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==== Le statut de ''Viridiana'' ==== | |||
Ce qu’on peut dire, par anticipation, c’est que nous avons le sentiment que le projet de Buñuel n’est pas simplement de faire un film scandaleux sur l’inceste, la religion et la médiocrité de l’âme humaine. Cela est le premier niveau apparent, la partie visible de l’iceberg, mais en fait, nous avons l’impression que le film fonctionne sur un autre niveau, et c’est justement à ce niveau supérieur que nous souhaitons accéder, la partie invisible de l’iceberg. Nous avons ainsi la conviction que Viridiana n’est pas '''un film de plus''' sur les défauts ou les péchés de l’humanité, mais '''un plus aux films'''. C’est pour cette raison que nous insistons sur chaque détail, chaque mot, chaque geste en espérant suivre une enquête (passionnante) jusqu’au bout et accéder à ce niveau supérieur. | |||
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[[Fichier: Viridiana47_Bunuel_23_00_robe_mariee_endormie_couronne.jpg|300px|thumb|right|alt= ''Viridiana'' de Luis Buñuel. ''' Photogramme 47 - Plan 50.''' Don Jaime s’approche de Viridiana et commence avec grande attention à coiffer les mèches de cheveux de Viridiana. Il place la couronne de fleurs artificielles. | ''Viridiana'' de Luis Buñuel. ''' Photogramme 47 - Plan 50. (bis)''' <br/> Don Jaime s’approche de Viridiana et commence avec grande attention à coiffer les mèches de cheveux de Viridiana. Il place la couronne de fleurs artificielles.]] | |||
Ainsi, dans ce chapitre, Viridiana est présente physiquement, elle est habillée avec un grand soin, dans un apparat élégant, mais en même temps, elle est absente, elle est inconsciente de son entourage. Elle devient un fardeau, il faut la porter avec difficulté, sur son passage, elle fait tomber une chaise. Elle devient ensuite une grande poupée, vivante, dans les mains d’un adolescent attardé de plus de cinquante ans. Il lui coiffe les mèches de cheveux, il place sur sa tête la couronne de fleurs artificielles. Il lui croise les mains sur sa poitrine, comme une gisante. Il lui arrange sa robe. Mais est-ce que Don Jaime voit Viridiana ou feue son épouse Dona Elvira ? Ce qui peut expliquer son dérapage graduel. Viridiana devient le substitut de Dona Elvira, mais est-ce que cela justifie une tel avilissement ? | |||
Une chose semble sûre c’est que Don Jaime mène une grande lutte entre deux tendances, la première, un moment d’égarement lourd, c’est posséder Viridiana, comme il semblerait qu’il n’a pas posséder Dona Elvira ; la seconde, un moment de lucidité, il sait qu’on agissant de la sorte, il va perdre Viridiana à jamais. Cependant Viridiana n’est pas une statue de marbre, et à son réveil les événements à venir vont s’accélérer, d’une manière tragique. | |||
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''La suite est en cours de préparation.'' | ''La suite est en cours de préparation.'' | ||
Version du 21 décembre 2015 à 16:46
Aspects techniques du film
- Titre : Viridiana
- Titre original : Viridiana
- Réalisation : Buñuel Luis
- Année de réalisation : 1961
- Pays : Espagne, Mexique
- 90 minutes, noir et blanc
- Langue : Espagnole
- Production :
- Scénario : Buñuel Luis, Alejandro Julio, d'après le roman Halma de Pérez Galdós Benito
- Directeur Photographie : Aguayo José F.
- Décors : Canet Francisco
- Costumes :
- Musique : Pittaluga Pere
- Montage : Buñuel Luis, del Rey Pedro
Principaux acteurs
- Silvia Pinal : Viridiana
- Fernando Rey : Don Jaime, l'oncle de Viridiana, un hidalgo veuf
- Francisco René : Moncho, le domestique de Don Jaime
- Lozano Margarita : Ramona, la servante de Don Jaime
- Teresita Babal : Rita, la fille de Ramona
- Francisco Rabal : Jorge, le fils naturel de Don Jaime
- Victoria Zinny : Lucia, la fiancée de Jorge
- Rosita Yarza : La Supérieure
- Alfonso Cordon : Le Contremaître, Ramon
- Manuel Alejandre : Un Paysan
- Jose Maria Lado : Le Maire
Les mendiants :
- Jose Calvo : Don Amalio, L'Aveugle
- Joaquin Roa : Don Ziequel
- Juan Garcia Tienda : Le Lépreux
- José Manuel Martin : “El Cojo”, Le Boiteux
- Joachim Mayol : Paco
- Luis Heradia : “El Poca”
- Sergio Mendizábal : “El Pélón”
- Milagros Thomàs : Refugio
- Lola Gaos : Enedina
- Alicia Jorge Barriga : “La Erena”, La Naine
- Maruha Isbert : “La Cancionera”, La Chansonnière
- Palmira Guerra : “La Jardinera”, La Jardinière
Résumé du film
Viridiana : Un film tissé comme une toile d’araignée parfaite
En Espagne, Viridiana, une jeune novice allait prononcer ses vœux pour entrer dans les ordres. À la dernière minute elle est obligée, sur ordre de la Mère Supérieure, d’accepter l’invitation de son oncle et bienfaiteur, Don Jaime. Ce dernier est bouleversé pour ne pas dire excité, par la ressemblance de sa nièce avec feue son épouse Dona Elvira qui est morte la nuit de ses noces. Après une crise de somnambulisme durant laquelle Viridiana va déposer de la cendre sur le lit de Don Jaime, elle va accepter un caprice de son oncle, habillée avec la robe de mariée de Dona Elvira, ils vont simuler la nuit de noce. Sous les effets d’un somnifère, Don Jaime va tenter d’abuser d’elle sexuellement mais il ne parviendra pas. Le lendemain, Viridiana est très furieuse, elle décide de quitter la maison. Don Jaime va accomplir l’irréparable : se suicider. Viridiana prise de remords décide de rester dans la grande maison de son oncle et de ne pas rejoindre le couvent. Néanmoins, elle va accueillir des mendiants et prendra soin d’eux. Mais les mendiants vont également abuser de sa gentillesse et deux d’entre eux vont tenter de la violer. Elle est sauvée par Don Jorge, le fils naturel de Don Jaime.
La grande puissance poétique de ce film réside dans un fait rare au cinéma, c’est que Buñuel va tisser son film comme une toile d’araignée. Chaque fil de la toile correspond à un objet spécifique, entre autres : La corde à sauter de Rita, la croix et la couronne d’épines, les cendres, l’épluchure d’orange, la robe de mariée, le voile et la couronne de fleurs artificielles, etc. Le grand art du réalisateur c’est non seulement, d’avoir relier les objets entre eux, mais de mettre également au centre de la toile deux sujets tabous : l’inceste et l’iconoclasme.
Introduction
Le projet de Buñuel : Viridiana n’est pas un film en plus, mais un plus aux films
Nous avons constaté, au fur et à mesure de l’analyse, que Buñuel visait un projet spécial, quelque chose qui sort de l’ordinaire, du courant, de l’habituel. De la sorte, l’analyse est devenu un compte rendu d’une enquête qui essaye de rejoindre les objectifs du réalisateur, ce qui explique parfois, certains écarts significatifs mais souvent justifiés par des analogies morphologiques, comme par exemple la corde à sauter qui évolue en serpent, ou encore par des analogies sémantiques, le morceau d’orange qui désigne une allusion au corps de Viridiana.
En général, nous gardons dans l’esprit quelques scènes célèbres du film, des clichés qui résument la notoriété du film, comme par exemple, la tentative du viol de Viridiana par Don Jaime ou bien le festin des mendiants qui est une caricature de la Cène de Léonard. Mais, il nous semble, qu’en réalité, Buñuel propose beaucoup plus, c’est pour cette raison que nous pensons que Viridiana n’est pas un film en plus, sur l’inceste ou sur un scandale religieux, mais un plus aux films, qui aboutit à des sommets jamais atteints. Comment Buñuel parvient-il à des nouvelles propositions ?
Les plus de Viridiana : les transitions, les trouvailles, les parallélismes et les équations
Les transitions
Nous ne cessons pas de le répéter, ce qui nous intéresse, entres autres, dans un film, ce sont les transitions entre les plans et entre les chapitres. Les transitions déclenchent deux niveaux pertinents d’analyse : 1. Les liaisons entre les plans et/ou entre les objets ; 2. Les combinaisons sémantiques. Ainsi, il faut apprécier les transitions dans ce film qui sont d’une grande qualité esthétique et sémantique, ce qui signifie une économie des moyens et une absence de « remplissage » inutile. Comme par exemple, la transition entre le 11ème et le 13ème chapitre, Viridiana et Don Jaime qui « jouent » aux mariées, le réalisateur va glisser entre les deux chapitres, celui du « Taureau noir » ; ou encore, la transition entre le 23ème et le 24ème chapitre, quand Jorge rend une visite nocturne à Viridiana, le chapitre termine autour du lit en bois de cette dernière, au chapitre suivant, le Boiteux peint un tableau d’une femme alitée.
Les trouvailles
Nous appelons « trouvailles », des idées, des concepts ou des objets d’une grande originalité qui installent une nouvelles vision, ou une vision de plus, comme par exemple, la corde à sauter ou le jeu du diabolo de Rita ; le crucifix-poignard que Jorge découvre parmi les affaires de Don Jaime ; ou enfin, l’installation de l’électricité par Jorge dans la grande maison. À partir de là, comme dans tout les grands films, un objet montré à l’écran, ne désigne pas forcément ce qu’il est, mais il suggère encore plus.
Les « parallélismes »
Au cours du 4ème chapitre, nous avons commencé à saisir des parallélismes pertinents qui s’installent entre des objets différents et nous expliquons ce qu’est un parallélisme d’objet chez Buñuel. En résumé, nous appelons un parallélisme d'objet ou d'élément, la présence de deux choses différentes qui ont souvent soit une même morphologie, soit un dénominateur commun. Au total nous avons établit 26 parallélismes, ce qui est considérable. Lire la suite.
Les « équations »
Nous avons dit que le film est tissé comme une toile d’araignée. Une équation révèle des points d’intersection pertinents d’un ou plusieurs fils de la toile d’araignée. Elle désigne la résultante d'une association de concepts ou d’objets qui stimule une analyse en proposant un raccourci et qui évite un long discours par des répétitions. Comme par exemple l’équation suivante, qui est désignée par un chiffre entre deux crochets :
[1] : Corde → Pied → Poignée → Serpent
Nous comptons sur l'indulgence des lecteurs de cet écart inhabituel dans le monde cinématographique.
Il s’agit alors, en fonction du développement filmique, d’ajouter au fur et à mesure de l’analyse, d’autres objets qui vont fournir à l’équation une explication en plus. Au total, nous aurons 3 équations : [1], [2] et [3], mais c’est seulement l’équation [1] qui va s’enrichir de 8 versions : [1.1]… [1.8]. Les trois équations ont pour point de départ la corde à sauter de Rita.
L’objectif est de ne pas perdre de vue les différents objets qui composent et qui entrent en ligne de compte dans l’analyse d’une image, de la sorte, il y a une superposition d’objet qui vont alimenter la signification d’une donnée.
Le film Viridiana, plan par plan
0h 00’ 00’’ – 0h 02’ 49’’ : Plan 1b. L'invitation de Don Jaime
Plan 1b [1] : Plan général d'une cour d'un couvent. Dans un coin de la cour, un groupe de religieuses bavardent. Une autre s'avance vers elles. C'est la mère Supérieure, elle s'adresse à une religieuse du groupe : « Sœur Viridiana ! Une jeune religieuse se détache du groupe et vient vers la Supérieure : Viridiana. (Elle s'incline en signe de respect.) : Ma mère ?
