Pays de la Violence (Le)
Aspects techniques du film
- Titre : Le pays de la violence
- Réalisation : Frankenheimer John
- Année de réalisation : 1970
- Titre original : I walk the line
- Pays : USA
- 95 minutes, couleur
- Langue : Anglais
- Production : Cohen Harold D. et Lewis Edward
- Scénario : Sargent Alvin, d’après la nouvelle de Jones Madison
- Directeur Photographie : Walsh David M.
- Décors : March Marvin
- Costumes : Brown Lewis
- Son : Overton Tom, Piantadosi Arthur
- Musique : Cash Johnny
Principaux acteurs
- Gregory Peck : Shérif Tawes
- Tuesday Weld : Alma McCain
- Estelle Parsons : Ellen Haney
- Lonny Chapman : Bascomb
- Charles Durning : Hunnicutt (adjoint au shérif)
- Nora Denney : Darlene Hunnicutt
- Ralph Meeker : Carl McCain
- Freddie McCloud : Buddy McCain
- Jeff Dalton : Clay McCain
Résumé du film
Henry Tawes (Gregory Peck)[1], la cinquantaine passée, est le shérif d’une petite ville du Tennessee (centre est des Etats-Unis). C’est un homme honnête et bon. Un jour, il rencontre une jolie jeune femme, Alma McCain (Tuesday Weld), qui pourrait être sa fille. Le père d’Alma tient une distillerie clandestine, c’est la seule ressource de la famille. Alma, transformé en « Lolita », séduira le sérieux shérif afin qu’il « ferme les yeux » sur l’activité illégale de son père. Le shérif ne résistera pas longtemps aux charmes irrésistibles de la jeune fille, il va finir par succomber à cette douce folie amoureuse, non seulement en protégent son père, mais aussi en décidant d’enlever sa fille, de quitter sa femme et son travail.
Introduction
Le titre du film : Le Pays de Violence
Jamais titre de film n’a porté si mal son nom (il n’est pas le seul). Le titre original, en anglais est : I walk the line, littéralement, « Je marche la ligne », qu’on peut traduire par « Je marche droit ». Or, un grand écart se creuse entre les deux titres qui présentent le film de deux manières différentes. Sans entrer dans les détails, le titre en français compromet le film et ira jusqu’à le corrompre en négligeant un élément central du « procès narratif » [2] : la ligne.
Il est vrai que la fin du film bascule dans la violence, en particulier, quand l’adjoint au shérif, Hunnicutt tuera le chien noir, le gardien d’Alma, afin de la violer, il sera à son tour tué par le père d’Alma. Et encore une fois, le bon shérif viendra au secours de la famille McCain.
Les valeurs de la « ligne »
Mais le film ne baigne pas dans la violence, elle reste ponctuelle, de l’ordre de quelques secondes. Et justement ce qui est intéressant à observer c’est les moments qui précèdent cette explosion de violence, car les moments forts du film se déroulent physiquement, plastiquement, géographiquement et spatialement, sur une « ligne », comme par exemple, une route départemental (Alma qui autorise son jeune frère à conduire une voiture), un petit chemin de campagne (le premier baiser du couple Alma-shérif Henry), un pont suspendu et une échelle (la découverte de la distillerie), une petite rivière (le shérif qui se débarrasse du corps de Hunnicutt).
Dans un sens élémentaire et laconique, Euclide définissait une ligne comme étant : « une longueur sans largeur. » [3]
C’est un élément naturel ou artificiel qui a une forme continue longitudinal ou filiforme. Au cinéma et en particulier dans le film I walk on the line, cette forme particulière va acquérir une dimension particulière, elle aura une part active et déterminante dans la composition des plans filmiques. Comment ? Par la simple action de diviser la surface du plan, la plupart du temps, la division est horizontale, mais aussi en diagonale, comme le premier plan du film (Cf. Photogramme - 1. )
Ainsi, dans un sens élargit et métaphorique la ligne va nous conduire à la question de limite, de frontière, de séparation, à la confrontation de deux espaces, de deux mondes. Elle va rythmer les espaces, installer des confrontations, comme nous pouvons le voir au photogramme 2.
