Objet

De Cinémancie
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Extraits de notre mémoire de D.E.A. Chapitre II, 2ème partie, « Le Lorgnon de Smirnov », « Place des gros plans d’objets en chute dans le cinéma », sous la direction de Pierre Haffner, juin 1994.

Le Visiteur, plan 165. Le père soulève le petit cache (le double fond), et prends avec deux doigts l’objet mystérieux au fond du coffre. Nous apprenons ainsi, que l’objet mystérieux est de petit taille, comme une perle par exemple.


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Les objets dans le cinéma

Edgar Morin disait : « ces objets, surgissent, bondissent, s’éclipsent, s’épanouissent, se rétractent, s’amenuisent… Ces phénomènes sont inaperçus (au sens exact du terme) quoique visible, mais quoique inaperçus ils font sentir leurs effets… Quels effets ? » [1] En posant cette question, Edgar Morin ne répond pas d’une manière transversale, reste néanmoins à la périphérie, dans un aspect en fait qui tient plutôt du descriptif que de l’analytique. Car, il continue : « Ces choses, ces objets… (ont) non seulement un corps… mais une « âme », une vie, c’est-à-dire la présence subjective. » [2]


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Les objets ont-ils une « présence subjective » ?

Mais ce qui nous intéresse particulièrement, c’est comment cette « présence subjective » va à un moment donné devenir une « intervention objective » (à court ou long terme) car la « vie », c’est surtout de l’intervention et non simplement de la contemplation. Il poursuit : « Le cinéma, lui, étend à tous les objets cette fluidité particulière. Il les met en mouvement, ces immobiles. Il les dilate et les amenuise. Il leur insuffle ces puissances dynamogènes qui secrètent l’impression de vie… Le mot « présence subjective » est insuffisant. On peut dire « atmosphère ». On peut dire surtout « âme ». Balazs dit encore du close-up (gros plan) qu’il « dévoile l’âme des choses. » [3]

Ainsi, Edgar Morin, de lui même, hésite sur le terme « présence subjective », préfère « atmosphère » qui reste du domaine de la périphérie, de l’halo, de l’aura, de la vapeur. On a le sentiment qu’il reste dans un état suspendu, un état d’apesanteur qu’il n’ose pas la pénétration de l’objet, sa prospection, son investigation : une espèce de « carottage » de l’objet. De toutes manières reste la grande inconnue : l’état de l’objet, sa situation, sa position, son évolution.

Cependant il déclare plus loin : « …les objets se mettent à vivre, à jouer, à parler, à agir… Objets héros, objets compères, objets comiques, objets pathétiques, « une attention spéciale doit être accordée au rôle spécial joué dans les films par les objets » dit Poudovkine [4]. » Pour notre part, on se penchera plutôt vers une tendance « effet boule de cristal », « boule de savoir », « effet-miroir » ; « l’objet-miroir », « l’objet réflexion ».


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Les objets ont-ils une « vision magique » ?

Jean Epstein ira encore plus loin, et on n’hésite pas à le rejoindre. Pour sa part il élabore une « vision magique » de l’objet, voire « sacrée » : « …ces vies qu’il crée, en faisant sortir les objets des ombres de l’indifférence, aux lumières de l’intérêt dramatique, ces vies… sont pareilles à la vie des amulettes, des grigris, des objets menaçants et tabous de certaines religions primitives. Je crois que si l’on veut comprendre comment un animal, une plante, une pierre peuvent inspirer le respect, la crainte, l’horreur, trois sentiments principalement sacrés, il faut les voir vivre à l’écran. [5]

Sur la même voie, Albert Laffay dit : « Les événements naturels nous attaquent par surprise. Ils arrivent sans crier gare, sans préparation. Ils ont quelque chose d’explosifs, car même ceux qu’on attend ne se produisent jamais exactement comme on les attendait. Ils ne s’inscrivent pas dans la suite intelligible. Rien jamais dans le monde ne commence tout à fait, rien n’est jamais tout à fait fini. Tout est ambigu et à chaque instant du nouveau peut survenir et changer le sens de ce qui a été. Il n’y a aucun système clos à la rigueur, le monde demeure constamment ouvert. » [6]