- La Supérieure : Je viens de recevoir une lettre de votre oncle. Il ne pourra assister à la prononciation de vos vœux.
- Viridiana : Très bien, ma mère. (Cf. Photogramme 02. 00h 01' 55")
- La Supérieure (elle s'étonne de ce manque d'intérêt.) : Vous ne semblez pas en être très affectée. (Toutes deux se sont mises à marcher le long du cloître.)
- Viridiana : Je le connais à peine. Je ne l'ai vu qu'une fois, il y a des années. Je ne me souviens même plus de lui.
- La Supérieure : En tout cas maintenant il vous invite chez lui.
- Viridiana : Je ne veux pas quitter le couvent, ma mère.
- La Supérieure : Je crains que sa santé ne soit bonne. C'est votre seul parent et vous devriez lui faire vos adieux avant de prononcer vos vœux. Vous ne le reverrez sûrement jamais plus.
- Viridiana : Mais pourquoi veut-il me voir ? Il ne s'est jamais occupé de moi.
- La Supérieure : Il a payé vos études, votre entretien, et il vient même d'envoyer votre dot. Cela vous semble-t-il peu ? (Viridiana semble résignée. Elle baisse les yeux. )
- Viridiana : Je souhaiterais ne pas revoir le monde, mais si vous me l'ordonnez.
- La Supérieure : Il reste peu de temps avant le commencement de la retraite. Vous pouvez donc partir dès demain matin. (Elles s'arrêtent et se font face.) Tout est prêt dans votre cellule pour le voyage. Allez vous préparer. Essayez de lui montrer un peu d'affection. »
Fermeture en fondu.
0h 02’ 50’’ – 0h 05’ 15’’ : Plans 2 – 4. Viridiana accepte l'invitation – « La Corde – Serpent »
Plan dynamique 1 : les pieds de Rita
- Photogramme 3 – Plan 2. 00h 02' 48" : Plan dynamique. [2] Plan rapproché sur les jambes de la petite Rita qui saute à la corde. Rita est la fille de Ramona, la servante de Don Jaime. Elle joue à la corde avec une grande dextérité. Avec ses pieds, elle fait rapidement, différentes petites figures, elle avance, elle recule. Derrière elle, apparaît Don Jaime. Il suit pendant quelques secondes les jambes de Rita.
Comme nous allons le voir plus loin, il nous semble qu'à travers ce “plan acrobatique”, on trouve réunit des arguments forts du film. Et on peut aller encore plus loin, pour dire que chaque plan d'un film de Buñuel offre des qualités exceptionnelles : il y a souvent une si grande justesse dans la présentation des éléments qui composent le plan, sans parler des magnifiques liaisons entre les plans, que l'artiste effectue avec un grand art. En effet, on peut se demander si le plan 2 n'est pas une réponse au plan 1b, comme le dit l'expression populaire : Viridiana devant la Mère Supérieure « ne sait jamais sur quel pied danser ».
Mais pour revenir sur les arguments du plan 2, il faut distinguer d'abord, la corde à sauter qui aura un rôle actif dans le film. En passant de main en main, la corde relie le film de bout en bout. Ainsi, le film commence par Rita qui saute avec la corde, et il termine par la corde, négligemment suspendu à une poutre (là où elle devrait être), avec l'ombre de la corde qui suggère une corde de potence. Ensuite, les mouvements des sauts de Rita semble avoir des correspondances avec les mouvements de Viridiana, elle avance (devant Don Jaime), elle recule (quand il lui propose de porter les habits de mariée de sa femme défunte), elle va de côté (en acceptant de les porter). Enfin, il y a l'intérêt de Don Jaime au fétichisme du pied comme symbole érotique.
Plan dynamique 2 : les pieds de Rita 2
Plan 3a [4] : Plan rapproché sur Rita essoufflée. Don Jaime s'approche d'elle. Nous entendons le bruit d'une voiture à cheval qui s'arrête non loin. Rita cesse de sauter et regarde la voiture : «
- Don Jaime : C'est assez pour aujourd’hui, Rita. Elle te plaît, la corde que je t'ai offerte ?
- Rita : On peut mieux sauter parce qu'elle a des poignées. (Cf. Photogramme 04. 00h 03' 18")
- Don Jaime : Aller, va jouer. »
- Photogramme 5 – Plan 3b. 00h 03' 22" : Rita court en abandonnant la corde à Don Jaime qui l'accroche à un clou fixé au tronc d'un grand arbre.
Une question s'impose : Pourquoi Don Jaime accroche la corde à un arbre ? Est-ce une place ordinaire pour une corde ? Mais, il nous semble qu'avec Buñuel, nous devons passer à un autre registre, ne peut-on pas dire que la corde devient une représentation métaphorique du serpent.
L'argument que nous avançons est d'abord morphologique : la ligne. En effet, André Virel en voyageant dans le Sud-Cameroun, observe que les pygmées, «dans leur langage de chasse, représentent le serpent d'un trait sur le sol. Certains graffitis de l'époque paléolithique n'ont sans doute pas d'autre signification. On peut dire qu'ils ramènent le serpent à son expression première. Il n'est qu'une ligne, mais une ligne vivante ; une abstraction. La ligne n'a ni commencement ni fin ; qu'elle s'anime, et elle devient susceptible de toutes les représentations, de toutes les métamorphoses. » [5]
D'autre part, dans son essai sur les civilisations sud-américaines, Hermann von Keyserling écrit : «le serpent est un complexe archétypale, lié à la froide, gluante et souterraine nuit des origines. Une unique multiplicité primordiale, qui ne cesse de se détortiller, de disparaître et de renaître. La vie des bas-fonds doit précisément se refléter dans la conscience diurne sous la forme d'un serpent.» [6]
Soulignons enfin, que Luis Buñuel (1900 – 1983) poursuivra sa carrière d'abord en Amérique, entre 1933 – 1935, où il travaille pour le Musée d'Art Moderne, ensuite expatrié au Mexique après l’avènement de Franco au pouvoir de 1947 à 1958, c'est sans doute à cette époque qu'il va s'intéresser aux civilisations sud-américaines. Et le premier film qu'il réalise de retour en Europe est justement Viridiana. (Cf. Photogramme – serpent à deux têtes du British Museum.)
Ainsi, la corde comme un serpent va se faufiler dans le film pour proposer à chaque apparition une nouvelle charge émotionnelle et significative, en reflétant les couches profondes de la conscience des protagonistes.
- Photogramme 6 – Plan 3c. 00h 03' 32" : La voiture à cheval s'arrête devant le perron de la maison. Don Jaime se dirige vers elle. Viridiana descend.
Le cocher sort la petite valise de Viridiana. Ramona apparaît et se dirige vers l'invitée, suivit par Rita qui lui dit : « Bonjour.
- Viridiana : Ça va ?
- Ramona : Soyez la bienvenue, Mademoiselle. Je suis Ramona, la servante de Don Jaime.
- Viridiana : Ah ! Très heureuse.
- Don Jaime : Virdiana ! (Elle s'excuse auprès de Ramona et va à la rencontre de son oncle. Les deux personnes s'observent un instant.) » (Cf. Photogramme 07.00h 03' 47")
- Viridiana : Oui, mon oncle. Comment allez-vous ?
- Don Jaime : Bien, bien. L'autocar a eu de retard, n'est-ce pas ? Comment a été le voyage ?
- Viridiana : Excellent. Quel endroit charmant et calme, mon oncle !
- Don Jaime : Tu vas te croire encore au couvent. »
Le visage de Don Jaime commence à avoir un intérêt croissant à l'égard de sa nièce.
Plan dynamique 3 : les pieds du couple
- Photogramme 8 – Plan 4a. [7] 00h 03' 58" : Plan rapproché sur les pieds de Don Jaime et de Viridiana. Ils bavardent. Nous apercevons dans la voix de Don Jaime l'intérêt qu'il porte à la jeune femme. Un intérêt discutable : «
- Don Jaime : Combien de temps vas-tu rester ?
- Viridiana : Très peu, mon oncle. Je n'ai droit qu'à quelques jours.
- Don Jaime : Cela t'a-t-il été difficile de l'obtenir ?
- Viridiana : Non, je suis venue sur l'ordre de La Supérieure.
- Don Jaime (Don Jaime triste, s'arrête.) : Il t'intéressait donc si peu de me voir ?
- Viridiana : A dire vrai pas beaucoup. Je ne sais pas mentir. J'ai pour vous du respect et de la reconnaissance parce que matériellement je vous dois tout, mais pour le reste...
- Don Jaime (Avec mélancolie.) : Aucune affection...
- Viridiana (Déterminée.) : Aucune.
- Don Jaime : Tu as raison. La solitude m'a rendu égoïste. Maintenant je regrette que nous ne nous soyons pas vu davantage. Il est trop tard, n'est-ce pas ?
- Viridiana (Très indifférente.) : Oui. Il est trop tard. (Ils passent sous un grand arbre. Au loin, on distingue les champs abandonnés en friche.) Mon oncle, vous avez beaucoup négligé les champs.
- Don Jaime : Cela fait vingt ans que les herbes ont tout envahi. Dans la maison, sauf au premier étage, les araignées pullulent. Je sors très rarement. (Nous entendons une voix d'enfant qui provient de l'arbre.)
- Voix de Rita : C'est vrai. Et quand il sort il me fait sauter... (Cf. Photogramme 09.00h 04' 50") (Viridiana est étonnée, elle regarde vers l'arbre.)
- Don Jaime : Viens ici, mon petit chien !
- Viridiana : Qui est-ce ?
- Don Jaime : La fille de Ramona, ma domestique, c'est une sauvageonne.
- Viridiana : Viens ! (Rita disparaît.)
- Don Jaime : Comme tu ressembles à ta tante ! Jusqu'à la démarche !
- Viridiana : Je le sais, mon oncle, vous me l'avez déjà dit.
- Don Jaime : Tu vois ? Même la voix ! »
0h 05’ 16’’ – 0h 07’ 41’’ : Plans 5 - 11. Le premier soir chez Don Jaime – La valise de Viridiana
Cet épisode se caractérise par l'alternance de deux séquences :
- Don Jaime qui joue à un harmonium au son sinistre ;
- Viridiana qui se prépare à aller se coucher.
Plan dynamique 4 : les pieds de Don Jaime sur les pédales de l'harmonium
- Photogramme 10 – Plan 5. [8] 00h 05' 16" : Plan rapproché. Nous entendons de la musique classique. Les pieds de Don Jaime actionnent les pédales de l'instrument. Les mains jouent sur le clavier.
- Photogramme 11 – Plan 6a. 00h 05' 43" : Viridiana est dans la chambre de Dona Elvira, l'épouse défunte de Don Jaime. Elle n'a pas l'intention de dormir dans le lit de Dona Elvira, elle prépare un lit au sol.
- Photogramme 12 – Plan 6b. 00h 05' 51" : Viridiana se dirige vers le miroir, elle enlève une coiffe qui retenait ses cheveux et les laisse descendre sur les épaules. Elle réfléchit, elle l'a l'air soucieuse.
- Photogramme 13 – Plan 6c. 00h 06' 08" : Viridiana retourne vers le lit et commence à se déshabiller. Elle ôte sa robe puis s'assied sur le bord du lit pour retirer ses bas noirs, laissant apercevoir une jambe d'une blancheur et d'une forme parfaites.
Les “perspectives” des pieds dans Viridiana de Buñuel
Les cadrages successives sur, et à partir des pieds des protagonistes sont révélateurs et ouvrent des nouvelles perspectives. Tout d'abord, il est rare au cinéma d'accorder une si grande importance aux membres inférieurs. Le choix de Buñuel n'est pas innocent. Il veut nous indiquer une orientation. Il veut attirer notre attention. Ainsi, jusqu'à présent, nous venons de voir les six premiers plans du film, et nous constatons que cinq plans sur six, commencent à partir du bas du corps. Il s'agit en effet, des plans 2, 3a, 4a, 5 et 6c ; il est à noter que les plans en question vont nous conduire au plan 6c, à la jambe parfaite de Viridiana. Pourquoi donc cette redondance ?