Découpage du film en chapitres simplifiés
0h 00’ 00’’ – Générique : Un barrage de sentiment
Photogramme 1. Premier plan du film. 00h 00' 06" : L’ouverture du film est révélatrice, d’emblée elle présente un paysage fluvial transformé par un barrage hydroélectrique qui « bouche » le fond de l’image, qui barre le paysage d’un trait (une ligne) monumental en ciment. Face à cette contradiction, la nature s’exprime d’une manière différente : les arbres poussent dans l’eau, mais ils n’ont pas de feuilles, est-ce un paysage d’automne ? Les arbres vivent dans l’eau, mais ils ont l’air desséchés, comme l’est peut-être le shérif, en hors-champ, qui observe les alentours. Il est pensif, songeur. On l’appelle sur la ligne interne du véhicule de service. Il ne répond pas. Il entre dans le véhicule, il démarre et roule à vive allure.
Photogramme 2. 01' 03" : Aussitôt, nous nous retrouvons sur le gigantesque barrage du fond de l’image précédente. Une division en diagonale : à gauche l’eau, et à droite, les contreforts du barrage. L’image est impressionnante, elle semble suggérer, l’état provisoire des principaux protagonistes : est-ce que l’eau suggère la personnalité d’Alma qui va finir par déborder sur les contreforts, la force naturelle de Henry ?
Photogramme 3. 01' 25" : Plan général, de profil, du véhicule du shérif. Apparaît en surimpression, le titre en français : Le Pays de la Violence.
Durant le parcours sinueux du shérif, nous allons découvrir des plans qui représentent un panorama de la population rurale de la ville, des portraits instantanés, principalement des personnes âgées assissent, qui prennent le frais, sous les toits des vérandas. Ce qui est frappant dans ces portraits, c’est un caractère dominant de stoïcisme, de résignation. En fait, les regards de ces personnes âgées est comparable à celui du shérif quand il était près de l’eau.
Cependant Frankenheimer ponctue sa présentation par des images d’enfants qui jouent, à « dépasser des limites », à fumer une vraie cigarette. Ainsi, le répertoire des représentations de la « ligne » s’épaissit et déborde dans d’autres cadres, nous venons de la sorte, de traverser des lignes biologiques, des lignes générationnelles, ou encore des lignes interdites (la cigarette).
Photogramme 4. 02' 49" : Pourtant le réalisateur semble insister sur le côté « abandonné », « obscur » de la société, le shérif traverse une casse d’épaves de voitures alignées et rouillées.
0h 03’ 40’’ – Alma et Buddy « jouent » avec une camionnette
À un virage, une vieille camionnette déboule d’une manière inquiétante, en dépassant largement les limites réservées à sa trajectoire, la voiture enjambe un talus, revient sur la route. La conduite est dangereuse. Nous devinons aisément que le conducteur ne sait pas conduire.
Soulignons au passage, encore un franchissement de limite, de ligne.
Photogramme 5. 03' 46" : Gros plan sur le conducteur et son coéquipier. Il s’agit du jeune Buddy et de sa sœur Alma, son aînée. Buddy est fou de joie de conduire une vraie voiture. Sa sœur lui demande d’aller plus vite.
A cet instant précis, le shérif en embuscade, voit passer la conduite bizarre de la « camionnette ivre » et immédiatement se lance à sa poursuite.
Photogramme 6. 04' 30" : L’enfant est pris de panique, la camionnette s’enfonce dans un près, aussitôt Buddy sort du véhicule, sans s’inquiéter de sa sœur, et prend la fuite. Le shérif s’arrête sur le bas-côté, il observe la scène.
Il sort de sa voiture de fonction et se dirige calmement, vers la camionnette, la contourne, s’approche de la porte du conducteur.
