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Stalker

6 804 octets ajoutés, 23 septembre 2012 à 17:06
== Stalker, le film plan par plan ==
===Le départ pour la « Zone » : Description, composition et situation (Plans plans 2 – 42)===
<small><blockquote>{{citation|
====Enquête théophanique ou théophanie d’une enquête : ====
===== Le météorite (Plan plan 2)=====
Comme ''Citizen Kane'' d'Orson Welles, comme ''Les Chevaux de Feu'' de Sergeï Paradjanov. ''Stalker'' est aussi un film qui commence par la chute d'un objet, d'un objet colossal, phénoménal. Un objet qui dépasse jusqu'à présent tout ce que nous avons pu voir, dans l'ordre de grandeur d'un objet : il s'agit d'un météorite, <ref> Soulignons au passage le changement de registre du statut de l'objet d'une plume dans ''Nostalghia'', nous passons à un météorite. Nous allons constater comment cet "objet" va dessiner toute la physionomie du film. </ref> qui donne d'emblée au film un caractère catalogique<ref> Certes, comme le souligne M. Dominique Avron, à titre personnel, il peut y avoir un lapsus à propos du caractère catalogique, dans lequel il fait la distinction entre un "objet humain" (perdus, jetés, etc.) et des "objets non-humains" (météorite). En fait cette question a été abordée dans le ''Mémoire de D.E.A''. (''[[Thèse:Bibliographie#ancre_9|op. cit.]]'') Elle concerne "le propriétaire d'un objet" (soit il est personnel, soit il appartient à un tiers). Dans tous les cas, ce qui compte, c'est "l'émanation" de l'objet sur l'humain. </ref> extrême ; d'où, par conséquent, les aspects et les significations, si l'on ose dire, extrêmes, voire paradoxaux des données du film. <ref> Cf. J. Mitry, ''[[Thèse:Bibliographie#ancre_4|op. cit.]]'', tome 1, p. 84. </ref> Pourtant, comme le signale l'intertitre du début du film : "Ce n'est pas sûr." Voilà un premier paradoxe, car, nous ne verrons pas le météorite tomber. Nous n'en saurons rien, hormis quelques rares signalisations verbales dans le corps de l'œuvre. Dans ces conditions, nous perdons au fur et à mesure du déroulement de l'action, la réalité effective de la chute d'un objet céleste. Regardons de près le développement de cet aspect : la première signalisation est annoncée dès le plan 4. <ref> Le découpage des plans du film repose sur la revue Stalker, L'Avant-Scène Cinéma, décembre 1993, N° 427.
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==== Les pèlerins de la « Zone » (Plans plans 2 – 42)====
===== Le Professeur et le néon clignotant(plan 3)=====
<span id="ancre_3p"></span>[[Fichier:neonp2.jpg|300px|thumb|right|alt=''Stalker'', '''Photogramme - 2''' : '''Plan 3.''' Le Professeur entre dans le bar, au-dessus de sa tête, un néon blanc ne cessera pas de clignoter.| ''Stalker'', '''Photogramme - 2''' : '''Plan 3.''' Le Professeur entre dans le bar, au-dessus de sa tête, un néon blanc ne cessera pas de clignoter.]]
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===== Le Stalker : Gîte du guide(plans 5 - 14)=====
''' <span id="ancre_5">Plan</span> 5 :''' ''03' 34&quot;'' : Avec un travelling avant très lent, "la caméra passe entre deux portes-fenêtres et cadre en plan d'ensemble une chambre. Au centre est disposé un lit à baldaquin en fer forgé."<ref>'''Andreï Tarkovski''', ''Stalker, L'Avant-Scène Cinéma'', ''[[Thèse:Bibliographie#ancre_1|op. cit.]]'', p. 14. </ref> Le mur du fond a un aspect métallique, brillant.
Deux indices vont retenir notre attention : le [[crachat]] et la serviette. En ce qui concerne la serviette, (…) "Certaines croyances voient dans le fait de laisser tomber une serviette (de table, de toilette ou de bain) l'annonce d'une visite imprévue, bienvenue ou inopportune." <ref> '''Éloïse Mozzani''', ''Le livre des Superstitions,'' ''[[Thèse:Bibliographie#ancre_12|op. cit.]]'',p. 1637.</ref> Or, nous allons nous apercevoir que ces deux actes <ref>Cf. '''J. Mitry,''' ''[[Thèse:Bibliographie#ancre_4|op. cit.]], tome 2, p. 112 ; 309. '''G. Deleuze''', ''[[Thèse:Bibliographie#ancre_4|op. cit.]],tome 1, p. 95. '''F. Cesarman''', ''[[Thèse:Bibliographie#ancre_3|op. cit.]],p. 193. </ref> presque insignifiants et courants vont concourir à [[Annonciateur (signe)|annoncer]] un sens imperceptible de l'image. Ils amorcent en fait, la suite filmique. En effet, au :
'''<span id="ancre_14">Plan</span> 14 :''' '' 13' 00&quot;'' : Le Stalker se rend sur une voie ferrée pour rencontrer le troisième et dernier protagoniste du film : l'Écrivain. A son arrivée, il est surpris de voir l'Écrivain accompagné d'une dame élégante. Les signes s'accumulent. L'enchaînement et l'accumulation des indices à l'intérieur des plans 9, 10, 12, et 14, sont, entre autres, un bel exemple démonstratif de la construction d’une image chez Tarkovski, quand il écrit (…) : "Je ne crois pas au caractère multistratifié du cinéma. La polyphonie filmique ne naît pas d'une multiplicité de strates, mais "d'un enrichissement progressif plan à plan", par leur succession et leur accumulation. Et il n'y a que cela : la polysémie de l'image réside dans sa nature intrinsèque." <ref> '''Andreï Tarkovski''', ''Cahier Journal 1970-1986'', ''[[Thèse:Bibliographie#ancre_1|op. cit.]]'',p. 99 : le 4 février 1974. </ref> Ces propos pertinents sur l'image cinématographique illustrent le poids des liaisons de l'image cinématographique: la construction de l'image passe d'abord par l'intermédiaire des composantes internes et spécifiques de l'image, et non pas par la densité du jeu de l'acteur. D'autre part, nous retiendrons de ces propos seulement ce qui est relatif à la cinémancie. Pour Tarkovski, l'image, le plan, n'est pas un espace fixe, statique, une nature morte dans laquelle nous disposons des accessoires décoratifs pour faire de belles compositions. Car, plus précisément (…) : "Une image artistique est une image qui assure son propre développement, sa propre perspective historique. Cette image est une semence, un organisme vivant qui évolue." <ref> ''Ibid.'' p. 98 : le 3 février 1974. </ref> En fait, ces constatations concourent à édifier les bases évolutives de ce qu'il appelle "L'idée directrice, constructive." <ref> ''Ibid.'' p.123 : le 3 juin 1975. Ce point est développé dans ''[[Nostalghia]]''. Cf. supra. pp. 41-42 [[Nostalghia#1977|Cahier Journal, 1977]] et p. 96-97"[[Nostalghia#L'importance du premier plan d'un film|L'importance du premier plan d'un film]]". Par ailleurs, "une idée directrice" a toujours pour base une certaine "réalité tangible" issue d'une certaine vision de l'humanité.</ref>
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=====Le chapeau de l’Ecrivain sur le capot (plan 14)=====
 