De plus, à ces plans, il y a des parallélismes métaphoriques qui sont engendrés soit dans la composition d'un objet (la corde), soit dans la composition d'un plan, ainsi, ne peut-on pas ajouter dans le même registre le plan 6a ? Quand Viridiana prépare son lit au sol, c'est-à-dire aux “pieds” du lit de Dona Elvira. Et enfin, en allant un plus loin, un élément indirecte nous conduit à la corde à sauter, ne peut-on pas dire que les poignées de la corde sont les “pieds” de la corde ? Plus exactement la tête et le pied de la corde ? Ainsi, au plan 3b, quand Rita montre une poignée de la corde, elle montre métaphoriquement le “pied” de la corde. Cette dernière métaphore rejoint alors l'image du serpent à deux têtes.
Certes notre raisonnement peut paraître troublant, mais il nous semble que le cinéma de Buñuel propose souvent un excès de langage, parfois vertigineux, de l'imagination poétique et de son inclusion dans notre réalité. C'est peut-être pour cette raison que le cinéma de Buñuel est tellement bouleversant et déconcertant.
En simplifiant, nous obtenons la première équation suivante :
[1] : Corde → Pied → Poignée → Serpent
Et, en fonction des données filmiques, nous pouvons ajouter une seconde équation qui s'impose :
[2] : Corde → Serpent → Arbre
En ce qui concerne l'introduction de l'arbre, il s'agit du plan 4b, Rita au milieu du feuillage de l'arbre. Ainsi, l'arrivée de Viridiana est ponctuée au début par Rita qui saute à la corde au pied d'un arbre, et à la fin par Rita au milieu de la couronne d'un arbre (ou houppier [9].) Alors, quel est le rôle de Rita ? Pourquoi Buñuel lui accorde une si grande importance ? Est-ce qu'il vise la personne, une petite fille, une sauvageonne comme le dit Don Jaime ? Ou faudrait-il voir autre chose ? En fonction des images, et des équations que nous venons de proposer, une hypothèse se présente, elle est susceptible d'être une “personnification” du serpent, et donc de la tentation qui est une thématique centrale du film. Ce qui pourrait expliquer le plan 6b, le moment où Viridiana évite (ou hésite) de regarder son reflet au miroir, et par la suite les plans des instruments de la crucifixion, il s'agit des plans 9 et 11.
Mais, il reste encore un détail qu'on ne peut pas négliger, il s'agit de la question du "chien", que nous retrouvons d'une part dans les dialogues du plan 4b : «
(...)
- Voix de Rita : C'est vrai. Et quand il sort il me fait sauter... (Cf. Photogramme 09.00h 04' 50")
Viridiana est étonnée, elle regarde vers l'arbre.
- Don Jaime : Viens ici, mon petit chien !
- Viridiana : Qui est-ce ?
- Don Jaime : La fille de Ramona, ma domestique, c'est une sauvageonne. »
Et d'autre part, le plan 6a, quand Viridiana prépare son lit au sol. En fait, elle devient de la sorte, un “chien” qui dort aux pieds de son maître. Nous verrons ultérieurement des relations pertinentes avec un petit chien que Jorge, le fils naturel de Don Jaime va recueillir.
A présent, nous poursuivons les plans du film avec l'introduction des instruments de la crucifixion.
Plan 7 : Plan rapproché de Don Jaime qui joue à l'harmonium.
- Photogramme 14 – Plan 8. 00h 06' 26" : Ramona, hésitante, s'approche de la chambre de Viridiana. Elle regarde par le trou de la serrure.
- Photogramme 15 – Plan 9. 00h 06' 42" : Dans la chambre, Viridiana est habillée d'une chemise de nuit blanche. Elle ouvre une valise et elle sort un crucifix en bois et une couronne d'épines.
Plan 10 00h 06' 54" : Ramona rejoint Don Jaime qui continue à jouer de l'harmonium et s'approche de lui : « Elle a fait son lit sur le sol, monsieur ! (Don Jaime continue à jouer.) Dans sa valise elle a quelque chose qui ressemble à des épines. Sa chemise de nuit est en toile grossière ; elle doit sans doute lui écorcher la peau … une peau si fine, monsieur.
- Don Jaime : Va-t-'en, va t'en, tu peux te retirer maintenant... »
Plan dynamique 5 : Instruments crucifixion
- Photogramme 16 – Plan 11. [10] 00h 07' 23" : Gros plan sur le crucifix en bois entouré de répliques des instruments de la crucifixion : la couronne d'épines, le marteau, les clous, l'éponge. L'ensemble est posé sur un coussin à même le sol. La caméra recule. Viridiana est accroupie à gauche en train de prier.
Fermeture en fondu.
0h 07’ 42’’ – 0h 09’ 03’’ : Plans 12 - 14. Le Lendemain – Le lait jeté
Plan dynamique 6 : Pis de vache
Plan 12a [11]: 00h 07' 39" : Gros plan sur les mamelles d'une vache, la main de Moncho, le domestique de Don Jaime est en train de traire. Rita est juchée sur la barrière de bois à laquelle la vache est attachée. Viridiana s'approche du groupe : « Bonjour, Moncho.
- Moncho : Bonjour.
- Viridiana : Bonjour Rita. Comment allons-nous être aujourd'hui ?
- Rita : Aujourd'hui... très sage.
- Viridiana (à l'intention de Moncho.) : Ca vous ennuie de m'en donner ?
- Moncho : Non, madame.
- Viridiana (Elle tend un verre qu'elle sort de son panier. Moncho s'empare d'un pis de la vache, remplit le verre. Viridiana observe avec curiosité sa façon de faire. (Cf. Photogramme 17. 00h 07' 52") : Est-ce que c'est difficile ?
- Moncho : Venez. Essayez vous-même !
- Viridiana : Mais je ne saurai pas faire !
- Moncho : Je vais vous montrer. Tenez.... »
Moncho saisit un pis et invite Viridiana à le prendre. Hésitante, elle se décide enfin. Elle s'assied sur le tabouret que lui avance Moncho.
- Photogramme 18 – Plan 13. 00h 08' 06" : Viridiana s'assied à la place de Moncho, elle reste très hésitante. Elle n'ose pas prendre le pis. Moncho insiste : « Empoignez franchement.
- Rita : Don Jaime le fait très bien ! (Viridiana avance la main vers le pis, mais elle n'ose pas encore le prendre en main.)
- Moncho (à l'intention de Rita.) : Pousse-toi de là !
- Rita : Non ! (Viridiana saisit timidement le pis, pose la main dessus, presque avec dégoût. Elle lache le pis, pour le reprendre.) »
- Photogramme 19 – Plan 14. 00h 08' 16" : Rita qui était en train de boire un pot de lait s'arrête d'en boire, et verse le reste du pot sur la tête de la vache.
Le lait ne vient pas, Moncho insiste : « N'aie pas peur. Je vous guide ? Allez, tirez !
- Viridiana (Elle se lève brusquement.) : Non, non, je n'y arrive pas... Cela me fait... Cela me donne une sensation très...
- La voix de Rita : Je t'ai vue en chemise !
- Viridiana (Elle se dirige vers Rita.) : Vraiment.
- Rita : Oui, oui. Je t'ai vue !
- Moncho : Ne la prenez pas au sérieux, c'est une menteuse.
- Rita : Je l'ai vue ! Je l'ai vue ! Même que ses épingles à cheveux sont tombées et elle les a ramassées.
- Viridiana (sait que c'est vrai.) : Comment m'as-tu vue ?
- Rita : Depuis la terrasse.
- Viridiana : C'est très laid d'espionner. Pourquoi as-tu fais ça ? (Pas de réaction.) Je vais au poulailler . Tu m'accompagnes.
- Rita : Non, je ne veux pas. »
Rita part en courant, vexée. Moncho apporte un verre de lait à Viridiana, qu'elle boit. Elle le remercie et s'en va.
Le parallélisme d'objet chez Buñuel
Nous appelons un parallélisme d'objet ou d'élément, la présence de deux choses différentes qui ont souvent une même morphologie. En langage savant, nous dirons une tautologie, qui veut dire en grec : « la même chose » [12] Cet aspect prend chez Buñuel une valeur significative qui doit nous interpeller. Le parallélisme d'objet glisse dans le corps du film d'une façon discrète mais il devient le “ciment” qui relie des blocs d'images avec des concepts différents, comme par exemple la poignée de la corde à sauter et le pis de la vache , mais encore dans la même période du film, le clou sur lequel Don Jaime accroche la corde et les monumentales clous des instruments de la crucifixion. De la sorte, cet aspect devient un déclencheur poétique qui anime et stimule l'imagination.
Il est à noter que les deux couples cités sont représentés durant les dix premières minutes du film, ils sont donc inclut dans un temps relativement court, en simplifiant nous obtenons les parallélismes temporelles suivants :
[Parallélisme 1] : Poignée de Corde (0h 02' 48") / Pis de vache (0h 07' 52")
[Parallélisme 2] : La Corde accrochée à un clou (0h 03' 22") / Clous de la crucifixion (0h 07' 23")
Le parallélisme entre la vache et la corde à sauter
Il est à noter, encore une fois chez Buñuel le glissement admirable d'une donnée quotidienne et banale (boire du lait le matin) vers une donnée significative et profonde (une relation supplémentaire avec la corde à sauter). Il s'agit des ressemblances morphologiques qui s'accumulent et qui distribuent (ou creusent) des sens nouveaux. Nous voulons parler de la ressemblance entre le pis de la vache et la poignée de la corde. Nous obtenons alors l’équation suivante :
[3] : Corde → Pied → Poignée → Pis de vache
Soulignons également au passage que l'ensemble de la séquence se déroule devant les “pieds” de la vache.
En somme, nous pouvons dire que le réalisateur choisit quelques éléments ou objets, il les installent dans le film dans des situations ordinaires pour aboutir et engendrer en fin de compte à des significations extraordinaires.
Ainsi, ces plans sont à considérer attentivement. Ils témoignent, encore une fois, de la portée annonciatrice d'une image. Ils présentent d'ailleurs, d'autres arguments. Tout d'abord, nous assistons à une métamorphose de la figure de la vache, elle représente cette fois-ci un homme : il s'agit de la générosité de Don Jaime. En effet, La Supérieure du couvent persuade Viridiana d'accepter l'invitation de son oncle : « Il a payé vos études, votre entretien, et il vient même d'envoyer votre dot. Cela vous semble-t-il peu ? » Ensuite, lors de l'arrivée de Viridiana chez son oncle (plan 4), il y a eu ce dialogue : «
- Viridiana : (…) Je suis venue sur l'ordre de La Supérieure.
- Don Jaime : Il t'intéressait donc si peu de me voir ?
- Viridiana : A dire vrai pas beaucoup. Je ne sais pas mentir. J'ai pour vous du respect et de la reconnaissance parce que je vous dois tout, mais pour le reste…
- Don Jaime (tristement) : Aucune affection.
- Viridiana : Aucune. »
Comme pour le pis de vache, de laquelle aucune goutte de lait n'est sortie, quand Viridiana essaya de la traire. En revanche le lait va couler sur la tête de la vache grâce au versement (gaspillage) de Rita.
Enfin, il reste l'expression de Moncho : « tirez fort. Mais Serrez! » Ne correspond-elle pas à un clédon ? Ne représente-elle pas l'image du nœud de la corde, celle de Rita que Don Jaime utilise pour se pendre ? Ne concerne-elle pas non plus, plus tard, le boiteux, quand il utilise la corde en guise de ceinture ?
