre de plans du début résonne souvent dans un plan qui se trouve à la fin du film. [72] Il en va ainsi du plateau vibrant au plan 6, qui trouve son développement au plan 144, du bonnet et du sac à dos du Professeur au plan 3 et de leurs développements multiples, des ramifications des bandelettes lestées, etc. Cela implique que nous pouvons distinguer pour le moment trois caractères dominants de la cinémancie : la topo-analyse, la spatio-temporalité et le formalisme. Nous avons abordé la topo-analyse avec Nostalghia ; la spatio-temporalité concerne l'ordre du déroulement des événements dans l'espace et dans le complexe du temps : le temps diégétique, culturel et universel (le chapeau de l'Écrivain ou les développements mythiques du "Porc-épic") ; et enfin, la formalité qui s'inscrit pour Stalker à un double niveau, d'une part, il s'agit de la structure formelle à l'intérieur d'un plan, c'est la relation des objets-choses avec les protagonistes ; d'autre part, il s'agit de la "forme générale" d'un film qui s'appuie sur des formes géométriques.

Par ailleurs, les faits cinémantiques s'inscrivent sur plusieurs registres, [73] et, nous pouvons dire, finalement, que le dénominateur commun qui les soulignent, est le caractère de variabilité. En effet, ce caractère constitue un complexe dans lequel il faut distinguer plusieurs paramètres : celui de la matière (une chose, un mot ou un son) ; de l'objet (taille et structure) ; de la forme (situation et position), et enfin, de la durée des instants. [74] En outre, ces paramètres sont toujours inclus dans une série, qui est elle-même incluse dans une autre série, et ainsi de suite. Ainsi, un film nous livre "le modèle fixe", immuable, d'un certain nombre de séries. Ceci nous pousse à croire qu'il y a un nombre limité de séries, mais un nombre considérable de variantes de séries. [75] Cela démontre que nos intuitions sont cohérentes, puisqu'il suffit qu'il y ait un simple fait cinémantique dans un film, pour qu'il soit aussitôt inscrit dans une série. Ainsi, un résumé succinct du film Stalker, nous permettra de voir plus clair. (Cf. Tableau général du film Stalker. )

Légendes des deux dernières colonnes :

- Flèche vers le bas : ↓  : relation cinémantique ponctuelle
- Flèche à droite : ←  : relation cinémantique en chaîne

Plans Titre séquence Objet Position
Plans
1 - 4
I - Prologue Chute d'un météorite
Le Bar Le Professeur Néon Plan 3
Bonnet Plan 3
Sac Plans
3 - 125
Plans
5 - 13
I - 1. Appartement Le Stalker Plateau Plan 6
Ampoule Plan 9
Chauffe-eau Plan 9
Serviette Plan 12
Plans
14 - 17
I - 2. 1. Bar 2 L'Écrivain Chapeau Plan 14
Trébuchement I Plan 15
Plans
18 - 42
I - 2. 2. Course-poursuite Barrière Plan 35
I - 2. 3. Sac à dos
Bombe
Plans
3 - 125
Plans
43 - 51
II -
« L'Avant-Zone »
Bandelettes lestées Plan 48
Anneau Plan 48
Animaux Plans 44,
97, 131, 141.
Poteau Plan 49
Bande-son
Plans
52 - 131
III - « La Zone »
III - 1. Le danger Danger verbale Plan 61
III - 2. Le trébuchement du Prof. Trébuchement II Plans
69 et 74
III - 3. Les travellings Danger social Plans
73 - 89
III - 4. L'ordalie du Tunnel-hachoir Allumettes Plans
96-97
III - 5. Le Bunker Pierre/Puits Plans
111-118
Plans
131 - 144
IV -
« L'Après-Zone »
Chien noir Plan 141
Trois verres Plan 144

