Thèse:Introduction:La méthode de l'arbre cinémantique

De Cinémancie
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Le "n'importe quoi" devient alors le comble sophistiqué de la valeur.Roland Barthes.[1]

Cette méthode consiste à considérer un film comme un arbre. Il s'agit de mettre à plat et en évidence les divers constituants du film : titre, épisode, séquence, plan, objet ou figure. Chaque mise en relief d'un simple élément provoque une constellation de points de vues, qui donne lieu à des combinaisons sémantiques propices au déchiffrement. Nous parlons de combinaisons, parce que les images d'un film sont toujours incluses à l'intérieur d'une série d'images, contrairement à une photographie qui est presque toujours unique. Le cheval noir dans Andreï Roublev constitue un exemple particulièrement intéressant. A chaque apparition, il acquiert une signification particulière, il s'intègre dans l'épisode pour apporter une nouvelle proposition. C'est peut-être dans les métamorphoses des combinaisons symboliques d'un élément donné que nous pouvons découvrir l'une des plus grandes contributions d'Andreï Tarkovski à l'art cinématographique. Ces métamorphoses démontrent qu'un "symbole" n'est pas statique ou immuable, mais, bien au contraire, il est changeant et mobile. Il est organique. Andreï Tarkovski dit à juste titre : (…) "Comme l'infini de l'image… Le film est beaucoup plus qu'il ne paraît (s'il s'agit d'un véritable film) et contient davantage d'idées et de pensées que celle que l'auteur a pu consciemment y introduire."[2] La thèse présente donc une partie de ce "plus" que l'image provoque, une part de cet infini. Mais, puisque nous allons voir en détail Andreï Roublev dans le tome 2, nous avons choisi d'illustrer notre "méthode d'arbre cinémantique" grâce au cheval blanc dans Novecento de Bertolucci.

Le tronc d'un film : le présent

Le cheval blanc dans Novecento (1976) de B. Bertolucci

Novecento est un "film fleuve". Les films fleuve sont toujours cinémantiques, par le fait qu'ils s'installent sur un temps long. Dans Novecento le temps s'étale sur cinquante années ou presque de 1900 à 1945. Dans le deuxième acte du film, nous assistons au mariage d'Alfredo Berlingieri avec Ada. Toute la famille est réunie, il ne manque que l'oncle préféré d'Alfredo et l'ami d'Ada, l'oncle Otavio. Il vient avec du retard. Il entre dans le grand salon avec un beau cheval blanc. (Cf. Photogramme 1.) Photogramme 1. Novecento, B. Bertolucci.: Le cheval blanc dans le salon des Berlingieri. Photogramme 1. Novecento, B. Bertolucci : Le cheval blanc dans le salon des Berlingieri.

Ada, heureuse de ce présent, monte en amazone sur le cheval dans le salon. Soulignons la place incongrue qu'il occupe… dans un salon. L'animal est considéré par les riches propriétaires comme un objet d'admiration, comme une statue. Alfredo ouvre les deux battants des portes qui donnent sur le parc, il dispose au tour des épaules d'Ada la cape noire de l'oncle Otavio. A partir de ce moment, un destin tragique et sanglant va s'abattre sur presque toute la communauté du domaine Berlingieri. Tout d'abord, avant sa chevauchée dans les bois, Ada ne propose pas à son mari de venir avec elle. Elle se promène toute seule, en laissant son mari à la maison ; sur son chemin elle tombe dans le grand filet d'Olmo (Cf. Photogramme – 2.), ami d'enfance d'Alfredo. Ada et Olmo vont entrer tous les deux réunis sur le cheval, ce qui annonce le début d'une idylle. Photogramme 2. Novecento, B. Bertolucci : Ada et la cape noire prise dans le grand filet d'Olmo. Photogramme 2. Novecento, B. Bertolucci : Ada et la cape noire prise dans le grand filet d'Olmo.

Entre temps, en pleine fête de mariage se déroule, le drame cruel du jeune Patrizio, violé par l'impitoyable fasciste Attila, intendant du domaine Berlingieri et par Regina non moins cruelle, la maîtresse d'Attila. Attila et Regina ne vont pas se contenter de violer Patrizio, mais ils vont aussi le tuer. De plus, Attila va accuser Olmo, le communiste, de cet acte barbare. Olmo sera battu à mort par les "chemises noires". Alfredo impuissant regarde son ami se faire battre sans intervenir. Ce n'est qu'après l'intervention d'un "idiot rôdant", qui avoue avoir commis le crime, qu'on cessa de battre l'innocent Olmo. Après cet acte tyrannique, Otavio le républicain jura de ne plus revenir dans cette "maison". Ada qui avait supplié Alfredo à maintes reprises de congédier Attila, se réfugia dans l'alcool et n'avait plus confiance en Alfredo.

Le sang de Patrizio qui a coulé le jour de mariage d'Alfredo et d'Ada, n'annonce évidemment pas les meilleurs auspices. Dès le premier jour il y a une nette séparation entre le couple. Quelques temps plus tard, après un nouveau forfait du couple féroce Attila et Regina, afin de s'approprier la villa Pioppi. Ada qui s'est souvenue du drame de Patrizio, jeta le chapeau d'Alfredo par la fenêtre de la voiture et partit en toute vitesse. L'image d'Alfredo dans la rue montre le triste avenir qui l'attend. Puisque Ada ne restera pas longtemps avec Alfredo, car un peu plus tard, elle le quittera définitivement, quand elle va apprendre qu'Olmo est recherché par Attila parce qu'il l'a humilié devant tous les siens en lui faisant manger des excréments de … cheval. Ainsi, toute la difficulté du problème est d'établir les relations entre le cheval et la suite des événements tragiques. Nous allons voir que les voies qui mènent à ces relations sont spécifiques, et nécessitent une introspection temporelle. 1. 1 - Les structures du présent

Quatre éléments fondamentaux entrent dans la composition du présent d'un film. [1] Tout d'abord, nous distinguons "l'espace".[2] Il s'organise en fonction des besoins des protagonistes. Dans Novecento, l'espace est complexe, riche et concentré dans un grand domaine agricole. Nous pouvons diviser cet espace en trois grandes zones, une zone riche et prospère, qui correspond au milieu d'Alfredo ; une seconde zone simple et rustique, c'est le milieu d'Olmo ; et enfin, une zone intermédiaire, la nature environnante, lieu de rencontre des deux amis. Le second élément fondamental c'est "les personnages" du film. Le film trace l'évolution de deux enfants, Alfredo et Olmo nés le même jour. Ils appartiennent à deux familles différentes et diamétralement opposées. "Le temps"[3] est la colonne vertébrale de la cinémancie. Il détermine les coordonnées du film. Nous aurons à effectuer sans cesse des incursions dans un temps passé ou futur, de manière à suivre l'évolution des protagonistes ou des figures en question. Il reste enfin "les objets"[4] ou les figures du film, qui ont une fonction considérable dans la relation entre les individus. Ils participent à l'amplification des rapports étroits qui se créent entre les personnages.

Que faut-il retenir du point de vue cinémantique ? Le présent filmique montre à la fois, l'état des choses, et les différents états de leur changement. Il décrit le mouvement de cette transformation. Comme nous allons le voir au cours de notre étude, chaque détail a une fonction. Il nous livre au fur et à mesure un certain type de réponse, une certaine combinaison. Une réponse par l'image, une réponse imagée. Ainsi, avec le présent d'une image filmique, nous avons un certain nombre de données inhérentes au personnage, que nous devons dégager. Toutefois, ce qui est bouleversant, c'est que l'image filmique est toujours fuyante. [5] Il y a toujours un "plus" dans l'image, elle propose toujours autre chose. Nous n'avons pas pu nous empêcher de les prendre en considération ou au moins de les signaler, car ils sont toujours des moments uniques et spéciaux, dans lesquels nous avons le sentiment qu'ils pourraient être à la base d'une découverte riche et prépondérante. Car l'image filmique procure souvent des réponses à des questions qui ne sont même pas posées. Nous avons déjà parlé de cet aspect de la cinémancie, il est à la base et à l'origine de notre recherche. Il s'agit en fait, de la notion dynamique d'un "work in progress", "un travail en progrès", qui se situe à un double niveau. Le premier niveau concerne l'exploration de l'évolution humaine à l'intérieur des images filmiques, puisque la cinémancie s'intéresse à la raison qui implique tel plan singulier, annonciateur de tel autre plan. Le second niveau concerne la place de ces plans dans le "tout" du film. Il s'agit du lien ou de la liaison entre les figures. Le terme lien exprime un agent de liaison ou de relation soit par métonymie soit par analogie. [6] Il est à la base d'une modification d'approche de la vision filmique, qui donne l'occasion d'élargir nos répertoires. Cela signifie que notre démarche s'inscrit en permanence dans des voies épistémologiques.