0h 07’ 42’’ – 0h 09’ 03’’ : Plans 15 – 16. Au poulailler – Première allusion à Jorge - L'abeille
- Photogramme 20 – Plan 15a. 00h 08' 55" : Les mains de Viridiana saisissent les œufs qu'elle trouve dans les pondoirs, et les déposent dans le panier. Elle termine le verre de lait que Moncho lui a offert. Apparaît Don Jaime au premier plan : « Soeur Viridiana !
- Viridiana : Bonjour mon oncle. Vous êtes bien matinal, aujourd'hui !
- Don Jaime : C'est pour te voir plus longtemps.
- Viridiana : Je vais vous faire un gâteau de religieuse. Vous vous en lécherez les doigts !
- Don Jaime : Tu me gâtes trop. Je ne saurai plus rester seul quand tu seras partie.
- Viridiana : Seul parce que vous le voulez.
- Don Jaime : Que veux-tu dire ?
- Viridiana : Rien. Je n'ai rien dit.
- Don Jaime : Tu as si peu confiance en moi ? Que veux-tu savoir ?
- Viridiana (Hésitante.) : Eh bien ! Je vous le dis, parce que je ne peux pas garder les choses pour moi. (Elle s'approche de lui et le fixe dans les yeux.) Est-il vrai que vous avez un fils ?
- Don Jaime (Surpris.) : Comment le sais-tu ?
- Viridiana : Il y a des années, je l'ai entendu dire par ma mère. Alors, c'est vrai ?
- Don Jaime : Oui, c'est vrai.
- Viridiana : Et vous le voyez jamais ?
- Don Jaime : Jamais.
- Viridiana : Comment est-il possible que les hommes agissent ainsi ?
- Don Jaime : Parfois les choses se font par inexpérience, d'autre fois par...
- Viridiana (En l'interrompant.) : Par méchanceté.
- Don Jaime : Que sais-tu de la vie ? Au fond, tu ne peux pas comprendre.
- Viridiana : Si, je comprends. Mais bien que vous ne soyez pas entièrement coupable, vous auriez dû recueillir cet enfant. »
- Photogramme 21 – Plan 16. 00h 10' 12" : Tous deux s'approchent d'un bassin. Tout en parlant, Don Jaime regarde avec attention le bassin, sur le bord duquel une abeille s'est posée : « Sa mère a voulu le garder. C'était une femme de condition modeste. J'étais amoureux de ta tante. J'aurais dû lui avouer, mais j'ai eu peur de la perdre. C'est pour cela que je n'ai rien dit.
- Viridiana : Et ce pauvre innocent ? (Cf. Photogramme 22.00h 10' 23")
- Don Jaime : N'aie crainte, il ne sera pas oublié. (Il fixe le bassin : l'abeille est encore là.) Je dois te paraître monstrueux ?
- Viridiana : Non, mais c'est triste que la vie soit ainsi. » (Cf. Photogramme 21.00h 10' 12")
0h 10’ 27’’ – 0h 11’ 38’’ : Plans 17 – 22. Don Jaime nostalgique – Le coffre de feue Dona Elvira
Plan dynamique 7 : le pied de Don Jaime 2
Plan 17. [13] 00h 10' 27" : Plan rapproché sur un feu de bois qui brûle dans une cheminée du salon. Panoramique à droite, sur la pendule qui marque deux heures du matin. La mélodie du carillon domine la musique du phonographe qui joue le quatrième mouvement de la Neuvième symphonie de Beethoven. Au fond, la chambre de Don Jaime éclairée par une lampe à pétrole.
- Photogramme 23 – Plan 18. 00h 10' 48" : Don Jaime est assis devant un grand coffre de bois sculpté qu'il vient d'ouvrir. Il regarde un vêtement de mariée qui est sans doute celui que portait feue Dona Elvira le jour de ses noces. Nous distinguons posé sur le couvercle du coffre, entres autres, le voile de la mariée. Don Jaime se déchausse et tente de passer à son pied nu une des chaussures de son épouse.
- Photogramme 24 – Plan 19a. 00h 10' 51" : Gros plan sur le pied droit de Don Jaime chaussé par la chaussure à talon de feue Dona Elvira. Il enlève la chaussure et la jette dans le coffre, pour saisir un bouquet de fleurs artificielles (Cf. Photogramme 25. 00h 10' 58"), il contemple le bouquet quelques secondes (Cf. Photogramme 26. 00h 11' 03"), et le jette sur le lit.
- Photogramme 27 – Plan 20. 00h 11' 06" : Gros plan sur le phonographe. Pourquoi y-a-t-il ce plan de transition avec le plan 19c, le moment où Don Jaime jette le bouquet de fleurs sur le lit ?
Plan 21 00h 11' 14" : Retour sur Don Jaime devant le coffre. Il sort du coffre une gaine de satin à rubans qu'il tient en mains, il se lève et se dirige vers un miroir. Il se ceinture de la gaine et contemple son visage.
Le parallélisme entre la valise et le coffre
Nous avons vu précédemment la question du parallélisme d'objet chez Buñuel. Il s'agit, sous la forme d'un tableau du :
[Parallélisme 3] : Valise de Viridiana (0h 07' 23") / Coffre de Don Jaime (0h 10' 48")
Valise de Viridiana | Coffre de Don Jaime | |
---|---|---|
Taille | Petit | Grand |
Espace | Mobile | Immobile |
Temps | Photogramme 6 – Plan 3c. 00h 03' 32" : La voiture à cheval s'arrête devant le perron de la maison. Viridiana descends, c'est le cocher qui sort la petite valise banale de Viridiana. | C'est un coffre de bois sculpté, il fait partie des meubles. Il est posé dans la chambre depuis le décès de Dona Elvira, depuis plus de vingt ans. Photogramme 23 – Plan 18. 00h 10' 48" : Don Jaime est assis devant le coffre qu'il vient d'ouvrir. |
Contenant | Instruments de crucifixion : objets de souffrance et de douleur. | Habits de mariage : Enveloppe de bonheur, le scellement dans la joie, d'une union. |
Objets | Un crucifix en bois, une couronne d'épines, un marteau, des clous, une éponge. | Nous distinguons un vêtement de mariée, un voile, un bouquet de fleurs artificielles, une chaussure à talon. |
Position des objets | L'ensemble est posé sur un coussin à même le sol. | Les accessoires cités sont jetés avec une certaine négligence. |
Situation des personnages | Viridiana est à genoux, en signe de vénération et de soumission. | Don Jaime, au contraire, cherche plutôt à s'amuser avec les contenants du coffre, comme s'ils étaient des jouets sexuels. Est-ce un travestisme inconscient, inavoué ? |
A travers la comparaison et la description du tableau nous obtenons un calque psychologique relativement précis des deux personnages. En effet, Gaston Bachelard, dans un chapitre consacré à la question du coffre, considère, avec raison, que nous pénétrons dans les “images du secret”. [14] Un peu plus loin, il précise : “Le coffre est un objet qui s'ouvre. Quand il se ferme, il est rendu à la communauté des objets ; il prend sa place dans l'espace extérieur. Mais il s'ouvre ! Alors, cet objet qui s'ouvre est, dirait un philosophe mathématicien, la première différentielle de la découverte. (…) Le dehors est rayé d'un trait, tout est à la nouveauté, à la surprise, à l'inconnu. Le dehors ne signifie plus rien. Et même, suprême paradoxe, les dimensions du volume n'ont plus de sens parce qu'une dimension vient de s'ouvrir : la dimension d'intimité.” [15] Mais chez Buñuel la représentation des images d'intimité se complique un peu, puisqu'il associe deux contenants différents ayant des contenus également différents. Ainsi, nous ne pouvons pas dire dans la comparaison, qu'avec les contenants ouverts, “le dehors ne signifie rien”. Nous avons vu la place des contenants quand les objets sont dehors, et la différence de comportement entre Viridiana et Don Jaime devant les objets. N'y-a-t-il pas ici une dialectique influente et communicative entre le dedans et le dehors ? Nous ne pouvons pas non plus dire, dans notre cas, que “les volumes n'ont plus de sens”. Il nous semble, qu'au contraire, ils vont acquérir un caractère de monumentalité, surtout avec la situation de Viridiana, quand Ramona regarde par le trou de la serrure (Plan 8), à ce moment là, c'est la chambre de Dona Elvira qui devient un coffre monumental, dont Ramona souhaite percer le secret. Et si nous allons jusqu'au bout de notre raisonnement, au plan 8, Viridiana elle-même devient comme un objet, qu'on va bientôt manipulé. Du côté de Don Jaime, le cadrage du plan est significatif, puisque nous assistons à la scène, au début (Plan 18) en restant au seuil de la chambre, devant une porte sculptée ouverte. Autre représentation d’un coffre à l’intérieur d’un coffre (monumental).
Toutefois il y a un dénominateur commun qui relie les deux contenants, il s’agit de feue Dona Elvira, Viridiana est dans sa chambre au moment où elle ouvre sa propre valise, Don Jaime est dans sa chambre quand il ouvre le coffre des habits de mariage. Et justement ce qui est frappant dans la comparaison du tableau, c’est le comportement des deux personnages, Viridiana en prière et Don Jaime qui s’amuse, seul, à faire la noce. En somme, grâce à ces deux passages nous entrons dans ce que Bachelard appelle « la topo-analyse des espaces intimes ». [16]
Enfin, le coffre n’a pas fini de nous livrer des surprises que nous allons voir plus loin. A présent nous revenons à la suite de la séquence : Don Jaime devant le coffre, plan 21.
Plan 22 00h 11' 19" : Plan américain. Don Jaime se ceinture de la gaine, nous apercevons seulement le buste de Don Jaime. Il contemple son visage.
Soudain, un bruit le fait tressaillir. Il cache la gaine et demande d'une voix angoissée : « Qui est là ? » Il range rapidement la gaine et d'autres accessoires dans le coffre, et il avance vers la porte.
0h 11’ 39’’ – 0h 13’ 26’’ : Plans 23 – 33. Viridiana somnambule – Les cendres sur le lit de Don Jaime
- Photogramme 28 – Plan 23. 00h 11' 41" : Don Jaime est étonné de voir passer près de lui Viridiana en chemise de nuit, elle porte sur les épaules un tricot de laine. La jeune femme est visiblement absente, elle a les yeux ouverts, mais le regard est sans expression. Elle tient dans ses mains une corbeille à ouvrage en osier. Don Jaime la suit du regard.
Plan 24 00h 11' 53" : Viridiana se dirige directement vers la cheminée du salon. Elle s'approche d'un fauteuil, elle s'assied.
Plan dynamique (inversé) 8 : Pieds Viridiana
- Photogramme 29 – Plan 25. [17] 00h 11' 41" : Au moment où Viridiana s'assied, sa chemise s'ajuste mal et laisse voir ses jambes et ses pieds nus.
- Photogramme 30 – Plan 26. 00h 12' 09" : Les yeux de Don Jaime se fixent sur ces jambes parfaites, il n'arrive pas à détacher son regard. Il est visiblement troublé.
Cendre et bouquet de fleur sur le lit de Don Jaime
- Photogramme 31 – Plan 27. 00h 12' 12" : La caméra est placée en arrière du feu. Viridiana le regard toujours fixe, se lève du fauteuil, elle s'approche du feu, et commence à jeter dans le feu ce que contient la corbeille : aiguilles, pelotes, écheveaux.
- Photogramme 32 – Plan 28. 00h 12' 29" : Plan rapproché. Viridiana s'accroupit devant le feu. Elle saisit de la cendre à pleine main pour le déposer dans la corbeille. Plan rapproché sur Don Jaime qui est de plus en plus perplexe (Plan 29).
Plan 29. 00h 12' 32" : Plan rapproché sur Don Jaime qui est de plus en plus perplexe. Il est inquiet.