Soulignons d'abord que les indices qui correspondent à chacun des trois personnages correspondent plus ou moins à leurs fonctions : le Professeur plie son bonnet dans la poche, comme s'il pliait ses idées (la bombe) dans un sac à dos ; l'Écrivain perd son chapeau et le remplacera plus tard par une couronne, qui représente une espèce d'ouverture spirituelle ; enfin, la plupart des indices dans l'appartement du Stalker ont pour dénominateur commun l'eau : le verre comme contenant du liquide fuyant, le chauffe-eau agent d'ébullition, la salive substitut du liquide intérieur, du liquide intime, la serviette comme agent nettoyant, absorbant. La redondance de cet élément primordial donne au film un caractère organique d'humidité, placentaire, comme une invitation au voyage. Ce caractère s'associe avec les nœuds des écrous, qui annoncent par prolongation la vie marine et la navigation. Comme le dira le Stalker au plan 51, au moment de quitter l'avant-Zone, pour entrer enfin dans la Zone proprement dite : "Chaque fois, j'indiquerai la direction. (…) Le premier point de repère est ce dernier poteau." Ici, ils (les protagonistes) larguent les amarres.


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La forme cinémantique du film

Lire la page


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Le fond cinémantique du film

Lire la page.


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Liens spécifiques du film

Stalker (Fiche technique et aspects extra-filmiques)


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Le départ pour la « Zone » : Description, composition et situation (Plans 3 – 42)

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« L’Avant-Zone » : Disposition, citation et coloration (Plans 43 – 50 )

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« La Zone » : Solutions, inspirations et convictions (Plans 51 -131)

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« L’Après-Zone » : Position, direction et orientation (Plans 131 -144)

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Conclusion (provisoire) :


