Bibliomancie

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Andreï Roublev, plan 170. Comme une réponse insolite de la Bible : une sourde-muette simple d'esprit, les bras chargés de paille, (Irma Rauch, première épouse de Tarkovski). De plus, comme si la réponse de la Bible était rapide, la sourde-muette entre dans l'église en courant. Elle regarde l'enfant apprenti qui lit.



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Autres titres de films

Mode d'emploi de la figure (mot) et abréviations


Titre Titre original Réalisation Scénario Année Pays Durée
Andreï Roublev (Voir détail : Andreï Rublyov) Tarkovski Andreï Tarkovski A.
Konchalovsky A.
1969 URSS 215


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Photogrammes extraits des films - Analyse et liens spécifiques des films

Andreï Roublev, d’Andreï Tarkovski

Un exemple de Bibliomancie

La partie précédente s'est conclue avec le flacon de peinture renversé et la main inerte dans un cours d'eau. Le plan suivant commence par la main nerveuse de Roublev qui jette de la peinture sur un mur blanc :

Plan 169-28 [1] : 1h 23' 44" : Il étale la peinture, il est abattu de désespoir. Il appuie sa tête contre le mur, le visage collé au mur. Il demande à un enfant apprenti de lui lire les écritures. L'enfant demande : "A partir d'où." Roublev répond : "N'importe où." C'est un cas courant de "bibliomancie" : à une question d'angoisse ou d'attente, on ouvre la Bible au hasard, et le passage cité est une alternative de réponse à la question. De plus le texte qui sera cité par le jeune homme correspond parfaitement à la suite des événements diégétiques :

Plan 170 - 29 : 1h 24' 55" : L'enfant commence à lire : "Vous m'imiterez en tout, comme j'ai imité le Christ." A peine la phrase achevée, apparaît un nouveau personnage étrange, qui aura un poids énorme dans les développements sémantiques de différentes figures. C'est comme une réponse insolite de la Bible : une sourde-muette simple d'esprit, les bras chargés de paille (Irma Rauch, première épouse de Tarkovski). De plus, comme si la réponse de la Bible était rapide, la sourde-muette entre dans l'église en courant. Elle regarde l'enfant apprenti qui lit. Elle se dirige vers les taches de peinture de Roublev, elle les touche, elle les sent. L'enfant continue de lire : "Chaque homme en prière ou faisant des prophéties la tête couverte, se couvre de honte. Chaque femme en prière ou faisant des prophéties nus-tête se couvre de honte. Car c'est comme si elle avait la tête rasée. (…) Car, il (le mari) est à l'image et à la gloire de Dieu. La femme est la gloire de l'homme, car la femme vient du mari et non l'inverse. (…) Si le mari a les cheveux longs, c'est un déshonneur. Mais si la femme a des cheveux longs, c'est un honneur. Car les cheveux lui sont donnés." L'enfant interrompt sa lecture, car la sourde-muette pleure devant les taches de peinture, tout en peignant avec les mains. Roublev demande à l'enfant : "Pourquoi t'arrêtes-tu ? Continue !" (Cf. Photogramme – Bibliomancie.)


Plan 174-32 : 1h 27' 23" : (...) "Car les cheveux lui sont données pour couvrir… (…) Si quelqu'un n'est pas d'accord, nous n'avons pas l'habitude de discuter."


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Les présages de la Bible

Ainsi, tout le passage de la Bible, insiste sur les aspects particuliers des cheveux. Par ailleurs ce qui est pertinent de noter, c'est que, dans les films de Tarkovski, les livres et la Bible ont une grande importance dans la structure des films. [2] La question de la bibliomancie (c'est le second exemple) se développe ici d'une manière particulièrement intéressante, comme dans Nostalghia. Il faut dire qu'aussitôt le grand livre des Écritures est ouvert, beaucoup de choses vont altérer profondément le comportement de Roublev. Il s'agit, d'abord, de l'intrusion de la sourde-muette dans sa vie, jusqu'au point de la protéger et la prendre à sa charge. Ensuite, un deuxième message est délivré par le présage d'une façon perceptible : le moment où le jeune cesse la lecture, annonce pour bientôt le long silence de Roublev ; comme la sourde-muette il ne parlera plus. Ainsi le signe est dédoublé, la figure de la Bible, prend une place centrale, majeure dans le film. En définitive, la Bible annonce clairement la véritable "Passion selon Andreï" : la passion, autre épicentre du film.