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[1] Cf. J. Epstein, op. cit., p. 107. G. Deleuze, tome 1, op. cit. Le mystère du présent chez Dreyer et Bresson, p. 151 ; tome 2, op. cit., p. 105 ; Chapitre V. "Pointes de présent et nappes de passé." pp. 129-164. J. Mitry, tome 1, op. cit., p. 138. E. Morin, op. cit., chapitre V. Présence objective, pp. 121 sq. I. Lotman, op. cit., p. 136. [2] Cf. André Gardies, L'Espace au cinéma, Editions Méridiens Klincksieck, Paris, 1993. E. Morin, op. cit., Métamorphose de l'espace, p. 69. J. Mitry, tome 1, op. cit., p. 195 ; 251 ; modulation de l'espace, p. 398 ; tome 2, op. cit., Vème section : Temps espace et réel perçu, espace miniature, p. 208. §. 71. pp. 242-258 ; 388 ; 434. G. Deleuze, tome 1, op. cit., p. 137 et 231. I. Lotman, Chapitre 11. La lutte avec l'espace, op. cit., pp. 141-146. [3] Cf. J. Epstein, op. cit., pp. 139 ; 147 ; 225. E. Morin, op. cit., pp. 63 sq. J. Mitry, tome 1, op. cit., §. 43. Temps et espace en musique. pp. 307-312 ; tome 2, op. cit., V 8ème section, Temps espace et réel perçu, pp. 179-278. §. 72. pp. 259-278 ; 388 ; 434. A. Tarkovski, Le temps scellé, op. cit., p. 60. I. Lotman, op. cit., pp. 135-140. [4] Cf. E. Morin, "Objets inanimés, vous avez donc une âme ?" Op. cit., pp. 70 ; 72 sq. ; 128 sq. ; 159 ; 160 ; les objets et les formes, pp. 163-167 ; 185. G. Deleuze, tome 1, op. cit., p. 63 ; 180 ; 218 ; 252. Tome 2, p. 11 ; 62. J. Mitry, tome 1, op. cit., langage d'objet, p. 146 ; les objets dans l'Ange Bleu, p. 240 ; objet-sujet, pp. 282-284; objet esthétique, 348 et 350 sq. objet perçu, pp. 351-352. Tome 2, op. cit., pp. 44 ; 66 ; (briquet) p. 114 ; 138 ; distinction sujet-objet, pp. 184 sq. ; 192 sq. ; 214. M. Estève, op. cit., pp. 60-61. M. Mesnil, op. cit., p. 47. I. Lotman, pp. 51-52 ; 58-59 ; 74. [5] J. Esptein écrit : (…) "Plus on regarde les images plus elles changent." Op. cit., p. 55. Cf. également, J. Mitry, tome 1, op. cit., p. 129 ; 147 ; section II. L'image filmique, pp. 165-255 ; tome 2, op. cit., pp. 9 ; 413. [6] Cf. Jacques Aumont, L'Analogie réenvisagée (divagation), in Christian Metz et la théorie du cinéma, Iris n° 10, spécial avril 1990, Editions Méridiens Klincksieck, pp. 49-65. Dans ce texte, l'auteur distingue trois "valeurs" du terme analogie : l"analogie empirique (défini par la perception), l'analogie idéale ou objective (contenu dans les objets eux-mêmes), l'analogie ontologique ou idéelle (renvoyant à un invisible).Voir également, E. Morin, op. cit., pp. 90 et 93 ; C. Metz, Essais… tome 1, op. cit., "Portée et limites de la notion d'analogie", pp. 113-115 : […] "Analogie, c'est-à-dire par la ressemblance perceptive du signifiant et du signifié" ; "Im-segni (Pasolini) ou Analogie iconique", pp. 208-211. 1. 2 – La question de "la réalité"

Le tronc d'un film, c'est donc le présent du film. Il s'agit toujours de "la réalité d'un présent" qui défile à l'écran. A ce propos, Andreï Tarkovski disait : (...) "Je considère que le cinéma est l'art le plus réaliste, en ce sens que ses principes s'appuient sur l'identité avec la réalité, sur la fixation de la réalité dans chaque plan pris séparément. (…) Plus l'image est réaliste, plus elle est proche de la vie, plus le temps devient authentique." [1] La question de "la réalité filmique" est relativement importante, car elle soulève un certain nombre d'objections. [2] En ce qui nous concerne, la réalité du présent filmique est comparable à "la réalité de la vie". Ces réalités ne sont pas antinomiques pour plusieurs raisons. D'abord, s'il y avait une contradiction entre les deux, nous ne serions plus en mesure de comprendre et de savoir les significations les plus élémentaires de l'image. Nous comprenons une image parce que nous pouvons la constituer, parce que les objets dans les films, sont des objets puisés dans la réalité, parce que nous comprenons les objets constitutifs de l'image : un cheval [3] est un cheval et rien d'autre. Il en va de même pour tous les autres objets. [4]

Pier Paolo Pasolini refuse de parler d'une "impression de réalité" que donnerait le cinéma : (…) "C'est la réalité tout court." [5] (…) Le cinéma représente la réalité à travers la réalité. Je reste toujours dans le cadre de la réalité, sans l'interrompre en fonction d'un système symbolique ou linguistique." [6] Il en est de même dans le domaine de la littérature, chez Cervantès ou chez Marcel Proust, "l'idée qu'on se fait d'une réalité fait partie de la réalité." Ainsi, nous posons une hypothèse de travail d'un principe cinémantique : "le moindre indice filmique est un indice réel". Le plus petit détail est un témoignage d'une réalité. [7] Ainsi le cheval, la cape noire, le filet d'Olmo, dans Novecento, le bouffon qui mange un oignon dans Andreï Roublev, le stalker qui crache avant d'aller dans la zone dans Stalker. La cinémancie est un amplificateur de détail filmique. Cette réalité peut être une réalité reconstituée, altérée, transformée, métamorphosée, poétisée, etc. Elle reste cependant une réalité, comme son étymologie l'indique, "réalis" formée sur "res", "la chose". De plus, nous avons vu, comment la "réalité d'un film" déborde parfois, dans "la réalité de la vie" (l'omnibus-corbillard"). Il n'y a donc pas qu'une "certaine interaction", si nous osons dire, mais, une "interaction certaine". Ce fait (certes gênant) devient de plus en plus évident, comme en témoignent plusieurs études à ce propos. [8]

Par ailleurs, l'image filmique établit toujours une suite, un développement, une croissance de cette réalité.[9] Et, la réalité d'une image filmique n'est pas seulement objective et impartiale, elle est reproductible, elle peut être re-visualisée. Cela, nous ne pouvons pas le faire avec notre réalité passée, qui n'est plus là, et qui disparaît derrière les voiles du temps, remplacée aussitôt par d'autres "voiles", formant une opacité confuse où seule la mémoire et le souvenir sont souverains. Ainsi la caméra [10] est la plus haute instance qui imprime clairement et sans obstruction la réalité d'un événement filmique. Il ne s'agit donc pas de la réalité de la fiction filmique, mais de la réalité des faits filmiques, qui eux, sont bien réels. Par exemple, ramasser un objet, s'asseoir, ouvrir une porte, une fenêtre, nous indiquent à chaque fois, et dans chaque circonstance, un certain nombre d'indices, qu'il s'agira d'observer. Enfin, montrer n'est pas démontrer. Pour cela, nous devons nous introduire dans "les racines du film".

