Cercle (''Stalker'')

De Cinémancie
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Stalker, plan 64. Après la chute d'une pierre dans un puits d'eau : l'eau à des reflets acier. L'image suggère-t-elle "l'œil de la Zone" ?

Titres des films

Mode d'emploi de la figure (mot) et abréviations

Titre Titre original Réalisation Scénario Année Pays Durée (min.)
Cercle des intimes (Le) Inner Circle (The) Kontchalovski Andreï Kontchalovski Andreï, Usov Anatoli 1991 Italie, URSS, USA 137
Cercle des Poètes Disparus (Le) Dead Poets Society Weir Peter Schulman T. 1989 USA 128


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Stalker, d’Andreï Tarkovski

La question du cercle

Dans Stalker, le fond rejoint la forme. Plus exactement, les fonds rejoignent une seule forme : le cercle. Le symbolisme du cercle est la force centrifuge du film. C'est à travers le cercle que Tarkovski troue et traverse l'écran. Mais chez lui, le volume qui suggère une surface circulaire n'est pas la sphère, mais bien le cylindre, car cette forme s'adapte mieux dans des perspectives cinématographiques.

Les implications des formes cylindriques

Les redondances et les suggestions cylindriques sont nombreuses. D'abord, il est intéressant de remarquer la dualité cinématographique entre ces deux formes. En effet, les objets sphériques n'apparaissent que très brièvement, jusqu'au point d'être uniquement allusifs. Ils disparaissent rapidement de l'écran, et parfois se volatilisent littéralement, comme l'ampoule qui implose au plan 9 ou au plan 120 ou le chapeau emporté de l'Écrivain (Plan 14).

La lumière qui implose dans une anti-chambre du Bunker, illustre parfaitement les événements : un court mais très intense désir d'entrer dans "la Chambre des Désirs".

En revanche, les formes cylindriques pullulent, elles envahissent le film d'une manière permanente. A commencer par le verre qui vibre (plans 6, 144), le "collier"en laisse du Stalker, le sac mou du Professeur qui contient la bombe aux deux parties cylindriques, les poteaux électriques fichés au sol, les écrous, le long tunnel, le puits.

Cette caractéristique formelle, on le voit, si importante, fait son apparition à l'écran d'une manière claire et déterminée, à partir du plan 65 : c'est le moment où le Stalker explique à l'Écrivain la Zone. "La Zone est un système compliqué…" Au cours de son discours, le Stalker était cadré en gros plan, seul le visage rond est clair, et le fond est complètement noir. Les mouvements du Stalker sont subtils : tour à demi, retour de trois-quarts, dos à la caméra, face à la caméra. De la sorte, nous observons une tête sphérique agitée, entourée de l'obscurité permanente, celle du doute et de la peur. En outre, il y a d'autres plans où la couleur noire s'impose : au plan 118, lors du monologue du Stalker ; aux plans 141a et 141b, avec le chien noir. Ainsi, il nous semble qu’on peut déduire que la couleur noire représente la Zone elle-même, comme une individualisation (personnification) de la Zone, qui prend forme dans le chien noir. En effet, de retour de la Zone, le Stalker, dans un moment d'abattement (puisqu'aucun de ses deux clients n'ont voulu entrer dans "la Chambre"), se couche sur le sol. De profil, sa tête repose à côté de la gamelle ronde du chien. A ce moment, le Stalker vient de se coucher devant son maître.