Plan 30a. 00h 12' 36" : Retour sur Viridiana qui en se levant, laisse découvrir sa cuisse. Elle se dirige lentement vers la chambre de Don Jaime.
- Photogramme 33 – Plan 31a 00h 12' 45" : Gros plan du bouquet de fleurs artificielles sur le lit, que Don Jaime a jeter il y a quelques minutes, avec un certain mépris.
- Photogramme 34 – Plan 31b 00h 12' 49" : Viridiana avance près du lit, elle s’arrête et d’un geste lent, vide sa corbeille de cendre sur la couverture près des fleurs d’oranger.
- Photogramme 35 – Plan 31d 00h 13' 03" : Viridiana sa corbeille en main, passe, en frôlant Don Jaime de dos. Elle a toujours les yeux ouverts, le regard mort. Elle sort de la chambre. Don Jaime s’approche du lit et observe épouvanté la cendre que cette dernière vient d’y laisser. Il saisit une poignée pleine de cendre.
Plan 32 : Viridiana se dirige vers sa chambre. Don Jaime vient jusqu’au seuil de la sienne pour voir sa nièce pénétrer chez Dona Elvira.
Plan 33 : La porte de la chambre de Dona Elvira se ferme très lentement. On entend le faible déclic de la serrure.
Quelle est la valeur de la cendre ?
Buñuel continue à introduire des objets et de les animer avec un grand art mais aussi de l'ambiguité. Après la corde à sauter, les poignées de la corde, le pis de vache, les instruments de crucifixion, le coffre de Don Jaime et l'abeille, il nous présente maintenant une corbeille en osier, avec des aiguilles et une pelote de laine. Ce qu'il faut souligner tout d'abord, c'est que la corbeille vient de faire sa première (et dernière) apparition ; nous n'avons rencontré personne qui tricote. Est-ce que la corbeille appartient à Ramona ? Seule femme de la maisonnée. Ou alors à Viridiana ? Cela reste un mystère, comme l'apparition mystérieuse de Viridiana à l'instant précis où Don Jaime a ouvert le coffre. En effet, il ouvre le coffre et voilà que Viridiana apparaît dans un état de somnambulisme, un état éveillé mais inconscient. Ne peut-on pas également déduire que c'est une apparition de feue Dona Elvira, étant donnée la grande ressemblance entre Viridiana et Dona Elvira ? Par ailleurs, nous pouvons constater que durant son état inconscient, Viridiana a constamment le regard fixe, en avant, comme si elle voyait au-delà des choses, comme si elle voyait le futur. Ainsi, au moment où elle remplace le contenu de la corbeille par de la cendre, elle ne regarde pas ce qu'elle fait, mais elle le fait adroitement. Il en est de même quand elle jette la cendre près de bouquet de fleurs artificielles, c'est comme si Elle savait ce qu'Elle faisait. Et la question est de savoir qui c'est Elle ? (Est-ce Viridiana ? ou Dona Elvira ?)
Quelle est alors la valeur de ce plan unique dans le film ? Nous avons vu à quel point Don Jaime était inquiet et intrigué par la scène qui est exceptionnelle. La question reste ouverte, mais nous pensons assister au vœu de métamorphose souhaitée par Viridiana. Elle remplace des objets, encore une fois banales, par de la cendre : le produit de la fin de toute chose terrestre. D'autre part, il semblerait que la cendre « tire son symbolisme du fait qu'elle est par excellence valeur résiduelle : ce qui reste après l'extinction du feu. (Mais) Spirituellement parlant, la valeur de ce résidu est nulle. La cendre symbolisera la nullité liée à la vie humaine, du fait de sa précarité. » [18] Doit-on alors interpréter le plan 31b sous l'angle de la « nullité » ? La nullité du mariage de Don Jaime ? Un mariage artificiel à cause du bouquet de fleurs artificielles ? (Un parallélisme de plus.)
Enfin, il reste encore à développer d'une part, les équations que nous avons pointé précédemment :
[1.1] : Corde → Pied → Poignée → Serpent → Pelote de laine → Feu → Cendre → Lit
Et le parallélisme entre les clous et les aiguilles :
[Parallélisme 2.1] : La Corde accrochée à un clou (0h 03' 22") / Clous de la crucifixion (0h 07' 23")/ Aiguilles à tricoter (0h 12' 12")
0h 13’ 27’’ – 0h 15’ 16’’ : Plans 34 - 37. Le réveil de Don Jaime – Le souhait de départ de Viridiana
Plan 34 : Ramona est en train de brosser un vêtement près du lit de Don Jaime. Nous entendons en off la voix de Don Jaime : « Elle est déjà levée ?
- Ramona : Il y a longtemps. (Elle regarde vers le lit.) Elle m’a demandé de préparer ses affaires. »
Plan 35 : Don Jaime est assis sur son lit, en train de prendre son petit déjeuner. Ce que vient de dire Ramona le fait sursauter : « Son dernier jour dans cette maison ! Si elle part, je ne la verrai plus.
- Ramona : Pourquoi ne lui dites-vous pas de rester quelques jours de plus ?
- Don Jaime : Je le lui ai demandé, mais c’est une ingrate. Parfois j’ai envie de la battre. Quand je lui parle du couvent elle redevient de pierre. (Tout à coup, Il semble penser à quelque chose d’important. Il appelle Ramona sur un ton presque suppliant.) Ramona ! (Elle cesse son nettoyage. Elle fixe son regard sur son maître.) Viens ici, Ramona. (En tapant sur le bord du lit. Ramona abandonne son chiffon et s’approche du lit.)
- Ramona : Qu’y a-t-il ?
- Don Jaime (Il la prend par la main, l’obligeant à s’asseoir.) : Assieds-toi, femme ! Assieds-toi ! (Il la regarde dans les yeux avec douceur.) Tu as de l’estime pour moi, n’est-ce pas ?
- Ramona : Je serais bien ingrate si je ne vous aimais pas, monsieur. Vous m’avez recueillie avec ma fille, quand je ne savais où aller.
- Don Jaime : Bon, bon, il ne faut pas parler de ça. De quoi serais-tu capable pour moi ?
- Ramona : Commandez-moi monsieur. Je ferai n’importe quoi.
- Don Jaime : Pourquoi ne lui parles-tu pas, Ramona ? Les femmes ont plus d’idées pour cela. Trouve quelque chose pour qu’elle reste deux ou trois jours de plus. (Il lui prend la main, en la caressant.) Tu es bonne, Ramona ! Parle-lui, je sais que je n’ai pas besoin de t’offrir quelque chose, mais si tu réussis je te promets que je ne t’oublierai pas, ni la petite.
- Ramona : Mais monsieur, que puis-je lui dire ? et quelle attention va-t-elle prêter à une domestique ?
- Don Jaime : Tu as raison, mais il faut faire quelque chose. (Il continue à réfléchir à ce qu’il n’ose pas exprimer.)
- Ramona : Pensez vous-même à ce qui serait le plus habile et pour quoi que ce soit je vous aiderait de tout mon cœur.
- Don Jaime : Regarde dans le placard. Sur l’étagère du dessus, il y a un petit flacon bleu. Il n’y a pas d’étiquettes. Dedans tu vas voir quelques pilules blanches.
- Ramona (Plan 36 : elle vient d’ouvrir complètement le placard, prend un flacon) : Celui-là, Monsieur ?
- Don Jaime (Plan 37 : il fait un signe de la tête affirmatif) : Oui, laisse-le là. Continue ce que tu as à faire. Je te dirai plus tard.
Don Jaime dépose son plateau sur la petite table du déjeuner et descend du lit. Il est en pyjama. Il passe ses pantoufles et se dirige vers la fenêtre, il regarde vers l’esplanade.
0h 15’ 17’’ – 0h 15’ 31’’: Plans 38 - 39. Rita et Viridiana jouent ensemble à la corde à sauter
- Photogramme 36 – Plan 38. 0h 15' 17" : Plan éloignée, en plongée. Nous voyons Rita, qui saute encore à la corde. Près d’elle se trouve Viridiana. Elle fait arrêter la fillette. Elles parlent un moment puis la jeune fille prend la corde à son tour et elles se mettent à sauter ensemble, avec beaucoup de dextérité.
Plan 39 : En contemplant la scène, une lueur de tendresse anime les yeux de Don Jaime.
- Photogramme 37 – Plan 39a. 0h 15' 25" : Viridiana et Rita sautent à la corde ensemble.
L'entrée dans la sphère – Le rôle de Rita
Après sa crise de somnambulisme, Viridiana change de comportement. Elle commence par accepter de jouer avec Rita à la corde à sauter, c'est même elle qui va le proposer : elle entre ainsi physiquement dans la sphère du jeu, et finira par accepter, ultérieurement, psychologiquement de jouer le jeu (inconscient mais vicieux) de Don Jaime, et enfin, de jouer avec Jorge aux cartes de jeu. Le plan 39bis appuie nos arguments sur ce qu'on a déjà dit sur Rita.
Nous pouvons alors développer l’équation que nous avons vu, au plan 4b : lors de l'arrivée de Viridiana.
[2] : Corde → Serpent → Arbre
Qui devient :
[2.1] : Corde → Serpent → Arbre → Rita → Jeu → Tentation
Si nous procédons à un bilan de la présence et des propos de Rita nous pouvons nous apercevoir, comme nous l'avons déjà dit, que Rita a un rôle considérable.
D’autre part, il faut porter un regard attentif à la figure du cercle qui va subir un développement étonnant, dès le plan suivant et d’autres plans par la suite. De la sorte, nous continuons à avancer subtilement à la fois sur un registre de parallélisme d’objet et sur des variations d’un motif.
0h 15’ 32’’ – 0h 16’ 52’’ : Plan 40. La fin du déjeuner – Explication sur le somnambulisme de Viridiana
- Photogramme 38 – Plan 40a. 0h 15' 32" : Gros plan sur les mains de Viridiana en train de peler un fruit. L’épluchure forme en se déroulant une longue spirale. Elle pose le fruit sur une soucoupe et la porte à Don Jaime, qui est assis près de la cheminée, où un beau feu est allumé. Don Jaime est en train de nettoyer ses pipes. Il les abandonne pour remercier sa nièce de son chef-d’œuvre. Il admire la spirale : « Je n’ai jamais su faire ça, je suis très nerveux. (Cf. Photogramme 39 – Plan 40b )
- Viridiana (Elle contemple le feu. Puis elle se rapproche de Don Jaime, l’air perplexe.) : Pourquoi ne m’avez-vous pas réveillée ?
- Don Jaime (En train de manger son fruit.) : On dit que c’est dangereux.
- Viridiana : Ne le croyez pas. Il y a quelques années, la dernière fois où je me suis promenée endormie, on m’a réveillée en me giflant. Et vous voyez je suis encore vivante ! (Soudain, son visage s’assombrit.) Ce qui me préoccupe, c’est d’avoir porté des cendres sur votre lit.
- Don Jaime : Pourquoi ? Ce n’est pas plus étrange qu’autre chose. Les somnambules ne savent pas ce qu’ils font.
- Viridiana (En secouant la tête négativement.) : Non, mon oncle. Les cendres veulent dire pénitence, et mort.
- Don Jaime : Alors, la pénitence pour toi, qui vas être nonne, et la mort pour moi, qui suis le plus vieux. (Viridiana s’est assise. Ramona qui est entrée un instant auparavant sert une tasse de café à Don Jaime.) Demain, si tu veux bien, je t’accompagnerai au village quand tu partiras.
- Viridiana : Merci, mon oncle.
- Don Jaime (Regarde la pipe qu’il est en train de bourrer.) : Ce soir, il faudra faire quelque chose de spécial en signe d’adieux.
- Viridiana : Ce que vous voudrez.