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[1] Andreï Tarkovski, Dossier Positif-Rivages, Collection dirigée par Gilles Ciment. Article: "L'artiste dans l'ancienne Russie et dans l'U.R.S.S. nouvelle : Entretien avec Andreï Tarkovski" par Michel Ciment, Luda et Jean Schnitzer, traduit du russe par Jean Schnitzer, Paris, 1988, p.88. [2]Il ne nous appartient pas ici de trancher sur cette question, nous nous contentons de signaler quelques auteurs qui ont abordé la question : B Balázs, op. cit., p. 127, (…) "Tout ce que l'on voit sur l'image a d'abord existé "dans la réalité", 198 ; 203 ; 227. Jean Epstein, op. cit., pp. 309 ; 326-327 ; 381 ; 383 ; 403-408. Edgar Morin, op. cit., p. 16 ; photogénie, 21 ; l'impression de vie et de réalité, 98 ; 121-123 ; 141; 156. Jean Mitry, tome 1, op. cit., pp. 81 ; 114 ; 128 ; réalité objective, 139 ; 145 ; impression de réalité, 180 ; 390 ; réalité quelconque, 238 ; 258 ; 269-270 ; réalité sur le vif, 280. ; tome 2, réalité vraie, 37 ; 45-46 ; 60 ; conclusion sur la réalité, 84; réalité physique, 206 ; 243. Par ailleurs, nous n'avons pas confondu "la réalité" avec "le réalisme" : tome 1 : pp. 130-131, réalisme délirant, 174 ; réalisme expressionniste, 238 ; histoire des réalismes, 238, 245, 249-252 ; tome 2, 180 ; réalisme transcendantal, 181 sq. ; 313 ; 406-436. C. Metz, La signification au cinéma, tome 1, chapitre 1, "A propos de l'impression de réalité au Cinéma", op. cit., pp. 13-24 ; 30 ; 143 ; tome 2, 37. G. Deleuze, tome 1, op. cit., p. 159 ; tome 2, chapitre 2, "Récapitulation des images et des signes", pp. 38-61. R. Dadoun, op. cit., pp. 32- 33 ; 159. [3]Il s'agit de l'animal et non pas de la figure du cheval. [4] I. Lotman écrit : (...) "Le film est relié au monde. Il n'est compris que si le spectateur identifie à coup sûr quelles choses de la vie réelle sont signifiées par telle ou telle combinaison de taches lumineuses sur l'écran." op. cit., p. 74. C. Metz précise (…) "La compréhension totale d'un film quelconque serait impossible si nous ne portions pas en nous ce dictionnaire confus mais bien réel des "im-segni" dont parle Pasolini, (…) que la voiture de Jean Claude Brialy dans Les Cousins est une voiture "sport" avec tout ce que cela signifie dans la France du vingtième siècle, époque diégétique du film…" Op. cit., tome 1, p. 209. [5] Pier Paolo Pasolini, L'expérience hérétique, Editions Payot, seconde partie du livre, p. 170. [6]Op. cit., p. 199. [7] Robert Bresson part du réel volontairement : (…) "Je me veux et me fais aussi réaliste que possible, n'utilisant que des parties brutes prises dans la vie réelle". L'Express, 23 décembre 1959. Citée par Michel Estève, Robert Bresson, Editions Seghers, Paris, 1974, p. 91. Kenji Mizoguchi est encore plus radicale, Michel Mesnil écrit, qu'il y a dans ses films une : […] "accumulation de petits faits vrais qui ne valent que par l'appui qu'ils prennent l'un sur l'autre, le naturel et la vérité de la mosaïque qu'ils créent finissant par instaurer une sorte de critique immédiate de la réalité." M. Mesnil, Kenji Mizoguchi, Editions Seghers, Paris, (1965), 1971, p. 30. D'autres réflexions du même ordre vont venir appuyer cette hypothèse. [8]Comme par exemple, la thèse de Natacha Aubert, doctorante spécialiste de la représentation de l'antiquité dans le cinéma. Elle écrit : (…) " L'usage de l'Antiquité dans le cinéma ne se cantonne pas toujours à un rôle spectaculaire et commercial. Dans Cabiria de Pastrone, 1914, il y a sans conteste un lien entre les guerres puniques et le guerre de Libye qui oppose l'Italie à la Turquie en 1911-1912. Scipione l'Africano de C. Gallone a été considéré dès sa sortie comme une apologie du régime fasciste… Ces deux films font l'apologie des visées impérialistes de l'Italie… Spartacus (1960), produit par Kirk Douglas… a été produit au moment le plus intense de la chasse aux communistes aux USA. L'analogie entre Spartacus et Moïse renvoie à la lutte sioniste "let my people go"… Le film de J. Kawalerowisz, Faraon, Pologne 1966, fait allusion à la situation de la Pologne contemporaine..." Extraits de thèse accessible sur Internet : http://www.unine.ch/antic/cinenat.html [9]Cela implique (si nous poussons notre raisonnement jusqu'à son terme) que l'image filmique a une "suite" soit intra-cinématographique, soit extra-cinématographique (souvent les deux). Cela peut également soulever des objections, mais il sera difficile de démontrer le contraire. [10]Cf. B. Balázs : […] "La caméra cherche sa matière non dans l'événement, mais dans l'apparence." op. cit., p. 187. E. Morin, op. cit., p. 179. J. Mitry, tome 1, op. cit., p. 174-175 ; 361 ; tome 2, op. cit., §. 50. Caméra mobile, pp. 28-34 ; 58. G. Deleuze, op. cit., pp. 34 ; 39 ; 60. J. Donner, […] "(A propos de La source) Vernon Young dans "Film Quaterly" écrit : "Ce n'est pas le mouvement de la caméra mais son emplacement dans l'espace qui détermine le style du film." Op. cit., p. 98. 2 – Les racines d'un film : le passé

Nous revenons à la séquence du cheval blanc, de Novecento. Ce qui est troublant dans cette séquence, c'est le nom du cheval blanc, "cocaïne", en mémoire d'une journée où le jeune couple s'est réuni avant le mariage avec l'oncle Otavio et où ils ont sniffé de la cocaïne. Or, deux faits significatifs s'installent comme signe avant-coureur, et annoncent clairement la suite des événements: en effet, la joyeuse bande est dans la chambre de l'hôtel. L'oncle Otavio sort le sachet de cocaïne de sa poche, il dispose la poudre blanche sur la surface lisse d'une commode disposée près d'un lit. Otavio et Ada sont à côté du lit, Alfredo est à l'horizontale sur le lit. Alfredo sniffe en premier, en néophyte il souffle sur la poudre et l'éparpille au sol (Cf. Photogramme – 3.) Photogramme 3. Novecento, B. Bertolucci : Alfredo au lieu d'insuffler la poudre blanche, souffle dessus, en l'éparpillant (en direction des flèches). Photogramme 3. Novecento, B. Bertolucci : Alfredo au lieu d'insuffler la poudre blanche, souffle dessus, en l'éparpillant.

Pour ne pas perdre un grain de la précieuse poudre, Ada et Otavio se mettent à genoux et sniffent directement au sol la poudre éparpillée par Alfredo. (Cf. Photogramme – 4. ) Photogramme 4. Novecento, B. Bertolucci : Ada et Otavio sniffent à genoux la cocaïne qui est tombée au sol. Photogramme 4. Novecento, B. Bertolucci : Ada et Otavio sniffent à genoux la cocaïne qui est tombée au sol.

Or, en "une seconde", l'image nous montre nettement le sombre avenir qui attend Alfredo. Ainsi, en éparpillant la poudre, il éparpille en quelque sorte sa famille, qui dans le cas présent est à genoux devant lui, ce qui peut indiquer un signe de vénération, mais aussi un signe de séparation : Ada et Otavio, qui embrassent le sol, vénèrent les valeurs de la terre. N'oublions pas qu'ils sont tous les deux républicains. Ils vénèrent donc les valeurs de la terre, et les gens qui la travaillent. Alfredo par contre est allongé sur le lit. Il est à l'horizontale sur le lit, en croix, cela rappelle le dernier plan du film : le vieil homme avec les cheveux blancs qui s'allonge horizontalement sur les rails du chemin de fer. Ainsi nous apercevons que "les racines filmiques" nous permettent d'accéder aux données immédiates du film, à ses couches les plus superficielles. Mais elles ne dévoilent pas l'intensité et le poids de chaque figure dans un plan. Elles ne s'introduisent pas en profondeur. Pour cela, nous devons diriger nos regards et nos horizons vers le réservoir culturel humain. Par conséquent, nous devons ouvrir "des chantiers d'investigations" qui concerne le cinéma d'une manière transversale.

Les racines de l'image filmique, ce sont donc les fondations de la mémoire filmique. Et pour consulter et ouvrir les portes secrètes du passé, nous allons nous appuyer sur la méthode des recherches de C. G. Jung et de son école, qui nous seront d'une grande utilité. Car Jung à accordé un intérêt considérable, comme nous allons le voir, à toutes les "catégories irrationnelles", contrairement à Freud qui les considérait avec un certain dédain. C'est d'ailleurs à la suite de l'intérêt croissant de Jung pour les phénomènes irrationnels qu'il y a eu la séparation entre les deux psychanalystes. 2. 1 – Les Associations : Le rêve

Une des originalités de Jung (et de Freud également) est la méthode qu'il élabore et qui est à la base de la "psychologie du Rêve", comme moyen de connaissance et agent thérapeutique. [1] Nous pouvons commencer d'abord par une supposition, celle qui consiste à considérer "le passé d'un film" (les racines) comme un rêve. Nous constatons qu'il y a des analogies frappantes. Comme dans un rêve, le passé, grâce à l'apport et à l'accumulation successifs de structures imagées hétéroclites, construit en fait, des "complexes de signes", érigés souvent en un "rempart opaque", qui constituent parfois des obstacles infranchissables. Chez Jung, comme chez Freud, ce sont les associations […] "qui doivent être amenées à la rescousse et qui fourniront la grille qui va permettre de déchiffrer ce message parfaitement incompréhensible." [2]

Comme dans un rêve, nous gardons du passé une certaine idée, une forme globale, mais aussitôt apparaissent dans cette forme des zones ambiguës, des zones où se chevauchent plusieurs états, plusieurs fonds, pour former en fin de compte un "complexe". Le passé est comme chacun le sait, un état de présent accumulé ou un archivage mal ordonné du présent. Il n'est pas comme le présent qui s'actualise dans un "ici et maintenant". Le passé se perd ou s'oublie dans un "ailleurs et autrefois". Les associations se forment tout naturellement, surtout quand dans un présent actualisé nous sommes en présence d'un objet, d'un site, [3] qui fait venir à la surface des zones d'ombre de notre passé. La question est vaste, mais nous avons voulu, d'une part, montrer certains liens évidents entre le passé et le rêve, et d'autre part, montrer que le passé passe souvent, pour ne pas dire régulièrement, par le canal du rêve, et qu'il se manifeste d'une manière ou d'une autre.