Réflexion visionnaire, réflexion fondamental. Et c’est là à notre sens, l’intervention des « objets en chute », « intervention explosive », « intervention inintelligible ». C’est justement l’ouvert, c’est-à-dire « le possible », de ce qui peut être (ou ne pas être), de ce qui peut se faire (ou ne pas se faire), de ce qui peut exister (ou ne pas exister). Albert Laffay, nous résume en peu de mots, l’ampleur de notre question dans toute sa profondeur : « …dire qu’une chose existe, c’est dire qu’elle a une « place » dans le monde. Une chose existe, quand elle est reliée à toutes les autres par un système de dépendances réciproques. Sa forme elle-même, n’est pour ainsi dire que celle que les objets avoisinants veulent bien lui laisser. Toutes les figures se déterminent ainsi mutuellement par imbrication les unes aux autres. » [7]

Donc nous avons (encore) affaire avec la notion du « tout ». Un contenu/contenant, un englobé/englobant. Mais Henri Bergson nous prévient : « Le Tout n’est ni donné ni donnable… Si le Tout n’est pas donnable, c’est parce qu’il est l’ouvert, et qu’il lui appartient de changer sans cesse ou de faire surgir quelque chose de nouveau, bref de durer. Partout où quelque chose vit, il y a ouvert quelque part un registre où le temps s’inscrit. » [8]


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La place de l’objet avec le « tout »

Avec ces quelques réflexions, nous faisons remarquer, comment la « place » de notre question s’élargit. Car, l’Ouvert, le Possible, le Tout en font constamment partie prenante, de ce fait, ils méritent leurs intégrations dans le développement ultérieur de notre étude.

D’ailleurs, ces notions générales nous renvoient toujours et nécessairement à la notion du Mouvement (kiné). Pour Gilles Deleuze : « C’est une translation dans l’espace… Or, chaque fois qu’il y a translation de parties dans l’espace, il y a aussi changement qualitatif dans un tout… Le mouvement renvoie toujours à un changement…. Et ce n’est pas moins vrai des corps : la chute d’un corps en suppose un autre qui l’attire, et exprime un changement dans le tout qui les comprend tous deux. » [9] Mais précisément comment se traduit dans le cinéma ce changement dans le tout ? Gilles Deleuze définit le tout par la Relation : « C’est que la relation n’est pas une propriété des objets, elle est toujours extérieure à ses termes. Aussi est-elle inséparable de l’Ouvert, et présente une existence spirituelle ou mentale. » [10]

Mais alors, comment se traduit au cinéma cette Relation ? Par l’objet ? L’objet n’est-il pas le trait d’union de cette relation ? Enfin, la question n’est-elle pas « méta-physique » ou « méta-psychologique » ? Peut-être « méta-physico-psychologique » ?

Certes, à présent la question n’est plus simple. Mais nous allons voir si elle a au moins le mérite d’être posée. Ca serait déjà cela d’acquis.

(Juin 1994)


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Voir aussi


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Voir également

Andreï Roublev :

Maître (Le) de Piotr Trzaskalski

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Notes et références

  1. Edgar Morin, Le Cinéma, ou l’Homme Imaginaire, op. cit., p. 72.
  2. Ibid
  3. Ibid, p. 75.
  4. Vsevolod Poudovkine, Films technics and film acting, Lear Publichers Inc. New York, 1949, p. 30
  5. Jean Epstein, Ecrits sur le Cinéma, op. cit., tome 1, p. 160.
  6. Albert Laffay, Logique du Cinéma, op. cit., p. 66.
  7. Op. cit., p. 16.
  8. Henri Bergson, L’Evolution Créatrice, P.U.F. 1941, p. 16.
  9. Gilles Deleuze, L’Image Mouvement, op. cit., p. 18.
  10. Op. cit., p. 20.
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