Au plan 65, qui est comparable au plan 68, lors du monologue métaphysico-poétique, il ne s'agit pas d'un monologue, mais bien de dialogue avec la Zone. Dans la 1ère partie en noir et blanc, nous entendons le bruit off d'une pierre jetée dans l'eau d'un puits. Tout le plan 68 est un plan moyen en plongée à l'intérieur du puits. Nous voyons les reflux de l'eau après la chute, avec des reflets aciers, comme l'énorme œil de la Zone ! Un cyclope métallisé ! Une représentation partielle du visage de la Zone. (Cf. Photogramme - Puits)


Au plan 69 en couleur, qui est consacré à la fin de la seconde partie du poème : "Ce qui est dur ne vaincra jamais", et au moment où le Professeur trébuche, les trois protagonistes sont encadrés (encerclés) à l'intérieur d'une large ouverture arrondie, d'un mur en béton, ainsi les bords et les angles de l'écran sont arrondis. A ces trois plans circulaires, succèdent en continu des longs plans cylindriques. (Le tunnel-hachoir, plans 96 → 106.) A travers ces points de vue formels, le dernier plan du film, le plan 144, acquiert toute sa pertinence : si la sphère est le symbole de la perfection, elle reste pour le moins une forme fermée. Elle est fermée sur elle-même, et elle est coupée des autres. Le cylindre en revanche, est la forme de la progression et de la découverte. Elle est une invitation à la profondeur et aux mystères. [1]

Il reste enfin un aspect pertinent et innovant. Il s'agit de la Chambre des Désirs, que nous ne verrons pas. Pourquoi ? La caméra s'arrête au seuil de la Chambre, et de biais, mais n'y entre pas. Nous pensons que nous ne verrons pas "la Chambre", parce qu’il semble que "nous sommes" dans la Chambre. En effet, au plan 131, quand les trois hommes sont assis à regarder la pluie, la caméra entre dans la Chambre, mais à reculons. Elle est dos au contre-champ. Les trois hommes "nous" regardent longtemps. (Cf. Photogramme – « Chambre des Désirs »)

Photogramme - « Chambre des Désirs » : Stalker, Plan 131. Les trois hommes regardent en silence, tomber la pluie. Remarquez au premier plan, la surface circulaire brillante de la flaque d'eau. Comparez avec le dernier plan Nostalghia.
Photogramme - « Chambre des Désirs » : Stalker, Plan 131. Les trois hommes regardent en silence, tomber la pluie. Remarquez au premier plan, la surface circulaire brillante de la flaque d'eau. Comparez avec le dernier plan Nostalghia.


Cette disposition particulière explique d'une part le long monologue de la femme du Stalker, face à la caméra, et d'autre part, le fait que le vrai miracle dans cette chambre, c'est "l'humanité". Enfin, cet aspect met l'accent sur cette idée : ce n'est pas la "destination" qui compte, mais le "trajet".


Conclusion

Stalker est un film paradoxal (il commence par un obscur météorite qui tombe, et il termine avec une jeune fille qui fait tomber mystérieusement un verre). En définitive, à partir de ce paradoxe (qui n'est pas le seul), nous pouvons supposer que c'est pour souligner le drame de l'être que Tarkovski accentue le poids et la tension paradoxale dans la structure du film. Cela nous conduit, d'une part, dans le cadre de Stalker ; et d'autre part, dans un cadre cinémantique plus large, de nous intéresser à plusieurs questions. Il s'agit du caractère d'incertitude et de l'indéterminé. Ces questions appartiennent aux registres (peu connus) de l'hésitation et de la détermination, que nous verrons à l'appui de plusieurs exemples dans deux autres films : Le Miroir et Andreï Roublev. Par ailleurs, il reste la question si importante de la "faute". Elle s'inscrit également de plain-pied dans la cinémancie, puisqu'elle s'annonce comme un fait téléologique malheureux. En effet, la faute est l'aboutissement d'un certain nombre d'actes et de décisions qui n'ont pas abouti au résultat espéré, ou du moins, suite à un "accident", il y a eu une déviation inconsidérée qui est intervenue dans la chaîne des faits. Mais là encore, la faute est variable, elle est soit consciente, soit inconsciente, comme par exemple, celle du 5ème épisode du Miroir, "La Coquille à l'imprimerie".


Liens spécifiques du film

Voir : Stalker


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Notes et références

  1. Cf. Aurélio Savini, mémoire de maîtrise, Cinéma et labyrinthe, Stalker d'Andreï Tarkovski, Lyon II, 1990.


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