<span id="ancre_14p"></span>[[Fichier:Chapeau_Tarkovski_Stalker_1400p.jpg|300px|thumb|right|alt=''Stalker'', '''Photogramme - 6''' : '''Plan 14.''' L'Écrivain perd son chapeau, posé sur le toit de la voiture. Notez le [[poteau]] dans l'image qui constitue "un obstacle".|''Stalker'', '''Photogramme - 6''' : '''Plan 14.''' L'Écrivain perd son chapeau, posé sur le toit de la voiture. Notez le [[poteau]] dans l'image qui constitue "un obstacle".]]
 
Au ''' <span id="ancre_14">Plan</span> 14''', sur la voie ferrée, le [[Stalker#Aspects extra-filmiques ; Que veut dire "Stalker" ? |Stalker]] surprend l'Écrivain en pleine discussion avec la belle dame. Son discours est basé sur l'ennui. <ref>"''Le monde est désespérément ennuyeux…(il) est régi par des lois de plomb… Il n'y a pas de triangle de Bermudes. Il y a un triangle ABC qui est égal au triangle A'B'C'. Ressentez-vous l'ennui mortel que ça implique ? Au Moyen-Age, vivre était intéressant. Dans chaque maison – un lutin. … Dans chaque église-Dieu. Les gens étaient jeunes. A présent un homme sur quatre est un vieux. Quel ennui…"'' La dame lui dit alors : "''Vous disiez vous-même que la zone…est l'œuvre d'une super-civilisation.''" L'Écrivain répond : "''Là-bas aussi il y a l'ennui… Et des lois et des triangles… Mais plus de lutins, et aucune trace de Dieu.''" </ref> Nous l'avons compris, l'Écrivain veut emmener avec lui dans la Zone, la belle dame. Toutefois, le Stalker ne voit pas les choses de la même façon. Il s'approche de la dame, et lui dit des mots inaudibles à l'oreille. Elle s'en va, en lançant à l'Écrivain: "''Crétin''." En partant dans sa voiture, elle emporte le chapeau de l'Écrivain qui était posé sur le toit de la voiture. La scène est presque burlesque, une voiture avec un chapeau. (Cf. '''Photogramme – 6.''')
 
 
L'Écrivain s'aperçoit que son chapeau part avec sa voiture, il passe sa main sur sa tête nue.
 