Le thème du rêve est récurrent dans le cinéma d'Andreï Tarkovski. Il présente plusieurs exemples de la relation entre le rêve et le passé. Il y a dans Nostalghia quatre rêves ; dans Andreï Roublev, le rêve d'Andreï Roublev et sa rencontre avec Théophane le Grec mort ; dans Le Miroir l'épisode du "Rêve d'Aliocha". Ce qui semble révélateur, c'est l'intégration des rêves dans la cinémancie, comme outil de prospection pour explorer le passé et annoncer le futur. Cela ne date pas d'aujourd'hui, mais remonte à l'antiquité et même à la Bible. Le terme utilisé par les anciens est "l'oniromancie". Nous porterons un œil vigilant aux rêves dans le cinéma en général, car ils témoignent toujours d'un intérêt nouveau et inédit, ils sont souvent porteurs d'une symbolique nouvelle et par-là ils dévoilent de nouvelles combinaisons sémantiques. [4]

Mais les rêves constituent seulement une part des outils prospectifs du passé. Nous devons encore mentionner un haut fait culturel, que Gilbert Durand à la suite de Gaston Bachelard appelle : […] "la consultation du patrimoine imaginaire de l'humanité que constituent la poésie et la morphologie des religions." [5] Toutefois, il faudra ajouter dans le cadre de ce patrimoine, les mythes, les coutumes, les légendes, les croyances, etc. Car nous revendiquons avec Gaston Bachelard le droit à […] "une étude systématique de la représentation, sans exclusive aucune." [6] Ainsi, cette étude systématique est double. Elle implique une étude d'une part au niveau de l'image cinématographique, des comparaisons d'une image filmique avec plusieurs autres images, comme par exemple le cheval, [7] chez Tarkovski, Bertolucci (Novecento), Buñuel (Viridiana), Bergman (La Source), d'autre part, au niveau des racines de la représentation de l'image.

Remarquons que le symbolisme des mythes et des légendes se forme et se confond dans le domaine de la divination et de la superstition. Pour illustrer nos propos, il suffit de considérer les animaux qui pullulent dans le cinéma d'Andreï Tarkovski : des chevaux, des chiens, des chats, des coqs, etc. Dans un film, un animal ne représente que lui-même. Mais si nous voulons nous introduire dans la profondeur de l'image, et dégager les relations que ces animaux forment avec le film, nous devons nous engager à consulter les légendes et les mythes spécifiques qui ont contribué à la formation d'images générales que C. G. Jung appelle les archétypes : (…) "Schémas ou potentialités qui façonnent inconsciemment la pensée." [8] Cependant, il arrive que la valeur significative des "associations" soit insuffisante. Ainsi, dans le cas précis d'un rêveur, […] "La méthode des associations a une importance capitale pour tout ce qui est "thématisme personnel" du rêveur, mais il est des cas où le rêveur se trouve totalement dépourvu d'évocation associative. (…) Nous arrivons à la célèbre méthode des "amplifications". [9]

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[1]Cf. Article du Dr Roland Cahen, "La psychologie du rêve", p.102 sq. Dans Le Rêve et les Sociétés Humaines, Ouvrage collectif, sous la direction de Roger Caillois et G. E. von Grunebaum, Gallimard, 1967. [2] Op. cit., p. 107. [3] Même d'une odeur (difficilement établie au cinéma) ou d'une saveur particulière, comme la madeleine de Marcel Proust. [4] J. Donner précise que (…) "la source d'inspiration de Bergman se situent dans le rêve et l'irrationnel", op. cit., p. 48. Cf. également, Rêves de Femmes (Kvinnodröm) pp. 36 et 61-63 ; Nuit des forains, rêve de Frost (le clown), pp. 52 ; 77 ; 82 ; 137 ; 140. F. Cesarman, op. cit., pp. 39 ; 188 ; 197 ; 204 ; 217. [5] Gilbert Durand, Les Structures Anthropologiques de l'Imaginaire. Introduction à l'archétypologie générale, Edition Dunod, (1969), 11ème éditions, 1992, p.20. [6] Gaston Bachelard, La philosophie du non, p.75. [7] Ici, il s'agit de la figure du cheval et non plus de l'animal. [8] C.G.Jung, Les types psychologiques, Editions Georg, Genève, 1950, p.310 sq. Cf. également du même auteur, L'Homme et ses symboles, Editions Robert Laffont, 1964, p.66 sq. [9] Roland Cahen, Le rêve et les sociétés humaines, ouvrage collectif, op. cit., pp. 108-109 2. 2 - Les amplifications

Cette méthode est à son tour une méthode d'élargissement de "l'angle d'approche", d'un signe "dépourvue de significations". De quoi s'agit-il précisément ? Ce sont : (…) "(Des) parallèles historiques, sociologiques, mythologiques, ethnologiques, prisés dans le folklore aussi bien que dans l'histoire des religions, permettant de mettre le contenu du rêve, privé d'associations, en rapport avec le patrimoine psychique et humain général. (…) Ils entrent dans le cadre de la rencontre inter-humain. (…) (Elle) est rendue nécessaire par l'existence des problèmes liés à l'inconscient collectif." [1] En ce qui nous concerne, l'amplification de la cinémancie est basée sur cinq notions, ayant parfois entre eux, des "branches" inextricables. Ces notions sont : la divination, la superstition, l'irrationnel, la poésie et la question du symbole.

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[1] Op. cit., p. 109. 2. 2 – 1. La divination

La complexité de la question de la divination déborde sur d'autres questions, comme le symbolisme, la superstition et l'ethnologie. (…) "La divination est appelée en Grèce, "mantiké techné", l'art prophétique, et le nom du devin, du prophète, de toute personne qui prédit l'avenir, "mantis". [1] Ce premier type (ou mode) de divination est dite inspirée car : (…) "Le fidèle, le prêtre ou son représentant reçoit l'influx divin, après s'être mis en condition suivant des règles bien strictes et qui sont différentes suivant les lieux et les époques." [2] Un bel exemple nous est livré par B. Bertolucci, dans Little Boudha, lors de la consultation de l'oracle. Dans ce film, le prêtre est un homme. Il en est de même dans le film de Martin Scorsese, Kundun. En Grèce, généralement la "représentante" est une jeune fille vierge issue d'une bonne famille. Ce type de divination échappe au commun des mortels. Toutefois, il existe des cas ou des êtres humains eux-mêmes peuvent devenir les instruments inconscients de la divinité et fournir des signes à ceux qui cherchent une réponse à leurs questions. [3]

Ailleurs, c'est une parole prononcée sans aucune intention par une personne de passage qui apportera la réponse attendue. Le "clédon" ou les paroles prophétiques, sont des cas extrêmement courants dans le cinéma. Un exemple de clédon est proposé par B. Bertolucci, toujours dans Little Boudha. Sidharta est en méditation depuis six ans, près d'une rivière. Sur une barque passe un maître en musique, qui dit à ses élèves : "La corde trop tirée se casse, la corde pas assez tirée ne sonne pas." Ce fut la grande révélation du "juste milieu" pour Sidharta : (…) "Cette forme de présage, très répandue, (…) montre quelle importance on accordait aux mots, aux clédon, explique le soin qu'on mettait à éviter les paroles de mauvais augures." [4] "L'Omen" (romain) est très exactement comparable aux clédon grecs. Il est, dans son sens strict, le présage entendu. Il intéresse l'individu et la vie de tous les jours. […] "C'est que selon les remarques de Ciceron, toute phrase prononcée par un tiers dans une intention qui lui est propre mais pouvant s'appliquer aux préoccupations et à la conduite du sujet intéressé, constitue un présage pouvant inspirer crainte ou confiance". [5] (Voir également : Divination

Le second mode de divination repose sur l'interprétation des signes, elle est dite "inductive". Elle est infiniment plus variée, et elle va nous intéresser tout particulièrement tout le long de notre étude. Nous n'entrons pas dans les détails. Car les formes de divination inductive par les signes sont nombreuses et variées. Suivant les civilisations, elles ont connu au cours de l'histoire une faveur inégale. En fait nous devons distinguer d'une part, la divination qui s'adresse au sens, particulièrement l'ouïe et la vue et d'autre part, la divination qui s'implique dans une relation avec un objet.