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Notes et références

  1. "Le physicien" dans le film s'appelle "Le professeur", nous n'avons pas modifié le texte.
  2. Plaquette présentation du film, Film de ma vie, Editions FNAC, 1979.
  3. Toutes les traductions proviennent du dictionnaire bilingue Harrap's Shorter.
  4. Deux substantifs (s.) et un verbe (v.) : a- "Stalk" : (s.) 1. Démarche fière. 2. Chasse à l'approche. b- "Stalk" : 1. (v. intransitive.) "To stalk", "marcher d'un pas majestueux, marcher à grand pas." 2. (v. transitif.) "Traquer (la bête) à l'approche. Chasser à l'approche", "Deer-stalking" : 1. Chasseur de cerf ; 2. Chapeau de chasse. "Stalking-horse" 1. Cheval d'abri ; 2. Prétexte, masque. c- Stalk : (s.) 1. Tige (de plante) ; queue (de fruit) trognon (de chou) ; 2. Pied (de verre à vin).
  5. Andreï Tarkovski, Cahier Journal 1970-1986, op. cit., p. 114.
  6. Arcadi et Boris Strougatski, Pique-nique au bord du chemin. Titre original : Piknik na Obotchine. Traduit en français par Sveltana Delmotte, Editions Denoël, 1981. Paru pour la première fois dans la revue soviétique Avrora, n° 7, 8, 9, 1972.
  7. Dans le cadre de scénarios et de projets non réalisés : sur Dostoïevski (1970) ; de Dostoïevski : L'Adolescent (1970), L'Idiot (1973), Crime et Châtiment (1978), Le double (1980).
  8. Ce qui était pertinent à l'époque, le milieu du XIXème siècle. Ainsi les instants dramatiques d'un héros deviennent "l'histoire du livre". Il en va ainsi chez Dostoïevski (1821-1881) dans l'Idiot (1868), Crime et châtiment (1865), Les Frères Karamazov, Les Possédés. Jacques Gerstenkorn et Sylvie Strudel écrivent à ce propos que : (…) "(Le Stalker) se rattache en droite ligne à ces fameuses figures christiques qui illuminent l'univers romanesque de Dostoïevski." Cf. "Stalker, La Quête et la foi, ou Le dernier souffle de l'esprit" , Article paru dans, Etudes cinématographiques, op. cit., p. 82.
  9. "A l'origine, dans le livre des Strougatski, le Stalker est un jeune homme, il s'appelle Redrick Shouhart. Le livre commence quand il avait 23 ans.
    Titre complet du 1er chapitre : Redrick Souhart, 23 ans, Célibataire, préparateur de la Filiale Harmontoise de l'Institut International des Cultures Extra-terrestres.
    2ème chapitre : R. S. 28 ans, marié, sans profession.
    3ème chapitre : Richard Nounane, 51 ans, représentant des Fournisseurs de l'Equipement Electronique auprès de la Filiale Harmontoise de l'I.I.C.E.
    4ème chapitre : R.S. 31 ans.
  10. Filip Ermach : Président du Goskino de 1972-1986.
  11. Nikolaï Sizov : Nouveau directeur du studio Mosfilm, depuis novembre 1970. Il a les droits du vice-président du Goskino (Comité d'état pour le cinéma, son président a rang de ministre), contrôle la production la distribution et l'exploitation des films en URSS.
  12. ETO : Unité de production expérimentale à Mosfilm.
  13. Isfara : Ville d'Ouzbékistan, où devait être filmée la Zone ; le tournage a eu lieu finalement en Estonie.
  14. Finalement, c'est Andreï Tarkovski lui-même qui fera le décor.
  15. Il a en effet ses qualités dans le livre des Strougatski.
  16. La Recherche du Temps Perdu, tome 3, Le côté Guermantes, 1ère partie, p. 139.
  17. Soulignons au passage le changement de registre du statut de l'objet d'une plume dans Nostalghia, nous passons à un météorite. Nous allons constater comment cet "objet" va dessiner toute la physionomie du film.
  18. Certes, comme le souligne M. Dominique Avron, à titre personnel, il peut y avoir un lapsus à propos du caractère catalogique, dans lequel il fait la distinction entre un "objet humain" (perdus, jetés, etc.) et des "objets non-humains" (météorite). En fait cette question a été abordée dans le Mémoire de D.E.A. (op. cit.) Elle concerne "le propriétaire d'un objet" (soit il est personnel, soit il appartient à un tiers). Dans tous les cas, ce qui compte, c'est "l'émanation" de l'objet sur l'humain.
  19. Cf. J. Mitry, op. cit., tome 1, p. 84.