Ainsi nous devons garder en mémoire la substance même du texte cité par l'enfant, comme un enfant pythien annonçant un oracle, car le texte devient une assise émettrice de signaux. Ainsi, nous quittons la figure des pieds, pour nous introduire dans la figure de la tête, et de certains de ces attributs. C'est une question qui va nous intéresser sur plusieurs registres et dans plusieurs films. C'est d'abord la redondance et l'affirmation des particularismes dualistes contraires : l'homme et la femme, la tête couverte et la tête nue, les cheveux longs et les cheveux courts, la honte et l'honneur. Cette redondance va poser problème à plusieurs niveaux, elle va également ouvrir des nouveaux canaux de significations dans le corps du film, qui sont dans le prolongement du présage : l'enfant ouvre au hasard les Écritures dans lesquelles la distinction entre l'homme et la femme est incontournable. Mais on peut se poser la question de savoir si un moine est un homme vu sous le même angle que dans la distinction précédente ? On se rappelle le plan 121 où la femme nue aux cheveux longs embrasse voluptueusement Roublev attaché en croix à un poteau. Avant de l'embrasser, elle va couvrir sa tête [3] de son bonnet aux deux larges extrémités tombantes, des extrémités comme des "œillères" géantes pour l'empêcher de voir de côté et de ne lui permettre de voir que devant lui.

Si la scène des Écritures nous renvoie en arrière, elle va nous envoyer aussi bien en avant. Dans une séquence bouleversante, Roublev discute avec Théophane le Grec mort. Ce sont peut-être les dernières paroles de Roublev avant son long silence-pénitence (car il a tué un russe pour sauver la sourde-muette.) La séquence nous présente, en flash, la sourde-muette accroupie sur une morte et lui tressant méthodiquement une natte à trois branches. Au plan 268, elle termine la natte, comme les Moires grecques tressant le destin.

Il reste enfin une question, qui mérite d'être citée, c'est la citation d'ouverture du texte : "vous m'imitez en tout, comme j'ai imité le Christ." Dans ce cas, pourquoi la figure du Christ chez Théophane est-elle représentée avec des cheveux longs ? (Plan 57.) Le Christ ne meurt donc pas en homme ? Devient-il, en quelque sorte, une figure de la "mère" ? Certes la question est d'ordre théologique, mais elle témoigne, tout de même, du pouvoir du peintre : le pouvoir de représenter la figure du Christ.


 
Andreï Roublev, plan 57. Pourquoi la figure du Christ chez Théophane est-elle représentée avec des cheveux longs ?



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Liens spécifiques du film

Voir : Andreï Roublev


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Notes et références

  1. Le premier chiffre correspond aux plans du film depuis le début du film, le second chiffre aux plans du film depuis le début de l'épisode.
  2. Chez Tarkovski, il y a toujours quelqu'un qui lit un livre. Quand c'est un enfant qui lit (comme c'est le cas, dans presque tous les films qu'on a vus, hormis Nostalghia). Le livre devient plus imposant, plus grand par rapport aux petites mains des enfants. C'est dire le poids des livres et de la lecture chez le cinéaste. (Cf. Cahier Journal, op. cit., p. 18.)
  3. Car depuis le début de l'épisode (IV, plan 106) il n'avait pas la tête couverte. Ce qui donne encore plus d'importance à ce geste de recouvrement. La nuit, c'est une femme nue qui couvre la tête d'un moine-peintre. Mais de quelle figure de femme s'agit-il ? Est-ce la femme en chair et en os, source de désir physique ? Ou bien la femme-nature, c'est-à-dire un symbole de la mère-nature ?


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