Les omina s'adressent à l'ouïe, les "auspicia" à la vue : (…) "Le mot "auspices" signifie, à la lettre, les signes donnés par l'observation des oiseaux, de leur vol et de leurs cris, mais comme le mot grec "oihoz", il s'applique à divers présages visuels, éclairs, foudres, (…) (même) signe de rencontre fortuite." [6] Nous verrons cette forme de divination, à plusieurs reprises, car les oiseaux acquièrent un rôle important dans le cinéma d'Andreï Tarkovski.

Le second type de divination inductive, celle qui s'applique directement à un objet, intéresse le sens du toucher. Ce sont des catégories qui vont nous intéresser tout particulièrement, car elles sont presque illimitées. Nous pensons que n'importe quel objet, n'importe quelle petite chose, peut entrer dans une application divinatoire : un crayon, une feuille de papier, un livre, etc. Toute la question se repose sur son moment de participation, et en quoi il participe. A voir de près, d'une façon ou d'une autre, ces objets entrent dans des catégories attribuées par les anciens : (…) "Les anciens recouraient à plus de cent sortes de divination, dont certaines sont aujourd'hui totalement inconnues." [7]

Par ailleurs, nous constatons que la plupart du temps, la consultation divinatoire est en général pratiquée pendant les périodes critiques : […] "à la veille d'une guerre, au moment d'une épidémie, avant un mariage, au sujet d'une construction ou restauration d'un édifice public ou privé." [8] Parfois, à propos de la fondation d'une cité ; autrefois pour des questions plus personnelles. Ce qu'il faut retenir, c'est qu'on : […] "consulte le devin en état de crise, d'angoisse, de doute, d'incertitude. Le devin prépare la décision du consultant, l'aide à surmonter une crise, élimine l'insécurité morale et physique du client…" [9]

Et, qu'est-ce que le cinéma ? N'est-ce pas la chronique d'un individu, d'un groupe, d'une population en période critique ? En état de crise ? Sans crise il n'y a plus de film. La plupart des grands genres cinématographiques passent nécessairement et obligatoirement par cette case de départ. En voilà des exemples : A la veille d'une guerre : Andreï Roublev (A. Tarkovski), Cuirassé Potemkine, et Alexandre Nevski (S. Eisenstein), Run (A. Kurozawa), Vivre (Y. Zhang) ; au moment d'une épidémie : Andreï Roublev ; avant un mariage : Les Chevaux de feu (S. Paradjanov), La petite vertu (S. Kober) ; au sujet d'une construction d'un édifice : Andreï Roublev ; à la suite d'un prodige : la chute d'un météorite, Stalker ; l'individu en état de crise, d'incertitude, la liste est interminable, nous citons comme exemple: Andreï Roublev, Le Miroir, Stalker, Nostalghia (A. Tarkovski) ; Les Ailes du Désir, Paris Texas (W. Wenders), La Fièvre dans le Sang (E. Kazan). Nous allons voir que la "divination" a souvent une part, parfois invisible, imperceptible dans un film, et joue un rôle important, d'une part, dans la diégèse, la divination fait partie de la crise filmique et d'autre part, dans la construction technique du film à tous ses niveaux : le scénario, les repérages, les décors et les accessoires, le tournage, le découpage et enfin le montage. Par ailleurs, la divination a des rapports avec la superstition. C'est la matière de ce qui suit.

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[1]"Mantis",provient lui-même de la racine "mainomai", être pris de délire, et en particulier, être mis hors de soi par la divinité. C'est le même sens que l'on retrouve dans "enthousiadzein" (issu de la racine theos), être possédé par un dieu, être saisi par l'enthousiasme." Raymond Bloch, La Divination dans L'Antiquité, P.U.F. 1984, p.9. [2] Raymond Bloch, op. cit., p. 6 [3]Cf. Article, J.Defradas, "La Divination dans la Grèce Antique", dans La Divination, Etudes recueillis par Andreï Caquot et Marcel Leibovici, 2 tomes, P.U.F. 1968. [4] J. Defradas, op. cit., p. tome 1, p. 171. [5] Ciceron, De Divinatio, p. 40. [6] Cf. Raymond Bloch, op. cit., p.88 [7] Éloïse Mozzani, Le Livre des Superstitions, op. cit., pp. 604-605. [8] Cf. Caquot/Leibovici, op. cit., p. VI. [9]Les films dramatiques, les fictions, les westerns, les films noirs, les comédies, etc. 2. 2 – 2. La superstition

Ainsi, y-a-t-il une limite entre la superstition et la divination ? Ou sont-elles confondues ? Autrement dit, quels sont les critères et les procédés de limitation ou de confusion entre les deux ? Par exemple, la figure d'un chat noir ou celle du passage sous une échelle, est-ce de la superstition seulement ? Ne pouvons-nous pas dire qu'il s'agit de "signes divinatoires" ? D'autre part, quel est le "poids" ou l'ampleur de la considération superstitieuse dans un film? Est-elle simplement un élément de déviation dans une des phases du film. [1] Par ailleurs, nous devons voir le rôle de la superstition chez Andreï Tarkovski. D'une part, en tant que cinéaste, c'est-à-dire voir le degré de participation de la superstition à son art. Et d'autre part, discerner le rôle et le poids de la superstition dans ses films, notamment ceux que nous allons aborder. [2] Nous citons à titre d'exemple quelques aspects "superstitieux" du cinéaste : les sept niveaux spirituels, [3] les sept champs magnétiques, [4] le cas de la célèbre parapsychologue moscovite Djouna [5] (Le Miroir), la télékinésie (Stalker), etc. L'éclairage porté par nos réponses va nous conduire à mettre en doute des définitions pré-établies et acceptées comme telles, jusqu'au point d'être totalement acceptées comme un cliché immuable, un cadre restreint et réducteur.

En fait, il nous semble, que la superstition est surtout affaire de discernement. [6] […] "Le mot "superstition" vient du verbe latin "superstitare" qui signifie "s'élever se tenir au-dessus- au-dessus des choses naturelles pour se tourner vers les choses surnaturelles." [7] Françoise Askevis-Leherpeux démontre dans une étude, grâce à de nombreuses statistiques et divers questionnements, qu'en général, la superstition est rarement définie autrement que par la négation. [8] Ce qui nous semble suspect, c'est que la superstition prête à une large confusion. Françoise Askevis-Leherpeux propose une définition de la superstition qui vaut, selon l'auteur, pour n'importe quel contexte historique et culturel. Voici sa définition: […] "Les croyances qui, à une époque donnée, vont à l'encontre des doctrines et pratiques attestées par les fractions dominantes de la communauté scientifique et/ou de la communauté religieuse culturellement la plus importante." [9] Nous ne partageons cette définition qu'en partie. Car, tout d'abord, une telle définition instaure la primauté du collectif sur l'individu. Or, nous pensons que le problème est d'une part individuel, il est philosophique, il fait notamment appel au "sensus communis", comme le formule Emmanuel Kant. [10] D'autre part, il fait appel à la psychanalyse. Ainsi, Jung adopte une attitude ouverte en donnant à la superstition, contrairement à Freud, un statut autre que celui de symptôme pathologique, [11] et en tentant de donner un caractère de "scientificité" aux éléments de connaissances concernant les phénomènes parapsychologiques. Il fait appel au "principe de synchronicité". [12] […] "Il convient selon lui de dépasser l'opposition entre causalité et hasard, et d'ajouter aux relations causales et aux groupements sans significations, un troisième type de liaison, les coïncidences synchroniques qui diffèrent des précédentes non par leur probabilité d'occurrence mais par leur caractère inhabituel et l'importance qu'elles revêtent aux yeux de l'individu." [13] Dans la partie suivante nous allons élargir notre répertoire vers une notion particulière : l'irrationnel.