  20. Le découpage des plans du film repose sur la revue Stalker, L'Avant-Scène Cinéma, décembre 1993, N° 427.
  21. Ibid, p. 14.
  22. C'est une autre question du film : est-ce un bonheur ou un malheur ? Nous aurons une autre indication à ce sujet, au plan 48 : Le Professeur : "Finalement en a conclu que ce météorite, (…) n'en était pas tout à fait un, (…) Et pour commencer, on a posé le fil de fer barbelé…
  23. Yves-Marie Dumontier, Stalker, une introduction à une approche géopolitique du cinéma, mémoire de D.E.A. Cinéma, Paris III, 1999.
  24. Chevalier/Gherrbrant, Dictionnaire des Symboles, op. cit., p. 10.
  25. Il n'est pas faux non plus de dire que la plupart des films d'Andreï Tarkovski s'engagent dans une voie biblique. Toutefois "l'aspect religieux" est principalement axé dans sa vertu de conduire l'homme dans une ascension sacralisante. Il ne s'agit pas de délivrer un "message" religieux (comme une doctrine), mais d'engager l'homme dans une réconciliation avec la "nature".
  26. Nous rappelons que le décor a été exécuté par Andreï Tarkovski (et de A. Merkoulov), ce qui donne à ce film un caractère supplémentaire du fait de l'intervention directe de l'auteur.
  27. Une enfant "Ouistiti", qui est la fille du Stalker, ouvre et clôt le film. Elle a, quand elle pense, un pouvoir télékinésique : elle peut déplacer les objets à distance.
  28. Jean Mitry, Esthétique et psychologie du cinéma, Editions universitaires, 1963, tome 1, p. 307. La question est souvent analysée par J. Mitry. Voir tome 1 : (…) "La composition filmique suppose et implique nécessairement deux plans compositionnels : la composition dramatique (ou du "réel" représenté)… ; et la composition esthétique ou plastique… " pp. 171-172 ; "Dramatisation de la peinture", pp. 255-256 ; "Le temps dramatique", §. 43. Temps et espace en musique, pp. 307-311 ; 376. Tome 2 : Section VI, Temps et espace du drame : Chapitre 14, En quête d'une dramaturgie, pp. 281-368 ; Chapitre 15, Le fonds et la forme, §. 77. Dramaturgie d'un film, pp. 385-405.
  29. Op. cit., tome 2, p. 303.
  30. Op. cit., tome 2, p. 308.
  31. Cinéma, psychanalyse et politique, op. cit., p. 14.
  32. Article Gérard Pangon, "Un film du doute sous le signe de la trinité", Etudes cinématographiques, Andreï Tarkovski, op. cit., p. 105.
  33. Andreï Tarkovski, Stalker, L'Avant-Scène Cinéma, op. cit., p. 14.
  34. Ibid, p. 14.
  35. G. Pangon : […] " Le signe de la Croix est donc là…", op. cit., p.106.
  36. Une allusion au tremblement de terre que nous avons évoqué précédemment ?
  37. "Le cosmomorphisme, c'est-à-dire une tendance à charger l'homme de présence cosmique." op. cit., p. 77.
  38. Ibid, p. 14.
  39. Cette idée ou ce couple feu/lumière est proposé dans le 1er épisode du Miroir, « Le Feu au Fenil» avec le verre de la lampe à pétrole et le feu au fenil. Ici, les rapports ne sont pas de la même envergure, puisque la vie familiale est entre parenthèses dans Stalker (disposé au début et à la fin du film), tandis que dans Le Miroir la famille est le centre du film. C'est aussi d'autre part, un cas de "résonance latéral".
  40. Éloïse Mozzani, Le livre des Superstitions, op. cit.,p. 1637.
  41. Cf. J. Mitry, op. cit., tome 2, p. 112 ; 309. G. Deleuze, op. cit.,tome 1, p. 95. F. Cesarman, op. cit.,p. 193.
  42. Andreï Tarkovski, Cahier Journal 1970-1986, op. cit.,p. 99 : le 4 février 1974.
  43. Ibid. p. 98 : le 3 février 1974.
  44. Ibid. p.123 : le 3 juin 1975. Ce point est développé dans Nostalghia. Cf. Cahier Journal, 1977 et "L'importance du premier plan d'un film". Par ailleurs, "une idée directrice" a toujours pour base une certaine "réalité tangible" issue d'une certaine vision de l'humanité.
  45. "La boule d'or", dans le livre des Strougatski. Op. cit.
  46. C'est un point de vue comparable à Léon Tolstoï, notamment La Résurrection.
  47. Andreï Tarkovski, Cahier Journal 1970-1986, op. cit., p. 168 : le 23 décembre 1978.
  48. Cf. J. Donner, op. cit., p. 19.