Photogramme 7. 04' 52" : Alma est tapie au fond du véhicule, elle a l’air craintive. Le shérif s’incline légèrement à l’intérieure de la camionnette et demande : «
- Ca va ?
- Oui, shérif.
- Sortez de là.
- Bien, shérif.
- C’est qui dans les taillis ?
- Hein !
- Quelqu’un s’est échappé.
- Ça c’est Buddy. Mais c’est qu’un gamin.
(…) (Elle raconte l'incident des chaussures de crocodiles de grande taille.)
- Votre nom ?
- Alma McCain. (Cf. Photogramme - 8. 05' 55")
- Où habitez-vous ?
- Gatesboro Road. On est arrivés récemment. Avant, on était à Loomis Canyon.(Cf. Photogramme - 9.)
- Qui ça, « on » ?
- Mon père, Buddy, Clay et moi. Clay a presque 18 ans. Mais ils sont pas à la maison, ils bossent.
- Où ça ?
- A l’usine. Mais c’est du travail quand même. Ca fait rentrer de l’argent, c’est bien. (Elle sourit. Henri est dubitatif. )
- C’est très bien (Elle sort de la camionnette.)
- Ils sont chez Kingman. Ils fabriquent des cafetières.
- Et votre mère ?
- J’en ai pas. Je fais la cuisine et je m’occupe de Buddy.
- Moi, je vous dis ce que j’ai vu : c’était un petit garçon qui conduisait. Et vous êtes pas un petit garçon à ce que je sache. (Elle rit.)
- Non, shérif. (Temps de silence prolongé.) N’arrêtez pas Buddy. Je suis responsable de lui. Il est encore petit. (Elle lui prend le chapeau de Buddy des mains. (Cf. Photogramme - 10. 07' 17") Je vous en serais vraiment reconnaissante.
- Montez. (Cf. Photogramme - 11. 05' 55")
- Dites à votre père que le shérif Tawes a dit : que les gens qui conduisent doivent avoir leur permis…
- Entendu shérif. Je vous remercie infiniment.
- Et dites aussi à votre frère de mettre des chaussures à sa taille.
- Oui shérif.
0h 08’ 51’’ – La famille du shérif Henry Tawes
Photogramme 12. 08' 53" : Le soir. Plan moyen sur le dîner de la famille du shérif Henry Tawes, il est de dos. Au fond, une porte ouverte sur la cuisine, avec une ampoule ronde et brillante qui illumine la pièce : est-ce une allusion à Alma ? Comme une petite lueur qui va s’épanouir et envahir tout son espace.
Photogramme 13. 09' 46" : Gros plan du visage du shérif, perdu un long moment dans sa pensée. Il pense peut-être au « petit interrogatoire » impromptu, qu’il a fait subir à Alma, il a pu savoir beaucoup de choses : son nom, le travail de son père, elle n’a plus de mère, mais deux frères, ils habitent à Gatesboro Road, avant ils étaient à Loomis Canyon. (Cf. Photogramme - 9. ) Et puis, elle lui a raconté des histoires amusantes, des histoires de clown, son petit frère qui portait des grandes chaussures de crocodile, le chapeau percé de Buddy. En bref, Alma n’est pas une personne commune.
Le sourcil gauche suggérant la forme d’un accent circonflexe est un trait anatomique singulier de Gregory Pech, star des années 60. Cette particularité remarquable contribue à amplifier un indicateur sensible d’une poussée d’une tension indéfinie. En fait, ce gros plan annonce la grande séquence de la seconde rencontre du shérif et d'Alma au commissariat qu'on verra deux chapitres plus loin.
0h 10’ 08’’ – La famille d’Alma McCain
Au même moment, dans un autre côté de la ville, plan général de nuit, de la maison des McCain. A l’intérieur la famille est réunie, Buddy est absent. Après « l’interrogatoire » du shérif, Alma subit, à présent, « l’interrogatoire » de son père Carl. Il veut connaître les détails de sa rencontre avec le shérif.