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[1]Cela si nous procédons dans le cadre du schéma classique d'un film linéaire : le début du film, qui expose et met en place les différents personnages et le cadre spatio-temporel, qui concourent à amorcer, et à préparer "le nœud filmique"ou "la crise filmique" ; le milieu du film, c'est le moment ou culmine le nœud filmique ; pour aboutir au dénouement, à la fin du film. [2]Cf. Thèse de doctorat de l'Université de Lyon 2, de Ludmila Kastler, La politesse linguistique dans la communication quotidienne en français et en russe. En particulier, le premier chapitre, 3ème sous-titre : "Les routines liées à la superstition", l'auteur écrit : […] "Il est bien connu que les Russes sont très superstitieux. Ce fait ne passe pas inaperçu des étrangers qui visitent la Russie." Sur Internet : http://theses.univ-lyon2.fr/Theses/lkastler/html/partie2.html [3] Andreï Tarkovski, Cahier Journal 1970-1986, traduit du russe par Anne Kichilov avec la collaboration de Charles H. de Brantes, Éditions Cahiers du Cinéma, Paris, (1988) 1993, p. 282. [4]Ces écrits mentionnent souvent des aspects de cet ordre. Par exemple, quand il était en Italie chez Antonioni, il fera tous les matins des exercices de méditation transcendantale. (Cf. Cahier Journal 1970-1986, op. cit., p. 193 et suivante.) Le 1er août 1979, il écrit : "Première leçon de méditation. Il semble que j'y arrive. Ce soir (en ce moment) – moins bien. J'ai l'impression de m'assoupir, de ne pas sentir mes pulsations profondes." Nous voyons dans les pulsations profondes, une définition adéquate des images tarkovskienne. [5] Andreï Tarkovski, Cahier Journal 1970-1986, op. cit., p. 276. [6] Cf. Mémoire de maîtrise de philosophie, par Virginie Mayet, Saint Augustin et la superstition, Accessible sur Internet : http://www.geocities.com/Athens/Oracle/3099/SASupers.htm Et, la thèse de Micheline Laliberté de l'Université Sainte-Anne, Nouvelle-Écosse, Religion populaire et superstition au Moyen âge. Internet : http://www. Erudit.org/erudit:theologi/v08n01:lalibert/lalibert;htm [7] Andrée Ruffat, Avant-Propos, op. cit., p.9. [8] Cf. Françoise Askevis-Leherpeux, La Superstition, P.U.F. 1988. p. 14. Dans cette étude, l'auteur présente une statistique où se trouve pêle-mêle l'ensemble de ce qu'on peut appeler toutes les catégories superstitieuses : chat noir (79%), trèfles à quatre feuilles (47%), sorciers et sorcelleries (17.5%), astrologie (16%), magie noire (14%), magie blanche, fantômes et spectres, OVNI, horoscope, fées et lutins, loups-garous, médailles de saint Christophe, etc. L'échantillon correspond à un pourcentage d'étudiants en Sciences humaines, ce qui explique le taux relativement haut. [9] Op. cit., p. 30. [10] Emmanuel Kant propose trois maximes qui sont utiles à l'explication des principes de cette critique : […] " 1.Penser par soi-même ; 2. Penser en se mettant à la place de tout être humain; 3. Penser toujours en accord avec soi-même.. " ( Critique de la Faculté de Juger, traduction par Marc B. de Launay, Editions Gallimard, 1985, §40, V, 294-295, pp. 245-246.) [11] Pour Freud, (...) "la superstition est une manifestation de névrose obsessionnelle", Cf.. Françoise Askevis-Leherpeux, p.58 sq. [12] C.G.Jung, Synchronicité et Paracelsica, Editions Albin Michel, traduit de l'allemand par Claude Maillard et Christine Pflieger-Maillard, (1942) 1988. [13] Françoise Askevis-Leherpeux, op. cit., p.62. 2. 2 – 3. L'Irrationnel

En général, les instances scientifiques considèrent une expérience comme étant valable (donc vraie) uniquement si celle-ci est reproductible dans un laboratoire. La reproduction étant une signature de la vérité. Mais que se passe-t-il pour les expériences qu'on ne peut pas reproduire dans un laboratoire ? Comme les "actes irrationnels", c'est-à-dire les actes insolites, illogiques, déraisonnables, accidentels, absurdes, énigmatiques, inconséquents, etc. Tout film dans son ensemble devient en quelque sorte un "laboratoire idéal"pour l'observation de tels actes (en images). Il devient une espèce de "simulation in vivo", des comportements humains, reproductible à volonté. Mieux encore, nous pensons que le cinéma semble nous offrir un répertoire complet de ces comportements, avec des détails dignes d'intérêts, puisqu'un film décrit et garde en mémoire, avec une grande minutie, des "possibilités téléologiques" d'une simulation déterminée. Cet aspect s'inscrit dans le complexe projection-identification-transfert décrit par E. Morin.

Nous pouvons distinguer dans l'irrationnel trois grandes catégories. [1] La première catégorie est "psycho-philosophique", il fait appel à des concepts philosophiques et psychologiques. Ce groupe est universel. Aussi, Françoise Bonardel [2] précise que les émotions, les sensations, nos états d'âmes et d'autres notion encore entrent sans difficultés dans cette catégorie. De ce fait, par exemple, pourquoi préférons-nous une couleur à une autre ? Une musique à une autre ? Pourquoi aimons-nous telle personne et pas une autre ? Elle affirme que "l'Ironie" de Socrate, "l'Illimité" d'Anaximandre, "l'Incohérence" de Montaigne, "le Doute" et "les Passions" de Descartes, "la Nécessité" de Hume, "le Sublime" de Diderot, "la Folie" d'Erasme, "la Volonté de puissance" de Nietzsche, "l'Elan vital" de Bergson, etc., tous ces concepts appartiennent et baignent dans l'Irrationnel. Deux exemples vont illustrer cette catégorie. Le premier exemple est issu du prologue d'Andreï Roublev. C'est le moment où Efim est devant la porte grande ouverte de l'église, il hésite quelques longues secondes avant d'entrer. Ici, "l'hésitation", [3] qui est toujours inscrite dans le temps, ne constitue-elle pas un cas de figure cinémantique ? Le protagoniste n'est-il pas devant un dilemme ? Un choix à faire ? Une décision à prendre ? Il en est de même dans Le Miroir, quand l'inconnu-médecin, après avoir quitté Maroussia, se retourne en direction de la jeune femme, s'arrête quelques instants, et puis continue son chemin. Ces deux moments, ne sont-ils pas des moments cinémantiques ? N'annoncent-ils pas un certain fait ? Ainsi, cet aspect est important, car il nous permet d'élargir la cinémancie non pas uniquement vers les catégories traditionnelles de la mancie, qui constituent la seconde catégorie, mais d'asseoir notre hypothèse de travail conjointement sur les deux catégories, en privilégiant la première, étant donné qu'elle est rarement abordée.

La seconde catégorie est anthropologique, elle obéit à la large définition de F.Khodos, à savoir : […] "C'est ce qui s'écarte de la raison (en Occident), la récuse ou du moins la déconcerte". [4] Cette catégorie appartient aux catégories "traditionnelles" de l'irrationnel. Nous distinguons deux grands pôles. Le premier pôle, concerne essentiellement le domaine de la divination et de la superstition dans les films. Le second pôle, nous l'aborderons très rarement. Il concerne le domaine de l'ésotérisme, avec ses trois principaux piliers: l'alchimie, l'astrologie et la magie. La principale raison que nous avançons par rapport au choix que nous avons effectué, tient du fait qu'en général, le second pôle nécessite une espèce de calcul hermétique. Or la cinémancie est basée essentiellement sur la temporalité de l'image visuelle ou auditive. Elle est instantanée, spontanée et ne nécessite aucune arithmétique particulière. Elle découle toujours d'une proposition issue de l'image. Nous venons de le voir avec l'exemple de la poudre soufflée, cette image est en quelque sorte "une réponse cinémantique". Elle traduit "immédiatement" un certain devenir. Enfin, il reste une troisième catégorie qui n'appartient pas directement aux deux premières. C'est "la poésie", qui est une catégorie à part, et qui mérite une partie spécifique.

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[1] B. Balázs écrit : (...) "L'irrationnel peut être associé par la suggestion du montage", op. cit., pp. 162 ; 166 ; "Fondu formel", (…) "Cette valise qui se balance dans le filet (dans Narkose ) s'enchaîne en fondu sur un enfant en maillot qui se balance dans un filet.- On sent une relation irrationnelle, une corrélation de signification, sans qu'on puisse l'interpréter…", 175 ; "L'image est représentation pure, irrationnelle", 210. F. Cesarman, op. cit., p. 33 ; (…) "La psychanalyse est une théorie qui se propose d'expliquer l'irrationnel de façon rationnelle…", 37 ; 45 ; 64 ; 171. J. Donner, (…) "Bergman pensait que l'adaptation cinématographique d'une œuvre littéraire tue la plupart du temps la dimension irrationnelle de l'œuvre", op. cit., pp. 13 ; 126. [2] Françoise Bonardel, L'Irrationnel, P.U.F. Paris, 1996. [3] Définition du Grand Dictionnaire Encyclopédique Larousse : "Etat d'incertitude, d'irrésolution ou de crainte qui retarde le moment d'une action, d'une décision." p. 5253. [4] F.Khodoss, article, "Irrationnel", dans Notions philosophiques, P.U.F. Paris, 1993. 2. 2 – 4. Poésie et prophétie

