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Stalker

8 546 octets ajoutés, 12 octobre 2012 à 13:08
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======Le n&#156;ud de la boucle======
 
Dans le système varié des nœuds, ce n&#156;ud s'appelle "l'empile à boucle". En effet, si la bandelette suggère les petits trajets effectués par les protagonistes, la boucle détermine le film en boucle, et les entrelacs enfin, proposent les ramifications de la Zone. Cette accumulation de symboles est au cœur même du "stalkrisme", si l'on ose dire, sa raison d'être. Ces bandelettes lestées sont les véritables clés de la Zone. Elles ouvrent des portes invisibles. C'est une problématique tarkovskienne. Dans "la maison de la fin du monde", du film ''[[Nostalghia]]'', Domenico traverse une [[Porte#La porte inutile de « La Maison de la fin du monde »|porte]] plantée au milieu d'une pièce, qui n'a aucune raison d'être. Ici, c'est grâce à ces bandelettes lestées que les deux visiteurs vont pouvoir progresser dans la Zone, à travers des passages invisibles. (A partir du plan 52.) Le Stalker procède de la façon suivante : il lance l'écrou auquel est attachée la bandelette, qui atterrit à un endroit donné. L'écrou semble ainsi muni de petites "[[Aile|ailes]]" blanches. Le Professeur et l'Écrivain se dirigent vers le point de chute, <ref> '''Gerstenkorn et Strudel''' remarquent, à juste titre, que le point de chute de l'écrou (herbe, métal, sable, etc.) (…) "constituent un excellent indicateur matériel de la disposition spirituelle du personnage qui le lance." "La Quête et la Foi" ou "Le Dernier Souffle de l'Esprit." Cf. ''Andreï Tarkovski, Etudes Cinématographiques'', 1983, pp. 92 et 102.</ref> le Stalker les suit. Ils ramassent l'écrou et le Stalker recommence son geste.
 
 
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======Les symbolismes du nœud ======
On en retiendra surtout la notion de fixation dans un état déterminé, (…) " de condensation ou en terminologie bouddhique, "d'agrégat". On parle de nœud de l'action, de dénouement, de nœud vital. Le défaire correspond, soit à la crise ou à la mort, soit à la solution et à la délivrance. (…) Car le nœud est contrainte, complication, complexe, "entortillement" <ref>Comme l'entortillement du fil de [[téléphone]] dans ''[[Miroir (Le)|Le Miroir]]'', quand Ignat parle à son père. </ref> ; mais les nœuds sont, par la corde, <ref>Comme la corde dans ''La Corde'', le film d'Alfred Hitchcock, dans le fait qu'elle soit en partie visible. </ref> reliés à leur principe." <ref> '''Chevalier/Gherrbrant,''' ''Dictionnaire des Symboles'', ''[[Thèse:Bibliographie#ancre_12|op. cit.]]'', p. 668.</ref> Les nœuds entrent aussi dans le cadre des pratiques magiques <ref>Voir également, le nœud "signe de vie" chez les égyptiens, ou encore le mythe du nœud gordien. </ref> : (…) "On pourrait les classer dans deux rubriques : 1. Les liens magiques utilisés contre les adversaires humains. 2. Les nœuds et les liens bénéfiques, moyens de défense contre les animaux sauvages, contre les maladies et les sortilèges, contre les démons et la mort." <ref>'''Mircea Eliade''', ''Images et Symboles. Essais sur le symbolisme magico-religieux.'', Editions Gallimard, (1952), 1980, p. 145. </ref>
 
Par ailleurs, un aspect du mythe gordien est transposé dans le film. Nous avons vu la simplicité du nœud dit de l'[[Bande (de tissu)#La figure des bandelettes lestées par des écrous|empile à boucle]]. L'aspect peu complexe du nœud correspond à la fragilité des souhaits du Professeur : il emporte avec lui une bombe de vingt kilotonnes, espérant anéantir la Zone. Il accède à son "souhait" ([[Chambre#"La chambre des Désirs" dans Stalker, d’Andreï Tarkovski|plan 125]]). Mais quelques instants plus tard, il "désempile" la bombe et il la jette au quatre coins de "l'Antichambre". Le Professeur contribue à nouer les écrous, comme par ailleurs il contribue à fabriquer la bombe. Le "nœud" a été dénoué, aussi facilement qu'il a été noué ([[Chambre#"La chambre des Désirs" dans Stalker, d’Andreï Tarkovski|plan 131]]). En fait, chacun des trois protagonistes effectue ou effectuera à un moment donné un type de nœud. Nous venons de voir les réalisations du Professeur. Le Stalker dispose d'un nœud permanent autour du cou, comme s'il était attaché définitivement à la Zone, comme s'il avait la Zone "en collier". Enfin, L'Écrivain confectionnera la [[couronne]] d'épines qui ressemble à un grand nœud qu'il dispose sur sa tête. Ces différents niveaux de localisation anatomiques : tête, cou, dos, correspondent aux aboutissements de la destination supposée, à travers les méandres psychologiques de l'âme. Nous constatons qu'il y a une direction symbolique ascensionnelle, notamment avec la couronne de l'Écrivain.
 