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======Les indices du chapeau======
 
Le chapeau est un indice significatif (…) : "Le rôle du chapeau paraît correspondre à celui de la couronne, signe de pouvoir, de la souveraineté, et ce d'autant plus qu'il s'agissait autrefois d'un tricorne." <ref>'''Chevalier/Gherrbrant''', ''Dictionnaire des Symboles'', ''[[Thèse:Bibliographie#ancre_12|op. cit.]]'', p. 207. </ref> Car, "la corne symbolise la puissance, et le chiffre trois est magique. En outre, le chapeau couvre une partie de la tête, siège du cerveau et de la pensée." <ref>'''Éloïse Mozzani''', ''Le livre des Superstitions'', ''[[Thèse:Bibliographie#ancre_12|op. cit.]]'', p. 334. </ref> Ici, le chapeau représente "la vie mondaine" de l'Écrivain. Mais c'est une mondanité qui va disparaître, emportée par la dame mondaine : le chapeau posé sur le toit de sa voiture, c'est le départ de cette vie mondaine (en vitesse). Ainsi, le chapeau, représente l'Écrivain, il devient l'Écrivain, et en laissant partir "son" chapeau, il laisse partir une partie de lui-même. Progressivement, nous allons assister à l'émergence du "vrai" visage de l'Écrivain, qui est par ailleurs le personnage le plus prolixe parmi les trois protagonistes silencieux et laconiques du film. <ref>Comme le [[Manteau#Le hall d'hôtel Palma - Variations sur le thème de passage : Postures et costumes|manteau]] du Poète dans ''[[Nostalghia]]'', le chapeau de l'Ecrivain est l'agent de liaison (indirecte) dans la dynamique (et thématique) de [[passage]]. </ref>
 
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======Trois protagonistes, trois couvre-chefs======
 
<span id="ancre_5p"></span>[[Fichier: Stalker_Tarkovski_Plan_06_Bande au cou_02.jpg|300px|thumb|right|alt=''Stalker'', '''Photogramme - 7''' : '''Plan 5.''' Dès son réveil, le Stalker aura une bande de tissu autour de cou. |''Stalker'', '''Photogramme - 7''' : '''Plan 5.''' Dès son réveil, le Stalker aura une bande de tissu autour de cou.]]
 
Le fait que Tarkovski ait choisi trois personnages qui vont voyager dans les dédales de la Zone nous permet de mieux les observer. Nous sommes plus attentifs à leurs habitudes, à leurs manières, à leurs façons de se comporter, etc. Nous allons justement nous arrêter sur le couvre-chef respectif de chaque protagoniste. Nous venons de le voir, l'Écrivain porte un chapeau qu'il vient de surprendre partir. Le Professeur porte un bonnet, qu'il gardera presque tous le temps sur la tête. Le Stalker, enfin, a le crâne rasé, sauf qu'il porte au niveau du cou, une espèce de bandage médical qui, avec le temps, a perdu de sa blancheur et de sa tension : un bandage relâché, comme la laisse d'un animal. (Cf. '''Photogramme – 7.''') La raison d'être de ce « collier de tissu », nous l'apprenons grâce à la biographie sommaire que le Professeur raconte à l'Écrivain, dans le long plan 44 : « ''Un séjour en prison, des mutilations ici (…) et sa fille qui est une "mutante", victime de la Zone. Elle n'aurait pas de jambes !'' »
 
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======Le cas du Stalker======
 
 
Nous n'en savons pas plus sur les "mutilations". En revanche grâce à sa femme nous en saurons davantage sur la prison, à la fin du plan 10 : « C'est en prison que tu rentreras ! Et tu écoperas non pas de cinq ans, mais de dix ans ! » Le Stalker lui lance une réponse qui prête à réfléchir : « En prison ! Mais je suis partout en prison. » D'ailleurs, le Stalker n'en dira pas plus. Durant la crise de sa femme, il ne parlera pas beaucoup, mais quand il parle, en quelques mots, il dit beaucoup.<ref> Nous pouvons aussi imaginer que la réplique du Stalker sort de la bouche d'Andreï Tarkovski lui-même : allusion à son "exil" forcé.</ref> Nous pouvons aussi déduire que même dans la Zone, "il est en prison", qu'il est tenu par une laisse à la Zone, comme celle qu'il porte au cou. Témoin du "développement" de cette image et de son évolution : c'est le chien noir de la Zone. Le Stalker, de retour de la Zone, va l'adopter. Au plan 134, dans le bar, la femme du Stalker dit, en désignant le chien : « D'où ça vient, ça. » Le Stalker lui dit : « Il s'est attaché à moi. Comment l'abandonner ? » Le « ça », ce prénom démonstratif désigne "le chien", mais il pourrait aussi désigner la Zone. Ça sera d'ailleurs une des grandes questions du film : est-ce que le chien noir symbolise la Zone ? Peut-être que, s'il ne la désigne pas directement, du moins il la personnifie. Ainsi, la réponse du Stalker est révélatrice. Mais lui aussi est attaché à la Zone. Cela, nous le verrons au fur et à mesure.
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