Commençons d'abord par un constat. Dans l'antiquité grecque, les particuliers ou les membres d'une cité consultaient la pythie de Delphes, soit pour poser des questions d'ordre privé, mariage, achat de propriété, voyage, etc., soit pour poser des questions d'ordre public ; par exemple, aucune cité grecque ne partait en guerre sans une consultation préalable de l'oracle de Delphes. A la question posée, les prêtres de Delphes : […] "recueillaient les paroles incohérentes, entrecoupées d'exclamations et de convulsions de la pythie, et les interprétaient au mieux de la situation; puis ils rédigeaient l'oracle en vers. On n'admit la prose qu'à l'époque romaine." [1] D'autre part, comme pour William Blake nous voyons un rapport entre la poétique et le prophétique[2] et nous espérons le démontrer. On peut en effet rapporter l'idée du poète au cinéma: (…)" N'était l'Esprit Poétique ou Prophétique, l'Esprit philosophique et Expérimental en arriverait bientôt à la rationalisation de toutes choses, et resterait immobile, incapable de faire rien d'autre que de décrire toujours le même cercle monotone".[3] La poésie se situe toujours dans un absolu, qui joue paradoxalement avec des contraires relatifs. C'est une union étrange et troublante de deux ou de plusieurs contraires, une alliance antithétique. [4]

Il en est ainsi du cinéma d'Andreï Tarkovski qui nous offre des citations et des images poétiques abondantes. Il s'inscrit presque toujours dans une logique prophétique, comme une mission à accomplir. Comme par exemple, la mission d'Andreï Roublev ou du poète invisible dans Le Miroir, celle du Stalker ou du poète Andreï Gortchakov dans Nostalgia. Dans ces écrits, il cite Pouchkine "qui investissait le poète du rôle de prophète." [5] Dans le même livre, il y a un chapitre entier intitulé: "Prédestination et Destin". Toutefois, il ne parle pas de la poésie comme d'un genre. Mais bien plutôt comme une vision du monde: "Une façon particulière d'aborder la réalité." [6] Deux choses intéressent Andreï Tarkovski : […] "La liaison et la logique poétique au cinéma. (…) Les liaisons poétiques apportent davantage d'émotion et rendent le spectateur plus actif, il peut participer à une authentique découverte de la vie." [7] Ce qui nous semble pertinent dans cette conception du cinéma, c'est que la réalisation et le développement filmique s'effectuent presque exclusivement à partir de l'image cinématographique, et non pas comme nous pouvons le constater couramment, à partir de l'histoire du film. D'ailleurs ce n'est principalement qu'à partir de ce constat majeur, "la primauté de l'image sur l'histoire", que nous pouvons parler d'un cinéma poétique.

Le cinéma avant d'être une histoire est une succession d'images, et c'est de là que surgit la poétique de sa représentation. Dès son origine, dès ses premiers films, le cinéma présentait des images, des images "muettes". Et ces images étaient déjà de la poésie. Mais est-ce que la poésie des frères Lumière était une prophétie ? Nous pouvons en partie répondre par l'affirmative. Par exemple, dans La sortie des usines (1895), nous voyons une foule qui sort d'une grande usine sombre à travers d'énormes portes. Elle accède à la lumière et à la joie et nous pouvons y voir le signe avant-coureur des grandes transformations du siècle : transformation politique avec la réduction considérable du temps de travail ; transformation technique avec l'apparition et le remplacement des hommes par les robots. [8] D'autre part, nous ne pouvons pas non plus négliger le titre du film, La sortie des usines, qui suggère en substance nos constatations: la fin des usines. Dans un film, tout est à prendre en considération, son titre [9] en premier. Il en sera également de même avec le film de Georges Méliès, Le voyage dans la lune (1902) qui n'a pas besoin de commentaire. La liste risque d'être relativement longue. Bien entendu, cette interprétation risque d'être réductrice voire excessive. Mais elle indique de ce fait la visée de notre objectif. Nous avons mis ces exemples en avant, pour montrer qu'une image porte en elle des germes de l'avenir. La cinémancie est une étude qui va mettre en lumière l'évolution de ces germes. Toutefois il nous reste encore à parler d'une notion ambiguë est incontournable, il s'agit du "symbole".

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[1]Nouveau Larousse Illustré, article "oracle". [2] Cf. thèse (non publiée) de doctorat en médecine de Brigitte Lascazes, Voyances et prophéties, 1983, Université de Bordeaux II. Internet : http://psiland.free.fr/savoirplus/theses/theses.html [3] William Blake, "tome III" , traduction de Pierre Leyris, Editions Aubier/Flammarion, Paris, p.46-47. […] "If it were not for the Poetic or Prophetic character the Philosophic & Experimental would soon be at the ratio of all things, & stand still, unable to do other than repeat the same dull round over again" (There is no Natural Religion). [4]Dans le registre de la fabrication filmique, nous ne pouvons pas nous empêcher de penser à Paul Valéry quand il propose le terme "poïétique", selon son étymologie, "le faire", le poiein, c'est : […] "tout ce qui a trait à la création et à la composition d'ouvrages dont le langage est à la fois la substance et le moyen – et point au sens restreint de recueil de règles ou de préceptes esthétiques concernant la poésie." Paul Valéry, Introduction à la poétique, Editions Gallimard, Paris, 1938, p. 13. Cf. également sur ce point, René Passeron, Pour une philosophie de la création, Editions Klincksieck, Paris, 1988. Et, sous la direction de René Passeron, Recherches Poïétiques, Editions Klincksieck, 4 tomes, 1975 – 1985. [5] Andreï Tarkovski, Le Temps Scellé, op. cit., p. 37. [6]Op. cit., p. 23 [7]Op. cit., p. 22 [8]Comme le sera plus tard Temps Modernes (1936) de Charles Chaplin. (2) Cf. M. Estève, op. cit., p. 47. 2. 2 – 5. Symbole du signe ou signe du symbole

En conclusion de son livre "L'Imagination symbolique", Gilbert Durand écrit : […] "Chaque fois que l'on aborde le symbole et les problèmes du symbolisme et de son déchiffrement l'on se trouve en présence d'une ambiguïté fondamentale".[1] En effet, il inaugure son livre en supposant qu'il y a une "extrême dévaluation qu'a subi l'imagination, la "phantasia" dans la pensée de l'Occident et de l'antiquité classique. Quoi qu'il en soit, "image", "signe", "allegorie", "symbole", "emblême", "parabole", "mythe", "figure", "icône", "idole", etc., sont utilisés indifféremment l'un pour l'autre par la plupart des auteurs".[2] De son côté, Umberto Eco tente de construire un article sur le "signe" idéal : […] "à partir des différentes acceptions énumérées par quatre grand témoin : le Grand Robert (11 acceptions) ; le grand Larousse de la langue française (11 acceptions) ; le "Lexis" chez Larousse (7 acceptions) ; et le Littré (15 acceptions)." [3] Alors, que faire face à cette "inflation" du terme "signe" qui traduit "tout" et n'importe quoi. ? Quel terme choisir et par rapport à quelle définition ? La question est délicate et complexe. [4] Toutefois, nous nous situons d'une part sur les conclusions de G. Durand, une classification selon une double herméneutiques, "les unes réductrices, "archéologiques", les autres instauratives, amplificatrices et "eschatologiques".[5] Le symbole est "l'épiphanie d'un mystère".[6] D'autre part, comme le formule Paul Ricoeur, [7] (…)"tout symbole authentique possède trois dimensions concrètes ; il est à la fois "cosmique" (c'est-à-dire puise à pleins mains sa figuration dans le monde bien visible qui nous entoure), "onirique" (c'est-à-dire s'enracine dans les souvenirs, les gestes qui émergent dans nos rêves et constituent comme Freud l'a bien montré la pâte très concrète de notre biographie la plus intime), enfin "poétique", c'est-à-dire que le symbole fait aussi appel au langage, et au langage le plus jaillissant, donc le plus concret." [8]

Du reste, nous concluons sur une remarque importante, elle concerne le rapport entre le symbole et la cinémancie. En effet, un symbole est a-temporel ou a-chronologique ; en revanche un "objet cinémantique" est strictement temporel, puisqu'il est ponctuel et n'a lieu, en principe, qu'une seule fois.