 
 
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======Le rapport avec le livre des Strougatski======
 
Il nous semble que le procédé des « bandelettes lestées par des écrous » n'a pas pris dans le film tout le poids dramatique qu'il mérite, sans doute pour des raisons techniques. En effet, dans le livre des Strougatski, le Stalker Shouhart dit à Kiril : (…) " Tu te rappelles l'histoire du Petit Poucet ? On te l'a apprise à l'école ? Eh bien, maintenant ça va être l'inverse." (…) Je jetai le quatrième écrou. Et celui-ci, justement, ne passa pas. Je ne pouvais pas expliquer ce qui n'allait pas, mais je sentis qu'il y avait quelque chose. (…) Je pris le cinquième écrou et l'envoyai plus haut et plus loin. La voilà, la "calvitie de moustique !" L'écrou partit vers le haut normalement, il commença à tomber aussi normalement, mais à mi-chemin, ce fut comme si quelqu'un l'avait tiré de côté avec une telle force qu'il s'enfonça dans l'argile et disparut." Dans le livre, la Zone est terriblement dangereuse, avec des lieux et des pièges indescriptibles, outre "la calvitie de moustique", il y a " la gelée de sorcière ", "(qui) pointait ses langues bleues, semblables aux flammèches de l'alcool hors du trou et, le comble, n'éclairait rien du tout" (p. 39), "le duvet brûlant" (p. 25), les crachats du "chou du diable" (p. 25), etc. <ref> '''Arcadi et Boris Strougaski''', ''Pique-nique au bord du chemin'', Titre original : ''Piknik na Obotchine''. Traduit en français par Sveltana Delmotte, Éditions Denoël, 1981. Paru pour la première fois dans la revue soviétique ''Avrora'', n° 7, 8, 9, 1972, pp. 34-35. </ref> Ainsi dans le livre, le danger est permanent et "visuel" ; dans le film, le danger est surtout textuel. Andreï Tarkovski élimine toute référence à la science-fiction, <ref>C'est ce qu'il voulait, contrairement à Solaris dans lequel les références à la science-fiction sont évidentes. </ref> il ne garde que la "Chambre des Désirs", ("la boule d'or" dans le livre) qui est la quête de quelques voyageurs audacieux.
 
 
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======Les dangers dans le film======
 
 
Les "dangers" de la Zone sont exprimés par le Stalker lui-même, <ref>Cf. '''J. Mitry''', tome 2, ''Esthétique et Psychologie du cinéma'', 2 volumes, P.U.F. 1963 et 1965, aspects du dialogue, p. 99 ; structure du dialogue, p. 101. ''[[Thèse:Bibliographie#ancre_4|Op. cit.]]''</ref> car il les connaît et il les a vus, Ainsi, au plan 65, il dit : "''La Zone est un système très compliqué. Il y a plein de pièges, qui sont tous mortels.(…) Des pièges disparaissent, d'autres les remplacent.''(…)" Ou alors, le danger est exprimé par la Zone elle-même. Comme au plan 61, quand l'Écrivain voulait "prendre le chemin le plus court", une "voix" l'arrête : "''Halte, ne bougez pas''." Avec ce parti pris, il nous semble qu'Andreï Tarkovski réalise une "inversion des cadres" de projection de la réalité, c'est-à-dire que ce que nous voyons constitue les cadres de la conscience des protagonistes, <ref>Cf. '''Gerstenkorn et Strudel''', (…) "le décor de la zone n'est rien d'autre, en définitive, que la projection extérieur de leur monde intérieur." "''La Quête et la Foi''" ou "''Le Dernier Souffle de l'Esprit.''" Cf. ''Andreï Tarkovski, Etudes Cinématographiques'', 1983, p. 91. </ref>comme le dit d'ailleurs le Stalker, au plan 65 : "''C'est ça la Zone. (…) à chaque instant, elle est telle que l'avons faite, (…) par notre propre état d'esprit. (…) Tout ce qui se passe ici dépend non de la Zone, mais de nous.''" Donc, en résumé, la Zone est compliquée, mortelle et capricieuse. Pour y progresser, il faut "stalker", marcher à pas de loup. La bandelette lestée constitue "l'appât" mécanique du complexe organique de la Zone.
 
 
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