Le grand frère d’Alma, Clay, suit la conversation de près, en allumant une cigarette. Alma, l’air innocente, répond aux questions de son père, tout en préparant le dîner. Le père : «
- On est mieux ici, pas vrai ? On est tous mieux ici, hein ? … Alors, redis-moi. Qu’est-ce qu’il t’a dit ?
- Il m’a demandé mon nom.
- Et tu lui as dit ?
- J’ai juste dit Alma McCain. (Cf. Photogramme – 14. 10' 19" )
- Et qu’est-ce qu’il a répondu exactement ?
- Il a demandé ce que tu faisais.
- Et qu’est-ce que t’as dit ?
- J’ai dit que tu faisais. Que tu fabriquais des cafetières.
- Tu as parlé de Georgie ?
- J’ai rien dit sur Georgie.
(…) ( A propos du sucre et de la distillerie…)
- Il t’a touchée ?
- Hein
- Est-ce qu’il t’a touchée ?
- Non.
- (Jeff intervient) : Il devait en avoir envie.
- Le Père : Il en avait envie ?
- Alma : Je sais pas. »
Photogramme 15. 12' 05" : Plan intéressant : un mur divise la pièce en deux, le père et le fils avancent de part et d’autre du mur. Le père reste dubitatif : « Si on perd ce qu’on a… Si on nous prend notre distillerie, on aura plus rien. On vaudra pas plus que des Nègres. »
0h 12’ 25’’ – Commissariat 1 – Rencontre avec Hunnicutt
Le jour. Le shérif entre dans le bâtiment. Les couloirs sont animés par la discussion de nombreuses personnes. Le shérif prend un dossier à un bureau, il salue des personnes au passage et se dirige vers son bureau.
Photogramme 16. 12' 57" : Première rencontre avec le sergent Hunnicutt, il est assis au fond, les pieds sur la table. Au premier plan, la secrétaire du shérif qui vient de recevoir une plainte de Mme Wesson, (car le vieux Linton a pété les plombs – la séquence de l’arbre abattu.)
Photogramme 17. 13' 06" : Non seulement Hunnicutt a les pieds sur la table, signe évident d’irrespect du lieu qu’il représente ; il est en fonction et il s’amuse à regarder une revue de charme féminine, à manger des gâteaux et à boire un soda.
C’est du grand art, le réalisateur brosse le personnage en quelques « traits ».
Photogramme 18. 13' 35" : Le shérif s’installe à son bureau, il commence à consulter des dossiers. Hunnicutt, les pieds toujours sur la table, lui annonce sournoisement, l’air narquois, en mangeant un gâteau : « Shérif… J’allais oublier, il y a un agent fédéral en ville. (Le shérif répond sans le regarder.)
- Il est venu ici. (Cf. Photogramme - 19. 13' 39")
- Non. Il a parlé à Kelly. C’est Kelly qui l’a flairé et qui m’a dit qu’il y avait un agent fédéral en ville.
- Laissons-le. Il va pas tarder à se manifester. »
Si l’on compare les bureaux des deux hommes de la loi, nous pouvons relever des indices pertinents. Le bureau du shérif est compatible avec sa fonction : des crayons, un microphone (contact et intervention avec l’extérieur – la voix su shérif peut porter loin), une multitude de dossier et de fichier, de différents formats, une tasse de café, une agrafeuse, enfin, le chapeau sur la table indique que l’un pose sa « tête » (sa partie supérieure) sur la table, tandis que l’autre pose son « pied » (sa partie inférieure). En revanche, le bureau de Hunnicutt ressemble plutôt au bureau d’un adolescent, désordonné et négligé.
0h 14’ 03’’ – Alma se transforme en “Lolita”
C’est le soir. Alma marche dans une rue obscure et déserte. Elle se dirige vers le commissariat. Elle monte le petit escalier. Elle pénètre à l’intérieur.
Photogramme 20. 14' 27" : Elle ferme la porte derrière elle. À présent nous la voyons mieux. Les cheveux repris en chignon, une jolie robe au large col, un petit sac à la main. Elle est méconnaissable.