- Don Jaime (Tend à sa nièce un morceau de fruit. Elle le prend et avec un air faussement détaché.) (Cf. Photogramme 40 – Plan 40c ) : Je voudrais que tu me fasses un plaisir. Une chose innocente, mais qui me tient beaucoup à cœur.
- Viridiana : Aujourd’hui, je ne peux rien vous refuser.
- Don Jaime : Alors, tu feras ce que je te demanderai ?
- Viridiana (Sans inquiétude, mord sur le quartier de fruit que son oncle lui a donné.) : Ce que vous voudrez. Ordonnez-moi.
- Don Jaime (Il la regarde avec gratitude. Mais aussitôt il est plein de pudeur.) : Non, attends… (Il sourit gauchement.) Quelle sottise ! Cela me coûte beaucoup de te le dire. » (Il prend une gorgée de café, rallume sa pipe. Il hoche la tête comme s’il avait pitié de lui-même.)
Est-ce que le morceau d’orange est une allusion au fruit défendu ? Au corps de Viridiana ?
Reprenons dès le début, c’est Viridiana qui épluche le fruit et qui l’apporte sur une soucoupe, pour l’offrir à Don Jaime. C’est métaphoriquement, comme si elle s’offrait, inconsciemment à Don Jaime. Il en est de même quand Don Jaime contemple la spirale de l’épluchure, il admire la dextérité de Viridiana à découper la « peau » du fruit avec précision, mais ne peut-on pas dire qu’il contemple le « corps » de Viridiana ? « Un corps parfait qui se déroule devant lui », et qu’il tient par la main. Un corps qui est à la portée de sa main, et ça va être le cas. D’ailleurs, si l’on observe attentivement le photogramme du plan 40b, détail, nous constatons une similitude schématique frappante, (un parallélisme de plus, doublée d’une résonance), entre le corps de Viridiana et l’épluchure. En effet, l’amorce de l’épluchure qui est ronde, correspond à la tête et le reste de la spirale au corps. De plus, l’image montre Viridiana de dos, en face du feu de la cheminée. Le feu de sa détermination qui va hélas, indirectement céder.
Mais ne peut-on pas également déduire que la forme générale de l’épluchure, telle qu’elle est représentée dans le plan 39, devient une métaphore globale du « fruit défendu » ? Ne devient-elle pas ainsi, à la fois, l’arbre, le serpent et le fruit ? Nous assistons alors, à une intense condensation (concentration) et une inversion de la scène biblique de l’histoire d’Adam et d’Eve, puisque c’est Don Jaime qui donne un morceau du fruit à Viridiana. [19]
La relation de l’épluchure avec les cendres
Il reste enfin un autre point important que nous risquons de passer sous silence, car très souvent, nous n’établissons pas de lien entre les plans, nous avons tendance à les traiter séparément, sans chercher les relations et les combinaisons qui peuvent s’établir entre eux, nous avons déjà parler de ces aspects. Ainsi, en ce qui concerne la scène de l’épluchure, il est important de se rappeler ce qui s’est passé dans les plans précédents et qui sont en étroite relation avec celui-ci, et c’est d’ailleurs ce qui préoccupe Viridiana. Il s’agit des plans 23 – 33, les cendres sur le lit de Don Jaime. Nous retrouvons alors un autre parallélisme :
[Parallélisme 4] : Viridiana vide la corbeille de cendre sur la couverture près des fleurs d’oranger (0h 12' 49") / Viridiana pose l’épluchure et l’orange sur une soucoupe et la porte à Don Jaime (0h 15' 32")
Ce qui est pertinent dans ce parallélisme et qui offre un dénominateur commun, c’est que les cendres et l’épluchure sont des « restes », pour ne pas dire des déchets ; le premier c’est ce qui reste d’une combustion, le second c’est l’enveloppe, la peau, à retirer pour accéder au fruit. Or, dans les deux cas, c’est Viridiana qui apporte les restes à Don Jaime.
A présent observons la descente de Don Jaime dans une spirale dangereuse.
0h 16’ 53’’ – 0h 20’ 37’’ : Plans 41 - 45. Viridiana et Don Jaime jouent ensemble aux mariés
Plan 41. 0h 16' 53" : Extérieur parc. La nuit. La façade da la maison est illuminée par la lune. Les fenêtres des deux seules pièces se détachent de l’obscurité. Peu à peu, de celle qui correspond à la chambre de Dona Elvira, la lumière s’éloigne comme si quelqu’un quittait la pièce en l’emportant.
- Photogramme 41 – Plan 42. 0h 17' 00" : Viridiana qui apparaît vêtue de la robe de mariée que nous avons vue au plan 18 dans les mains de Don Jaime. Elle sort de la chambre de Dona Elvira, elle porte d’une main un chandelier allumé. Elle s’avance, parée comme si elle montait à l’autel. Bien que la situation lui déplaise, elle la divertit un peu. Ramona l’aide en portant sa traîne. Elles se dirigent vers le salon.
- Photogramme 42 – Plan 43. 0h 17' 09" : Don Jaime regarde vers la porte et voit entrer Viridiana. La main lui tremble, il reste immobile un instant. Puis il avance vers elle, lui prend le chandelier des mains, et la contemple d’un regard admiratif. Ramona lâche la traîne et sort du cadre.
- Don Jaime : « Comme tu es bizarre ! Quand je t’ai demandé de me faire ce plaisir tu as refusé, presque offensée, et puis voilà que tout d’un coup tu me combles de bonheur ! Merci, ma fille !
- Viridiana (Un peu oppressée.) : Je n’aime pas les mascarades, mais vous voyez que je me suis décidée à satisfaire votre caprice.
- Don Jaime (Il libère la main de la jeune fille. Il a une expression d’amertume.) : Ce n’est ni une mascarade, ni un caprice. (Il se tait un instant.) Je vais te dire une chose que très peu de gens connaissent. (Il fait quelques pas, il s’arrête et se retourne vers elle.) Ta tante est morte du cœur, dans mes bras, la nuit de nos noces, vêtue de cette robe. Et toi, tu lui ressembles tant ! (Tout en parlant, il s’est avancé vers une table, sur laquelle il pose le chandelier.) Tu dois penser que je suis fou.
- Viridiana : Non, mon oncle. Et maintenant je suis contente de vous avoir fait plaisir, parce que, contrairement à ce que j’avais pensé, je crois que vous êtes bon. (Viridiana arrange son voile.)
- Don Jaime (Tout en parlant, il s’est approché d’une autre table, près de laquelle nous voyons Ramona s’affairer. Il allume un samovar à alcool.) : Si tu savais… Quand j’étais jeune je me sentais plein d’idéal. Je voulais faire quelque chose de grand pour les autres ; quelque chose qui aurait montré mon amour pour l’humanité. Mais dès que je m’y mettais, j’avais peur qu’on se moque de moi, je me sentais ridicule… et je rentrais dans ma coquille.
- Viridiana : N’est-ce pas de la lâcheté ? ( Plan 44. 0h 18' 16" )
- Don Jaime : Non, ce n’est pas cela. Je t’assure que je ne tremblerais pas devant un grand danger. Je me le suis prouvé à moi-même. En revanche, la visite d’un inconnu, qui vient peut-être seulement me saluer, me remplit d’inquiétude. »
Le silence s’établit un moment. Don Jaime regarde Viridiana amoureusement : « Je ne me lasse pas de te regarder. Viens. Allons nous asseoir. (Tous deux s’assoient, l’un près de l’autre.)
- Viridiana : Ne croyez pas, mon oncle, que cela ne m’attriste pas de vous quitter.
- Don Jaime (Vivement.) : Cela ne dépend que de toi. Ne pars pas, alors ! …
- Viridiana (Elle hoche la tête négativement.) : Malheureusement…
- Don Jaime (Découragé.) : C’est ma faute. Si j’étais allé te voir souvent, si je t’avais fait venir pour tes vacances, tous serrait peut-être différent.
- Viridiana (Souriante.) : C’est possible.
- Don Jaime : Il y a un moyen pour que tu restes. Si je te demandais… (Il s’arrête devant elle. Il baisse les yeux.) Enfin… si je te disais que… (Il ne peut poursuivre.) Je ne peux pas… Je ne peux pas… »
Viridiana le regarde étonnée.
- Photogramme 43 – Plan 45a. 0h 19' 05" : Ramona s’avance vers eux. La servante a suivi avec intérêt la conversation. Elle vient au secours de Don Jaime. Elle s’adresse sur un ton résolu à Viridiana : « Il veut vous épouser, mademoiselle. (Viridiana est stupéfaite.) Pardonnez-moi, Monsieur, mais si je ne le dis pas vous n’oserez pas. (Don Jaime, honteux, regarde la domestique avec un air de reproche.) Il vous aimes beaucoup et il mérite qu’on le lui rende car il est très bon.
- Viridiana (Très surprise.) : Vous parlez sérieusement ?
- Don Jaime (Les yeux baissés.) : Oui, je veux que tu ne t’en ailles jamais de cette maison.
- Viridiana (Se levant.) : Il n’est pas possible que vous soyez dans votre bon sens ! J’étais si heureuse ces jours-ci. Maintenant vous avez tout gâché. (Elle ôte rageusement son voile.) Il vaut mieux que je m’en aille dans ma chambre.
- Don Jaime : Attends ! Pardonne-moi. Vraiment. Je te demande sincèrement pardon. Reste quelques minutes. (Cf. Photogramme 44 – Plan 45b) Si tu t’en vas maintenant, je penserai que tu vas me garder rancune pour toujours… Je te promets de ne parler de rien qui puisse te fâcher. Je mettrai un peu de musique et nous prendrons le café. (Il fait un signe à Ramona qui est revenue vers la cafetière. Viridiana est restée immobile, la tête baissée. Ramona regarde Don Jaime, qui lui fait un geste imperceptible de connivence. Il va vers le phonographe et y place un disque : Le Kyrie du Requiem de Mozart. Ramona remplit les tasses.)
- Ramona : Mademoiselle… tenez, ça vous fera du bien. »
Viridiana boit lentement presque toute la tasse.
Les caprices de Don Jaime
Après avoir déposé la cendre sur le lit de Don Jaime, Viridiana est anxieuse, Don Jaime profite de l'angoisse de Viridiana à son sujet pour lui imposer le « jeu de la mariée ». On se rappelle l’origine du jeu, c’était au plan 40c, Don Jaime tend à sa nièce un morceau de fruit : « Je voudrais que tu me fasses un plaisir. Une chose innocente, (…)
- Viridiana : Aujourd’hui, je ne peux rien vous refuser.
- Don Jaime : Alors, tu feras ce que je te demanderai ?
- Viridiana (En mordant le fruit.) : Ce que vous voudrez. Ordonnez-moi. »
La « chose » que Don Jaime demande n’est pas aussi innocente qu’il le prétend. Cette « chose innocente » cache toutes ses obsessions et phantasmes. Tout d’un coup, Viridiana va donner corps à ses désirs les plus profondes : retrouver un instant son épouse disparue et éventuellement la remplacer. Ainsi, au moment où Viridiana apparaît devant lui habillée avec la robe de mariée, elle exprime son sentiment à l’égard de son oncle : « Je n’aime pas les mascarades, mais vous voyez que je me suis décidée à satisfaire votre caprice. » Don Jaime est étonné de la pertinence d’appréciation de Viridiana : « Ce n’est ni une mascarade, ni un caprice. » Mais ensuite, il évite de répondre en changeant de sujet. Ce qui semble indiquer que c’était un caprice, et qu’il considère sa nièce comme un « jouet ».
Comme nous pouvons le constater, depuis le début du film, le jeu a une place de choix, avec des ramifications surprenantes, nous réservons notre développement dans la conclusion.
Pour le moment, nous allons prendre en considération, l’habit et les accessoires du « jeu ».