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[1]Editions P.U.F. (1964), 1993, p. 115. [2]op. cit., p. 6. [3]Le Signe, Editions Labor, 1980, p. 18. [4] Cf. J. Mitry, tome 1, op. cit., p. 119 ; §. 28, pp. 120-134 ; 347 ; 408 ; tome 2, §. 50. "Signe concret", p. 21 ; Signe-gestalt, pp. 135 ; 202. G. Deleuze, tome 1, op. cit., p. 101. C. Metz, tome 2, op. cit., pp. 16-17. I. Lotman, op. cit., pp. 58 ; 63. [5]Op. cit., p. 115. [6]Op. cit., p. 13. [7]Finitude et culpabilité II, La symbolique du mal. [8] Gilbert Durand, op. cit., p. 13. Cf. sur le symbole, Tzvetan Todorov, Théories du symbole, Editions du Seuil, 1977 ; Sur le symbolique, Guy Rosolato, Essais sur le symbolique, Editions Gallimard, 1969. Nous formulons à propos de ce volume les critiques de G. Durand à propos de Freud : […] "Toutes les images, tous les fantasmes, tous les symboles se réduisent à des allusions imagées des organes sexuels mâle et femelle."( Op. cit., p. 45.) 3 – Les fruits d'un film : le futur

Les fruits d'un film constituent la convergence et la prolongation des deux premières structures de "l'arbre cinémantique". En effet, "le tronc d'un film" nous permet de mettre à plat et de dégager les différentes facettes d'un film donné. Il s'agira de décrire les différents aspects matériels des constituants filmiques : c'est une mise en situation spatio-temporelle, avec une exploration des relations cinémantiques. Ces relations sont en fait soit intra-personnelle, comme par exemple dans Novecento la relation du cheval blanc par rapport à Ada ; soit extra-personnelle, les relations du cheval (par rapport) au reste de la communauté. "Les racines d'un film" permettent soit par "association", soit par "amplification" d'effectuer "une consultation du patrimoine imaginaire de l'humanité",[1] sur tous les objets cinémantiques que nous rencontrons. Il s'agit de prendre en considération les interprétations des représentations en question. C'est une analyse à l'appui des images, qui nous permet d'accéder aux couches profondes des structures anthropologiques, c'est à dire aux "couches inconscientes" des objets cinémantiques.

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[1]Certes, le projet est ambitieux, mais il est le principe de base de notre projet d'un site web, il sera effectué avec l'appui de différents partenaires (société de production de film, université, institution privée). La réponse cinémantique

A l'appui des deux grandes structures que nous venons de citer, les fruits d'un film vont nous permettre de mettre en relief le mécanisme de la formation de l'image filmique qui passe souvent, de près ou de loin, par un "circuit cinémantique". De plus, nous devons distinguer deux niveaux d'articulation. Le premier niveau concerne l'élaboration technique du film, c'est-à-dire la réalisation filmique avec ses principales phases, à savoir : le scénario, le repérage, le tournage, le découpage et le montage. A cet effet, nous allons nous appuyer simultanément sur les écrits et les films du réalisateur. Il faut dire que le cas d'Andreï Tarkovski est, comme nous allons le voir, exceptionnel et original. Il va nous offrir de ce fait des exemples qui vont nous permettre de voir ces aspects particuliers, des "aspects extra-filmiques" sur le film en gestation. Le second niveau correspond au niveau de la composition filmique. C'est par ordre décroissant : les épisodes, les parties, les séquences, les plans, les images et enfin les objets d'un film. En effet, comme nous l'avons dit, "les actes cinémantiques" sont souvent la révélation de signes avant-coureurs, un "before shadowing", - et c'est dans ce sens qu'ils sont divinatoires. Ils se manifestent souvent à l'appui de trois éléments de base : 1. "L'Objet cinémantique"[1] (la forme ou la figure). Nous avons dit que ce qui distingue un objet quelconque d'un "objet cinémantique", c'est que ce dernier subit une transformation. Il y a donc toujours un changement dans son état, dans sa situation. Il se plie, il s'éparpille, il se durcit, il s'étale, etc. Les verbes actifs qui définissent un "objet cinémantique" sont un critère de sa localisation, de sa disposition, de sa structure. Mais l'objet ne vit pas seul. Il est toujours inscrit dans le cadre d'une disposition et d'une constellation d'autres objets, à ce moment-là, nous parlons de : 2. "L'Image cinémantique"[2] (le fond). C'est l'instant où Boris trébuche ou les différentes circonstances de la séquence du cheval blanc. Ces instants représentent l'objet cinémantique (le cheval blanc ou la poudre) inclut dans un dispositif complexe (espace, temps, lumière, climat) qui détermine une image filmique particulière, spécifique et singulière. Elle représente par conséquent, de la part du protagoniste, une manifestation d'un "état d'incidence paroxystique", d'un état psychologique intense, inattendu, imprévu. Les moments 1. et 2. nous livrent : 3. "La Réponse cinémantique"[3], qui est toujours une réponse-image. Elle se manifeste sur la base d'éléments plastiques formels et tactiles. D'autres fois elle prend appui sur la base d'éléments auditifs. (Une réponse-son.) En fait, nous considérons "la réponse cinémantique" comme une hypothèse de travail. Ainsi, l'un des objectifs les plus importants de notre étude devient la validation de l'hypothèse de la réponse cinémantique. En effet, il nous semble que cette hypothèse est pertinente, et que c'est une piste attirante qui va nous permettre de dégager plusieurs éléments à prendre en considération. Elle est une forme imagée du domaine de la prospective, et nous pensons pouvoir rapporter le concept de la prospective dans la cinémancie.

Si nous ouvrons les dictionnaires, nous avons les définitions suivantes : Prospective : "Ensemble de recherches concernant l'évolution future de l'humanité et permettant de dégager des éléments de prévisions." (Robert) [4] ; Prospect : "Manière de regarder un objet" (Littré) ; Prospicere : Le verbe latin qui est la racine commune des termes: "Regarder au loin ou de loin". Par ailleurs, comme la cinémancie, la prospective [5] s'intéresse aux sciences de l'homme. D'une part sur une longue durée : l'événement, la série, l'aléa, la discontinuité, la régularité. D'autre part, elle s'intéresse à la causalité : l'inconnaissable, l'imprévisible, l'incertitude. De plus, ce que nous devons retenir de la prospective, c'est qu'elle essaye de dégager des : "faits porteurs d'avenir." Cela rejoint en quelque sorte la cinémancie, avec les "signes avant-coureurs". La prospective cinématographique consiste donc à, […] "Inventorier, classer, dégager des jeux réciproques, rejoindre des régulants." (A.-C. Decouflè.) En définitive, la réponse cinémantique s'intéresse introspectivement aux questions de l'anticipation téléologique de la finitude et donc du prospectif. Car, d'une part, il y a toujours une inscription dans le triple temps : le passé, le présent et le futur, et d'autre part, elle est toujours en mouvement.

En conclusion de nos propos, nous illustrons l'ensemble de notre "méthode de l'arbre cinémantique" à travers deux planches.

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[1] Que nous proposerons d'appeler ultérieurement "l'Obmancie". [2] Que nous proposerons d'appeler ultérieurement "l'Imancie". [3] Que nous proposerons d'appeler ultérieurement "La Rémancie", dans la logique de notre démarche, il va de soi de proposer encore: La question cinémantique, "La Quémancie". [4] Qui rappelle le sens du mot au XVIé siècle: Optique, ensemble des procédés permettant de voir mieux au loin. [5] Cf. André-Clément Decouflé, La Prospective, P.U.F. Paris, 1972. 4 – Illustration de la méthode de l'arbre cinémantique

Cette méthode nous permet d'installer non pas un seul plan d'analyse, mais trois niveaux distincts, différenciés. Mieux encore, ces trois plans sont dédoublés. En effet, schématiquement parlant, nous devons tout d'abord distinguer et considérer sous un "titre filmographique", (Cf. Figure 1. ) l'ensemble d'un film comme étant "le tronc d'un arbre". Le tronc nous offre à son niveau supérieur des "branches" qui projettent vers le ciel "les fruits" de la substance de l'arbre. Et à son niveau inférieur, le tronc plonge dans la terre, avec des "racines" profondes, pour d'une part, puiser dans le sol sa "nourriture" ; et d'autre part, pour servir de "base et d'appui" invisible à l'arbre. Sous un "titre cinématographique", (Cf. Figure 2. ) le tronc de l'arbre, c'est "le présent", c'est "l'univers du réalisateur" ; "le passé", "l'univers filmique" ; le futur, "l'univers du spectateur". Ainsi, une grande part de la complexité de la question cinémantique provient entre autre, comme nous le verrons, du facteur de l'idiosyncrasie, du tempé-rament propre de chaque individu. Et enfin sous un "titre temporel", (Cf. Figure 3. ) qui résume la grande problématique de la cinémancie. En effet, le tronc de l'arbre évolue "en futur", les branches et les racines représentent simultanément et paradoxalement, "le passé et le présent".

Les arbres cinémantique Synthèse générale de la méthode de l'arbre cinémantique : Synthèse générale de la Méthode de l'Arbre Cinémantique.

Figure 4. Synthèse générale de la Méthode de l'Arbre Cinémantique. La lecture s'effectue de bas en haut. ( * ) : Autres pôles. Il s'agit de l'Esotérisme, avec ses trois grands axes : l'alchimie, l'astrologie et la magie que nous aborderons rarement.

  1. La chambre claire, Editions de l'Etoile, Gallimard, Le Seuil, Paris, 1980, p. 60.
  2. Andreï Tarkovski, Le Temps Scellé, op. cit., p. 112.