Les couloirs sont déserts. Elle marche lentement. Elle entend de loin une personne au téléphone, c'est le shérif, il est dans son bureau. À un moment, il raccroche, il éteint la lumière, il sort de son bureau. Alma se cache derrière un mur. Il passe à côté d’elle, il ne la remarque pas. Il monte un escalier.
Photogramme 21. 15' 06" : Tout à coup, une voix l’interpelle, celle de sa pensée d’hier soir : « Shérif. » Ce dernier se retourne brusquement. Il croit rêver. Il regarde en direction de la voix. Elle est là, devant lui.
Photogramme 22. 15' 08" : Elle avance vers lui, et se présente : «
- Alma McCain. De Gatboro… (Le shérif a l’impression de voir une « apparition ». Il est médusé. Il n’arrive pas à parler, comme s’il la voyait pour la première fois. Alma enchaîne.) La camionnette qui a quitté la route… (Le shérif acquiesce en hochant de la tête.) Eh… Clay et moi, on est descendus pour aller au drive-in… Je lui ai dit que je voulais voir le shérif personnellement pour le remercier de pas avoir arrêté Buddy… Il m’a dit de me grouiller et j’ai dit que je voulais pas. Alors, il s’est mis en colère. Et il est parti sans moi. »
Photogramme 23. 15' 08" : Le shérif n’a toujours pas bougé. Il est figé comme une statue. Son regard devient grave. Les traits sont durs. Il n’est pas insensible. Il doit lutter. Comment réagir ?
Alma continue son monologue, comme une leçon bien apprise, comme s’il fallait l’enivrer de sa douce voix, presque enfantine, qui va se transformer en chant de sirène : « Il (Clay) est parti d’un seul coup… Il avait peur d’être en retard. (Alma baisse la tête, comme si elle ne voulait pas voir la transformation progressive du shérif à son égard, sachant (par expérience ?) l'effet qu'elle peut produire sur les hommes. Le shérif finit par dire quelques mots.)
- C’est pas des choses à faire.
- Clay, il a vraiment un sale caractère… Il travaille avec papa à l’usine.
- Les cafetières.
- C’est ça, les cafetières. (Temps de silence.) Je voudrais pas vous déranger. Je voulais juste vous dire que j’ai apprécié… (C’est la troisième fois qu’elle remercie le shérif.) ce que vous avez fait pour Buddy. C’est tout ce que j’avais à dire… Je vous retiens pas. (Elle tourne le dos pour partir.)
- Non... Vous me retenez pas. (Elle le regarde sans rien dire.) Ça va. (Second temps de silence. )
- Vous voulez un soda ? (Dr Pepper.)
- D’accord.»
0h 16’ 52’’ – Le shérif montre le tribunal à Alma – La bouteille de Dr. Pepper
Photogramme 24. 16' 35" : Plan moyen, le shérif et Alma devant un distributeur de boisson. Ils commencent par boire à la bouteille. Le shérif demande à Alma : «
- Vous avez déjà vu un tribunal ?
- Non, shérif. » (Ils entrent dans le tribunal. Le shérif met la lumière. Il commence par expliquer.)
- Il a brûlé en 1928. Mais il a été reconstruit. (Il se dirige au fond du tribunal, vers la tribune et la table du juge.) (Cf. Photogramme - 25. 17' 07")
- Maintenant, il est comme neuf.
- Ça l’a jamais été, non… Il y a plein de sièges… (en donnant une petite sur la table.) Là, c’est où le juge s’assied. (Cf. Photogramme - 26. 17' 19") (en montrant de la main) Le drapeau américain…
- Ça, je sais. Je sais reconnaître le drapeau.
- (Le shérif commence à sourire.) Évidemment, vous savez le reconnaître.