  49. "Le monde est désespérément ennuyeux…(il) est régi par des lois de plomb… Il n'y a pas de triangle de Bermudes. Il y a un triangle ABC qui est égal au triangle A'B'C'. Ressentez-vous l'ennui mortel que ça implique ? Au Moyen-Age, vivre était intéressant. Dans chaque maison – un lutin. … Dans chaque église-Dieu. Les gens étaient jeunes. A présent un homme sur quatre est un vieux. Quel ennui…" La dame lui dit alors : "Vous disiez vous-même que la zone…est l'œuvre d'une super-civilisation." L'Écrivain répond : "Là-bas aussi il y a l'ennui… Et des lois et des triangles… Mais plus de lutins, et aucune trace de Dieu."
  50. Chevalier/Gherrbrant, Dictionnaire des Symboles, op. cit., p. 207.
  51. Éloïse Mozzani, Le livre des Superstitions, op. cit., p. 334.
  52. Comme le manteau du Poète dans Nostalghia, le chapeau de l'Ecrivain est l'agent de liaison (indirecte) dans la dynamique (et thématique) de passage.
  53. Nous pouvons aussi imaginer que la réplique du Stalker sort de la bouche d'Andreï Tarkovski lui-même : allusion à son "exil" forcé.
  54. La barrière est une figure centrale chez Andreï Tarkovski, nous la trouvons dans Le Miroir, notamment dans les premiers plans, quand Natalia est assise sur une clôture. Nous la trouvons également dans Andreï Roublev.
  55. Avant-Scène cinéma, Stalker, p. 21.
  56. Nous rencontrons un autre exemple de variation de lumière (progressive) dans Le Miroir, aux plans 83 – 87.
  57. Mathieu 27. 33.
  58. Andreï Tarkovski, Cahier Journal 1970-1986, op. cit., p. 99 : le 4 février 1974.
  59. Cahier Journal 1970-1986, op. cit., p. 146 : 14 décembre 1976.
  60. Chevalier/Gherrbrant, Dictionnaire des Symboles, Editions Robert Laffont, (1969) 1982 pp. 49 sq.
  61. Autre exemple : le flacon d'alcool vidait par le Stalker.
  62. Gerstenkorn et Strudel remarquent, à juste titre, que le point de chute de l'écrou (herbe, métal, sable, etc.) (…) "constituent un excellent indicateur matériel de la disposition spirituelle du personnage qui le lance." "La Quête et la Foi" ou "Le Dernier Souffle de l'Esprit." Cf. Andreï Tarkovski, Etudes Cinématographiques, 1983, pp. 92 et 102.
  63. Comme l'entortillement du fil de téléphone dans Le Miroir, quand Ignat parle à son père.
  64. Comme la corde dans La Corde, le film d'Alfred Hitchcock, dans le fait qu'elle soit en partie visible.
  65. Chevalier/Gherrbrant, Dictionnaire des Symboles, op. cit., p. 668.
  66. Voir également, le nœud "signe de vie" chez les égyptiens, ou encore le mythe du nœud gordien.
  67. Mircea Eliade, Images et Symboles. Essais sur le symbolisme magico-religieux., Editions Gallimard, (1952), 1980, p. 145.
  68. Arcadi et Boris Strougaski, Pique-nique au bord du chemin, Titre original : Piknik na Obotchine. Traduit en français par Sveltana Delmotte, Éditions Denoël, 1981. Paru pour la première fois dans la revue soviétique Avrora, n° 7, 8, 9, 1972, pp. 34-35.
  69. C'est ce qu'il voulait, contrairement à Solaris dans lequel les références à la science-fiction sont évidentes.
  70. Cf. J. Mitry, tome 2, Esthétique et Psychologie du cinéma, 2 volumes, P.U.F. 1963 et 1965, aspects du dialogue, p. 99 ; structure du dialogue, p. 101. Op. cit.
  71. Cf. Gerstenkorn et Strudel, (…) "le décor de la zone n'est rien d'autre, en définitive, que la projection extérieur de leur monde intérieur." "La Quête et la Foi" ou "Le Dernier Souffle de l'Esprit." Cf. Andreï Tarkovski, Etudes Cinématographiques, 1983, p. 91.
  72. L'inverse est aussi vrai. Pour cette raison, et d'autres encore, le début d'un film est toujours très important.
  73. Une de nos premières préoccupations serait de mettre en évidence les différents registres cinémantiques.
  74. Cf. G. Bachelard, L'Intuition de l'instant, (…) "Or, toute évolution, dans la proportion où elle est décisive, est ponctuée par des instants créateurs." Editions Stock, Paris, (1931) 1992, p. 18.
  75. C. S. Peirce écrit (...) "En général, nous pouvons dire que les significations sont inépuisables", op. cit.,p. 98.


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