Le parallélisme de la couronne
Au plan 11 nous avons vu en gros plan la couronne d’épines posée sur un coussin, l’image est ponctuelle, à peine quelques secondes. Dans ce chapitre, outre la robe et la voile de mariée, nous verrons aussi la couronne de fleurs artificielles de feue Dona Elvira placée sur la tête de Viridiana. Ce qui est significatif avec la couronne de fleurs, c’est la durée de sa présence : du plan 42 (0h 17' 00") au plan 45b (0h 19' 34"), c’est le moment où Ramona lui annonce que Don Jaime veut l’épouser et que Viridiana ôte hargneusement le voile de sa tête. C’est une façon d’annoncer que la « cérémonie » est terminée. Nous reviendrons sur cette séquence, au chapitre 13, « Don Jaime s’offre Viridiana », surtout que Don Jaime va habiller, avec malice, la couronne de fleurs sur la tête de Viridiana une seconde fois. Pour l’instant nous soulignons le 5ème parallélisme :
[ Parallélisme 5] : Couronne d’épines (0h 07' 24") / Couronne de fleurs artificielles (0h 17' 00")
Est-il bon de traîner les restes de son passé ?
Il y a une citation d’Oscar Wilde qui convient parfaitement à cette situation dramatique : « Aucun homme n’est assez riche pour pouvoir se payer son passé. » Or, Don Jaime, non seulement il veut se payer son passé, mais il veut également se payer une seconde jeunesse, non pas avec n’importe quelle personne, mais avec sa nièce, un membre de sa famille, ce qui signifie l’officialisation d’un acte incestueux. Et de plus, il n’y va pas de main morte, à peine Viridiana est arrivée, (c’est sa seconde journée de visite à son oncle), qu’il veut déjà l’épouser. Mais Viridiana ne voit pas les choses sous cet angle, bien au contraire, elle a un tout autre projet, consacrée sa vie à Dieu et à l’humanité.
En somme, il y a une grande incompatibilité entre les deux principaux protagonistes, d’abord, ils sont déjà parents ; ensuite, Don Jaime est égocentrique, il vise à « réparer » le passé de sa vie ; Viridiana est, si l’on ose dire, allocentrique [20], elle souhaite préparer la vie des autres.
Passons au troisième protagoniste, Ramona, qui est l’agent annonciateur du souhait de Don Jaime, qui lâche la terrible phrase : « Il veut vous épouser, mademoiselle. » C’est donc elle qui déclenche le désordre de la situation. Jusqu’à présent, Ramona était la discrétion même, nous l’avons vu au plan 42, tenir la traîne de la robe de mariée, comme si elle a toujours était à la « traîne », derrière Don Jaime, et ensuite derrière Viridiana, mais cette fois-ci, elle monte, si l’on ose dire, aux premières lignes, et lance une action qui hélas, va mal finir.
Nous pouvons d’ailleurs, nous poser cette question, pourquoi Don Jaime n’a pas jeté son dévolu sur Ramona ? Comme le fera plus tard son fils naturel, Jorge. En fait, nous nous trouvons devant une obsession presque maladive de la part de Don Jaime, car au cours de cette séquence nous apprenons un fait important, quelque chose qu’il n’a jamais dit à personne : Ta tante est morte du cœur, dans mes bras, la nuit de nos noces, vêtue de cette robe. Et toi, tu lui ressembles tant ! (…) Tu dois penser que je suis fou.
Nous avons commencé le chapitre par une citation, nous allons le conclure par une autre citation, elle est tirée des écritures bibliques, qui concerne Sodome et Gomorrhe quand Loth, le neveu d'Abraham et sa famille, sa femme Édith, ainsi que ses deux filles ont voulu quitté la ville infernale. Les deux anges lui ont demandé expressément de partir et de ne pas regarder en arrière, de ne pas se retourner, au risque de devenir une statue de sel, Édith a bravé l’interdit et regardé en arrière pour finir en une statue de sel. Nous pensons traduire ce passage biblique par un avertissement, qu’il est vain de regarder en arrière, c’est-à-dire de regarder le passé, car nous nous transformons en une statue de sel, nous devenons amer. Et c’est ce qu’est devenu Don Jaime, un être amer qui s’accroche à son passé, comme un remord qui ne le quitte plus. Un être amer est aussi un être malheureux qui est capable d’accomplir les pires atrocités. Cependant, il reste encore un point à élucider :
La question du chandelier
Au moment où Don Jaime prononce le secret, il avance vers une table pour poser le chandelier qu’il avait pris des mains de Viridiana. Le chandelier doit également nous interpeller : c’est un chandelier à cinq branches, mais, il n’y a que trois bougies qui sont allumées, il manque deux bougies, pourquoi ? Est-ce pour présenter « la lumière » des trois protagonistes ? Mais ce qui est troublant dans ce chandelier c’est que les bougies sont disposées d’une manière asymétrique.
Ainsi, les emplacements vides du chandelier représentent en quelque sorte le passé de Don Jaime, qu’il tient absolument à combler. En fait, cela se traduit dans l’esprit naïf de Don Jaime de remplacer une bougie par une autre ; mais, Viridiana n’est pas une bougie.
Mais avant d’assister au comportement pitoyable de Don Jaime, Buñuel choisit de faire une transition avec un animal sombre : un taureau.
0h 20’ 38’’ – 0h 21’ 19’’ : Plan 46. Le taureau noir
Plan 46. 0h 20' 38" : Moncho, assis près d’une table rustique est en train de réparer une courroie. Près de lui, une feuille de papier sur laquelle sont posés des morceaux de sucre. Il les mange avec délectation. La porte s’ouvre et Rita entre larmoyante. Moncho la regarde dédaigneusement : « Pourquoi pleures-tu ?
- Rita : J’ai peur.
- Moncho : Pas de comédie. Va te coucher.
- Rita : Un taureau noir est venu.
- Moncho (En riant.) : Un taureau noir. (Cf. Photogramme 45 – Plan 46 )
- Rita : Il est très grand.
- Moncho : Très, très.
- Rita : Oui. Très, très grand.
- Moncho : Il ne passera pas par la porte. (Rita fait un signe négatif de la tête.) Alors, par où est-il entré, sotte ?
- Rita (Elle réfléchit un instant.) : Il est entré par le placard.
- Moncho : Menteuse ! Fiche-moi la paix.
- Rita (En pleurant.) : J’ai peur.
- Moncho (Lui tend un morceau de sucre.) : Tiens. Et appelle ta mère si tu as des cauchemars. Va t’en et ne me dérange pas. »
Rita accepte le cadeau et finit par sortir.
Le taureau dans le placard, est-ce un rêve prémonitoire ?
La transition avec le taureau noir pour exprimer l’esprit malsain et buté de Don Jaime est très habile. Quand Moncho, l’inlassable travailleur (contrairement à Don Jaime, l’éternel oisif), demande à Rita, comment le taureau est entré, elle lui répond : « par le placard », or il y a un plan qui est en relation directe avec ce plan, c’est le réveil de Don Jaime, au plan 35, et c’est d’ailleurs au cours de ce plan qu’il va mettre au point son dessein, il faut le dire, machiavélique : (Il vient d’apprendre de la part de Ramona que Viridiana veut partir au couvent. Il veut la retenir.)
- Don Jaime : « Tu as raison, mais il faut faire quelque chose. (…) Regarde dans le placard. Sur l’étagère du dessus, il y a un petit flacon bleu. Il n’y a pas d’étiquettes. Dedans tu vas voir quelques pilules blanches.
- Ramona (Plan 36 : elle vient d’ouvrir complètement le placard, prend un flacon) : Celui-là, Monsieur ?
- Don Jaime (Plan 37 : Il fait un signe de la tête affirmatif) : Oui, laisse-le là. (…) »
Ainsi, Don Jaime a prévu plusieurs alternatives. Quand il a constaté que Viridiana était très furieuse de sa demande de mariage. Il passe à son second plan. Mais il fallait d’abord la calmer, il va donc lui mentir et lui dire : « Attends ! Pardonne-moi. Vraiment. (…) Je mettrai un peu de musique et nous prendrons le café. » (Il fait alors un signe à Ramona qui est revenue vers la cafetière, pour verser le somnifère.) A travers cette réplique nous déduisons que Don Jaime n’est pas sincère, et que pour arriver à ces fins (peu honorables), il est capable de tout.
L’image du taureau noir ne désigne-t-elle pas la force négative de l’homme qui, tête baissée va cogner et dépasser les limites de la logique ? Ainsi, Don Jaime se transforme en un être mythique, comme Zeus, le dieu Grec, qui se transforma en un taureau, afin de séduire et d’enlever la belle Europe.
Enfin, il reste à tirer une conclusion sur le caractère juvénile et capricieux de Don Jaime, puisque c’est une personne qui, grâce à sa richesse personnelle, veut posséder les choses et les gens pour le servir, sans demander leur avis. Il prend ses désirs pour des réalités. Toutefois, cela ne concerne pas Ramona, car en fin de compte, ne peut-on pas dire que Ramona devient en quelque sorte sa « mère » ? C’est vers elle, d’ordinaire une domestique, qu’il se tourne dès qu’il a des soucis. À présent, nous allons voir le dernier grand caprice de Don Jaime, s’offrir sa nièce. Elle reconnaît elle-même que Don Jaime est capricieux au plan 43 : « Je n’aime pas les mascarades, mais vous voyez que je me suis décidée à satisfaire votre caprice ». Nous trouverons ultérieurement, un parallèle de cette séquence avec le plan 143, quand les mendiantes entrent dans la maison et découvrent une très belle nappe avec des dentelles, Refugio dira : « Dieu ! Crever sans avoir pu bouffer sur des dentelles pareilles ! » Alors deux remarques s’imposent : 1. L’existence d’une ressemblance psychologique entre Don Jaime et les mendiants ; 2. Ce qui compte le plus, c’est le présent, un présent romantique : Ici et maintenant. C’est une allusion à la citation connue : « Après-nous, le déluge. »[21]
0h 21’ 20’’ – 0h 25’ 25’’ : Plans 47 - 57. Don Jaime « s’offre » Viridiana – Rita « s’offre » un spectacle inattendu
Plan 47. 0h 21' 20" : Ramona pose sa tasse. Don Jaime, près d’elle lui tend la sienne. Ils se regardent en silence. La musique s’est tue. Don Jaime s’approche du phonographe et met un autre morceau : le Cum Sanctis tuis du Requiem de Mozart. Viridiana est assise, elle tient à la main sa tasse vide.
Plan 48. 0h 21' 45" : Gros plan de la main droite de Viridiana tenant la tasse et la soucoupe. Mais ses doigts laissent échapper ce qu’ils tiennent. Don Jaime est derrière elle. Il observe ses réactions. Il regarde Ramona et dit à Viridiana : « Tu sembles très fatiguée. Il vaudrait peut-être mieux que tu ailles te coucher. » Aucune réponse. La tête de Viridiana s’incline sur une de ses épaules. Il la secoue doucement : « Viridiana ! Viridiana ! »
- Photogramme 46 – Plan 49. 0h 21' 55" : Au fond du couloir apparaît Rita qui monte l’escalier. Elle avance prudemment dans le couloir en direction du salon, d’où parviennent des voix : «
- Don Jaime : Aide-moi ! Prends la par les jambes…
- Ramona : Soulevez-la un peu plus, monsieur… (On entend le bruit d’une chaise qui tombe.)
- Don Jaime : Ne me juge pas mal, Ramona. Je veux seulement l’avoir près de moi. »
Rita court se cacher derrière la rampe. Elle observe craintivement la scène. Du salon arrivent Don Jaime et sa mère soutenant le corps inerte de Viridiana. Ils se dirigent vers la chambre de Dona Elvira, où ils entrent. Rita sort de sa cachette. Elle voudrait en voir davantage, mais elle craint d’être surprise, elle se met à descendre les escaliers.