- J’ai prêté serment devant le drapeau. Mais jamais devant un drapeau aussi gros. »
Nous arrivons alors, à la séquence qui a retenu toute notre attention et qui nous a interpellé jusqu’au point à vouloir considérer ce film attentivement. La séquence en question commence au moment où Alma boit « de travers » et des bulles de soda lui remonte au nez. Il faut d’abord constater que cet acte involontaire (boire de travers) surgit, immédiatement après la fin de sa phrase, à propos du drapeau : « J’ai prêté serment devant le drapeau. » A peine, elle termine la phrase, elle boit de la bouteille et elle commence à toussoter, comme si c’était une réponse de la part de la bouteille, un bouillonnement gazeux qui déborde. Cet acte involontaire semble traduire un mensonge : «
- Mince, ça m’est remonté dans le nez. (Cf. Photogramme - 27. 17' 43")(Le shérif avance vers elle en riant, c’est la première fois qu’on le voit rire, et puis, il sort de la poche de poitrine de sa veste un mouchoir.)
- Ça va ? (En rigolant.)
- Ça pique. (En rigolant.)
- C’est les bulles du soda. (Dr Pepper) (Il lui passe son mouchoir.) (Cf. Photogramme - 28. 17' 49")
- Sûrement. (Elle s’essuie avec le mouchoir du shérif.) (Cf. Photogramme - 29. 17' 51")
- Ça va mieux ?
- Merci.» (Elle lui rend son mouchoir. Le shérif reprend le mouchoir et le dépose dans la poche de sa veste.) (Cf. Photogramme - 30. 17' 59")
Alma boit de la bouteille, le shérif baisse les yeux pour la seconde fois, la première fois, c’était devant le distributeur. À chaque fois le shérif détournait son regard devant cette attitude suggestive et troublante.
Un long moment de silence. Comme si Alma attendait une réaction du shérif. (Cf. Photogramme - 31. 18' 08") Le shérif hésite : «
- Hum ! Vous êtes coincée ici puisque votre frère est parti. (Alma acquiesce en hochant de la tête.)
- Il est parti comme ça…
- Il va revenir ?
- Connaissant Clay, après le drive-in, il va aller se saouler et il oubliera tout jusqu’à demain matin. C’est typique de Clay. » (C'est un mensonge, puisque Clay est à la distillerie avec son père. Elle regarde le shérif dans les yeux. Le shérif tient son regard quelques instants mais il ne dit rien, il se déplace à droite en faisant quelques pas.) Alma qui constate que le silence s’installe, elle continue : « Ce serait pas sur votre chemin, par hasard ? »
Le seconde d’après, ils sont en voiture et roulent dans une nuit noire.
0h 18’ 57’’ – Le shérif ramène Alma chez elle – premier baiser
Le couple est silencieux. À un moment, Alma sort un petit transistor (une petite radio) et essaye de tirer un son en le secouant et en donnant quelques petits coup : « Ca marche plus très bien. (Cf. Photogramme - 32. 19' 18")
- C’est ça, le problème. Les piles s’usent avant la fin de la chanson. (Alma éteint la radio. Long temps de silence.)
- Vous pouvez tourner au prochain buisson. (La voiture tourne.) Vous pouvez vous arrêter là si vous voulez.
- (Le shérif arrête la voiture.) La route continue pas ? (Elle hoche la tête, et regarde droit devant elle.) (Cf. Photogramme - 33. 20' 01")
- Ça va aller.
- Écoutez-moi… J’avais pas d’arrière-pensée.
- Ça va aller.»
Le shérif allonge sa main pour l’enlacer. Elle s’approche de lui et l’embrasse.(Cf. Photogramme - 34. 20' 34")
0h 20’ 49’’ – La distillerie clandestine McCain
La fille McCain s’engage dans un amour clandestin, le père alimente une distillerie clandestine.
Photogramme 35. 20' 49" : Dans une cave, la famille d’Alma s’active énergiquement autour d’un grand alambic nourrit par un grand feu. Il y a des bonbonnes d’alcool un peu partout. Il fait très chaud, le père est torse nu. Nous entendons en voix-off, un chien aboyé, ensuite quelqu’un qui parle : « C’est moi. » Alma ouvre une trappe, plan en contre-plongée, Alma regarde longtemps son père dans les yeux sans dire un seul mot. Mais les regards en disent longs. (Cf. Photogramme - 36. 21' 25")
0h 21’ 32’’ – Le shérif chez lui – 1
Photogramme 37. 22' 02" : Le shérif fait sa toilette, dans la salle de bain, la porte est entrouverte sur la chambre à coucher. Le shérif, comme Narcisse, se regarde dans le miroir de sa salle de bain. Il coiffe des mèches de cheveux qui tombent. Est-ce qu’il cherche à être coquet ? Sa femme est dans le lit, mais elle ne dort pas. Elle a l’air soucieuse. Elle parle à travers la porte : «
- Un certain M. Bascomb [4] a appelé. Tu l’as eu ? Il a essayé au bureau mais tu n’y étais pas.
- J’ai dû intervenir, y avait du grabuge à Horsepike. Des gamins de Sutton.
- Il a dit qu’il appellerait demain. (Le shérif se coiffe devant le miroir, il veut être coquet. Il sort de la salle de bain, sa femme continue à lui poser des questions)
- Qui c’est ?
- Un inspecteur des fraudes.
- Pour le whisky ?
- Hum !
- (En voix-off. La caméra continue à cadrer le shérif.) Je croyais que seuls les Denton avaient encore une distillerie. Pourquoi il les embêtent ? Ils font de mal à personne. (Le shérif range ses habits.) A moins qu’il y ait des nouveaux…»
Cut.[5]
0h 22’ 44’’ – L’inspecteur fédéral Bascomb
Photogramme 38. 23' 36" : Un homme moustachu, en costume cravate, parle au shérif : «
- Quand vous aurez un peu de temps, Washington a demandé que vous établissiez une liste de tous les contrevenants. (Hunnicutt est très attentif aux propos de Bascomb.) Les gens que vous avez chopés, ou ceux sur qui pesaient des soupçons. Dressez une liste exhaustive, des gens de Polderaine, Loomis Canyon, Finchberg. (…)
- Hunnicutt : Pour maintenant ?
- Bascomb : Non, c’est pas à la minute. Je repasserai dans quelques jours.
- Hunnicutt : Je vous fais une liste pendant que j’y pense. Elsie notez.
- Bascomb : Monsieur… ?
- Hunnicutt : Hunnicutt.
- Bascomb : M. Hunnicutt, faut pas donner l’impression à ceux des hautes sphères que notre tâche est facile. Prenez votre temps. (Il passe devant le shérif, il lui serre la main, le shérif évite de le regarder.)
- Shérif : On va se mettre au boulot.
- Bascomb : Il se passe pas grand-chose dans le coin, hein ? Le coiffeur m’a dit qu’il fallait aller à Sutton pour trouver de l’ambiance, le soir. (…)
- Shérif : Vous trouverez rien de bien fascinant dans le coin.
- Bascomb : Ouais, j’imagine.
- Shérif : Certains ici essaient de survivre en distillant de l’alcool. Ils font de mal à personne. S’il leur arrive d’en vendre, c’est pour pas passer leur temps à se tourner les pouces.»
0h 24’ 32’’ – L’enquête du shérif
24' 32" Le shérif traverse à pieds un petit pont en bois qui enjambe une rivière. Il visite une vieille maison délabrée, c’est la maison des McCain, il n’y avait personne. Il s’engage dans un petit sentier. Ensuite, il emprunte un pont suspendu avec des cordes.(Cf. Photogramme - 39. 25' 28")
Au bout du pont se dresse une bâtisse encombré de végétation. Le shérif essaye d’ouvrir la porte principale, elle est fermée, il contourne la bâtisse. Il trouve une autre porte, elle est ouverte, il entre dans ce qui ressemble à un vieux moulin. Il remarque une trappe, il l’ouvre, il descend une petite échelle. (Cf. Photogramme - 40. 27' 26") Gros plan du shérif, les traits sur son visage se creusent. (Cf. Photogramme - 41. 27' 30") Il comprend qu’il vient de découvrir la distillerie clandestine de McCain. Il entend un chien aboyé. Alma n’est donc pas loin. Le chien s'arrête devant la trappe ouverte et continue à aboyer sur le shérif. Le shérif reste sur l’échelle. Une personne, Alma, appelle le chien : « Au pied ! »
Le shérif sort de la cave, il regarde Alma avec fureur. Il ne dit rien, c’est encore elle qui parle : «
- Ils savent pas que je suis venue vous voir. (C’est un mensonge, puisqu’elle lui avait dit qu’elle était avec Clay au drive-in. Elle ne sait plus quoi dire.)