- Photogramme 47 – Plan 50. 0h 22' 38" : Don Jaime et Ramona ont étendu Viridiana sur le lit. Ramona allume un chandelier. Don Jaime l’ordonne de sortir. Ramona obéit. Don Jaime s’approche de Viridiana et commence avec grande attention à coiffer les mèches de cheveux de Viridiana. Il place la couronne de fleurs artificielles. Il croise les mains de le jeune fille sur sa poitrine, lui joint les pieds, arrange sa robe.
Plan 51. 0h 23' 29" : Rita se dirige vers le grand arbre de la terrasse, en regardant de temps en temps la fenêtre faiblement éclairée de la chambre de Dona Elvira. Après un moment d’hésitation elle se met à grimper à l’arbre. On entend les aboiements d’un chien.
Plan 52. 0h 23' 42" : Don Jaime est assis au bord du lit. Il se relève. Il passe et repasse devant le corps inerte de Viridiana. Il s’arrête un instant et va s’asseoir à nouveau sur le lit. Terriblement ému, il commence par caresser les cheveux et le front de Viridiana. Il passe un bras derrière elle et la soulève légèrement. Il approche son visage et joint ses lèvres aux siennes, dans un baiser doux et prolongé.
- Photogramme 48 – Plan 53 0h 24' 18" : Rita termine l'ascension de l'arbre et accède à la fenêtre, elle assiste à travers la vitre à la débauche de Don Jaime.
- Photogramme 49 – Plan 54. 0h 24' 20" : Don Jaime commence, avec frénésie, à déboutonner la robe de mariée de Viridiana, il écarte les deux parties laissant apercevoir sa poitrine, il plonge aussitôt la tête pour l'embrasser voluptueusement. Ensuite, pris de remords, devant ce corps qui s'offre à lui, mais ne réagit pas. Il referme la robe, et se relève du lit avec un air de dégoût.
Plan 55. 0h 24' 46" : Rita qui a assisté à toute la scène, ferme les yeux avec un air triste et malheureux, se retourne vivement et s'en va.
Plan 56. 0h 24' 48" : Don Jaime est debout, mesurant peut-être, l'étendue de son dégoût. Il saisit la chandelle et sort de la chambre avec précipitation.
Plan 57. 0h 25' 02" : Rita finit par redescendre de “l'arbre des malheurs” en chemise de nuit. Mais sa mère l'attendait au pied de l'arbre : « Que fais-tu ici ?
- Rita (En chuchotant.) : Don Jaime l'a embrassée.
- Ramona : Ben oui, elle est sa nièce. Moi, je t'embrasse bien. (Elle lui couvre les épaules avec une couverture.) Tu devrais être au lit.
- Rita : J'ai vu un taureau.
- Ramona : Tais-toi ! Viens, je vais te coucher. »
La présence de Rita : est- ce un rêve ou la réalité ?
Jusqu’ici, on peut dire que le film est encore « convenable », il ne heurte pas les mœurs, ou la sensibilité des spectateurs, hormis les plans de voyeurisme de Ramona (Cf. Photogramme 14 – Plan 8 ) et de sa fille (Cf. plan 14). Mais à partir du plan 47, nous entrons dans un autre registre et on peut comprendre que les scènes ont dû subir la condamnation de la censure. Toutefois, il nous semble qu’il est utile de rappeler que c’est un des principales rôles du cinéma et donc des films à pouvoir s’introduire dans des régions obscures et sombres, dans des zones limites où les intentions cachées et les sentiments malsains sont profondément enfouies dans l’homme. C’est l’effet antique de la catharsis des tragédies grecques qui est à présent dévolu, entre autre, au cinéma.
Ce qui est troublant, c’est que non seulement nous assistons directement à une scène d’inceste, entre un oncle et sa nièce, certes Viridiana n’est pas consentante, mais « le taureau noir » trouve une solution pour arriver à ses fins. Il faut aussi ajouter que chez Buñuel il y a souvent un « plus » (c’est ce qui fait que son cinéma a une richesse inépuisable), et ici, le « plus » c’est la petite Rita qui regarde la scène à travers la fenêtre de la chambre. C’est donc ce « plus » qui est encore plus choquant. Et la question qui se pose, c’est celle de savoir pourquoi il y a l’introduction de la petite Rita qui regarde l’intimité de cette scène. Une autre question se pose, une question pratique, comment une petite fille peut grimper sur un arbre en pleine nuit ? Certes c’est une « sauvageonne », mais tout de même, il faut être terriblement curieux pour effectuer un exercice qui est relativement dangereux et qui n’est pas à la portée de tout le monde.
A travers nos questionnements, ne peut-on pas déduire que le montage alterné qui présente d’une part Don Jaime et d’autre part Rita, n’est pas continu chronologiquement ? C’est-à-dire qu’ils n’appartiennent pas au même temps diégétique. Ils sont dans deux registres différents, deux mondes différents : le premier appartient à la réalité, mais le second, n’appartient-il pas au monde du rêve ? Et c’est pour cette raison que Rita a des facilités, comme souvent dans les rêves, à accéder a des endroits inaccessibles.
Ainsi, le plan expressionniste 49, celui de Rita qui monte l’escalier et qui se cache derrière la rampe, ne peut-on pas dire qu’il s’agit de la première partie du rêve ? L’enfant veut savoir ce que les adultes font, mais elle se trouve devant un obstacle, elle risque d’être aperçue, elle change d’avis et finit par grimper à un arbre. Nous avons de la sorte deux symboles majeurs d’ascension : L’escalier et l’arbre. S’agit-il de “l’arbre de la connaissance” ? Et de quelle connaissance ?
Le statut de Viridiana
Ce qu’on peut dire, par anticipation, c’est que nous avons le sentiment que le projet de Buñuel n’est pas simplement de faire un film scandaleux sur l’inceste, la religion et la médiocrité de l’âme humaine. Cela est le premier niveau apparent, la partie visible de l’iceberg, mais en fait, nous avons l’impression que le film fonctionne sur un autre niveau, et c’est justement à ce niveau supérieur que nous souhaitons accéder, la partie invisible de l’iceberg. Nous avons ainsi la conviction que Viridiana n’est pas un film de plus sur les défauts ou les péchés de l’humanité, mais un plus aux films. C’est pour cette raison que nous insistons sur chaque détail, chaque mot, chaque geste en espérant suivre une enquête (passionnante) jusqu’au bout et accéder à ce niveau supérieur.
Ainsi, dans ce chapitre, Viridiana est présente physiquement, elle est habillée avec un grand soin, dans un apparat élégant, mais en même temps, elle est absente, elle est inconsciente de son entourage. Elle devient un fardeau, il faut la porter avec difficulté, sur son passage, elle fait tomber une chaise. Elle devient ensuite une grande poupée, vivante, dans les mains d’un adolescent attardé de plus de cinquante ans. Il lui coiffe les mèches de cheveux, il place sur sa tête la couronne de fleurs artificielles. Il lui croise les mains sur sa poitrine, comme une gisante. Il lui arrange sa robe. Mais est-ce que Don Jaime voit Viridiana ou feue son épouse Dona Elvira ? Ce qui peut expliquer son dérapage graduel. Viridiana devient le substitut de Dona Elvira, mais est-ce que cela justifie une tel avilissement ?
Une chose semble sûre c’est que Don Jaime mène une grande lutte entre deux tendances, la première, un moment d’égarement lourd, c’est posséder Viridiana, comme il semblerait qu’il n’a pas posséder Dona Elvira ; la seconde, un moment de lucidité, il sait qu’on agissant de la sorte, il va perdre Viridiana à jamais. Cependant Viridiana n’est pas une statue de marbre, et à son réveil les événements à venir vont s’accélérer, d’une manière tragique.
La suite est en cours de préparation.
Liens spécifiques du film
Notes et références
- ↑ Le découpage des plans du film est celui de l'Avant-Scène Cinéma, Numéro 428, janvier 1994.
- ↑ Le Plan dynamique est un plan cinématographique singulier, nous l'avons appelé ainsi, faute d'autre nom. Le plan dynamique ne correspond pas complètement à la notion classique de la profondeur de champ, qui se définit comme : (…) "La profondeur de la zone de netteté… La P.D.C. est plus grande lorsque la focale est plus courte." (Aumont, Marie, Bergala, Vernet, Esthétique du film, op. cit., p. 22.) Le plan dynamique s'effectue en fait de plusieurs façons. Soit le début du plan rapproché (ou gros plan) est fixe, et à ce moment là, l'objet ou la personne s'écarte et laisse entrevoir à l'arrière tout le champ. De plus, il y a soit un accompagnement d'un zoom avant, soit d'un travelling-avant ou latéral, ainsi nous entrons en profondeur dans le champ, comme ce sera le cas dans le plan 6 d'Andreï Roublev. Soit alors à partir d'un plan rapproché (ou gros plan) qui subit un mouvement panoramique de bas en haut ou de haut en bas, de gauche à droite ou de droite à gauche. Lire la suite
- ↑ L'original beaucoup plus petit de ce serpent à deux têtes (aujourd'hui conservé au British Museum) date du XIVe ou du XVe siècle et est fait de bois incrusté d'une mosaïque en turquoise et en coquillage. Le serpent était une des représentations de Tlaloc, dieu aztèque de la pluie, et il aurait été porté en pendentif par un prêtre sacré. Cette pièce faisait probablement partie du trésor envoyé par Moctezuma à Cortès pour tenter de convaincre celui-ci de quitter le Mexique. (Source : Musée Canadien de l'Histoire.)
- ↑ Ibid.
- ↑ Chevalier/Gherrbrant, Dictionnaire des Symboles, op. cit. p. 867.
- ↑ KEYSERLING H. von, Méditations sud-américaines. Traduction de A. Beguin. Paris, 1932, p. 20.
- ↑ Ibid.
- ↑ Ibid.
- ↑ Un houppier ou couronne, est la partie d'un arbre constituée de l'ensemble des branches situées au sommet du tronc (des branches maîtresses aux rameaux). (Source : Wikipédia.)
- ↑ Ibid.
- ↑ Ibid.
- ↑ Du grec ταὐτολογία, composé de ταὐτό, « la même chose », et λέγω, « dire » : le fait de redire la même chose. Source : wikipédia.
- ↑ Ibid.
- ↑ Cf. G. Bachelard, La Poétique de l'Espace, chapitre III, "Le Tiroir, les coffres et les armoires, P. U. F. Paris, (1957) 1998, p. 82.
- ↑ Ibid., p. 88.
- ↑ Ibid., p. 89.
- ↑ "Ibid"
- ↑ Chevalier/Gherrbrant, Dictionnaire des Symboles, op. cit. p. 187. Par ailleurs, "les traditions chinoises font un distinguo entre cendre humide (présage de mort) et cendre sèche (capable d'arrêter les eaux du déluge)". Ibid, p. 187.
- ↑ Nous imaginons que cette hypothèse peut surprendre et que l’on est en droit de poser la question de sa légitimité. Après tout, est-on obligé de pousser une hypothèse à un tel degré ? Ce que l’on peut dire, c’est que nous n’inventons rien. L’analyse part toujours à partir de l’image, et c’est à l’appui des données des images que nous arrivons parfois à des hypothèses surprenantes.
- ↑ Du grec, "allo", l'autre, caractéristique de ceux qui ne voient que les autres comme centre d'intérêt
- ↑ Les mots « Après nous, le déluge » sont attribués à Madame de Pompadour (née Jeanne-Antoinette Poisson) qui désirait remonter le moral de Louis XV, son amant, après la bataille de Rossbach, en l'invitant à ne pas penser aux conséquences dramatiques de cette défaite.
Louis XV a repris fréquemment cette maxime égoïste sous la forme « Après moi, le déluge », notamment en parlant de son dauphin, le futur Louis XVI. (Source : Wikipédia.)
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