- (Il s’approche d’elle, et lui dit sur un ton autoritaire.) Dites-leur de tout débarrasser.
- Je suis venue vous voir de mon plein gré.
- Débarrassez tout ça et vite.
Le shérif sort très furieux, elle le poursuit :
- Je vous jure que ça n’avait aucun rapport. Je vous écrirai.
- Non. (Il retourne sur le pont suspendu.)
- Je vous ferai savoir quand vous pourrez revenir.
- Ne faites pas ça. Vous entendez ? »
Alma regarde le shérif sans comprendre. Le shérif lui dit encore : « Prenez surtout pas ce risque. » (Cf. Photogramme - 42. 27' 30")
Le frère d’Alma Buddy sort de derrière des buissons (il était donc témoin de toute la scène) : « On va avoir des problèmes, Alma ?
- Je sais pas, Buddy. »
Cut.
0h 28’ 53’’ – La page arrachée du registre
Photogramme 43. 28' 53" : Gros plan de la main du shérif qui ouvre un coffre métallique en faisant tourner le code d'une combinaison. Il sort un grand livre du genre registre. Il s’installe à son bureau et commence à consulter le registre. Est-ce le registre des arrivées dans la comté, comme l’a prétendu Alma ?Il arrive à la page McCain. (Cf. Photogramme - 44. 29' 21") Il boit un verre de whisky. Il déchire la page.(Cf. Photogramme - 45. 29' 38")
29' 43" : Au même moment, en face du commissariat, Hunnicutt est en civile dans une salle de jeux où l’on joue au billard, il mange des pop-corn. Mais d’une nature fouineuse, il monte de la cave de la salle de jeux, pour observer le shérif qui est encore dans son bureau. Il continue à manger ses pop-corn pour voir que le shérif sort de son bureau, monte dans sa voiture, et part.
0h 30’ 53’’ – Le shérif chez lui - 2
De retour, le shérif passe voir son père qui est assis paisiblement dans une véranda vitrée qui ressemble à une cage en verre. Le shérif derrière la porte vitrée de la véranda sourit à son père : « T’es pas couché ? (Cf. Photogramme - 46. 31' 19")
- Ils ont coupé l’arbre du vieux Linton.
- Oui, je sais.
- Il essayait de se raccrocher à quelque chose.
- C’était pas son arbre.
- J’ai eu vision. Je dormais. Le chien a aboyé et je me suis réveillé. Les filles vont revenir. Ta mère aussi. On ira pêcher tous ensemble.
- D’accord, papa.
- Le chien aboie. La campagne est en feu. Je reste assis. J’entends tes sœurs. Elles vont revenir, je le sais.
- C’est possible, papa. (Il se déplace vers la porte d’entrée de la maison.) tarde pas à aller te coucher.»
32' 09" : La femme du shérif est couchée dans le lit, comme l’autre nuit : «
- T’as finis ta paperasserie ?
- (Le shérif, les mains croisées derrière la tête.) Oui.
- T’as l’air crevé…»
Cut.
0h 33’ 04’’ – Commissariat 2 – L'attente de la lettre
Une autre journée commence. Elsie, la secrétaire pose le courrier du matin sur la table. Hunnicutt regarde le registre des noms : « Ils sont tous sur la liste. Ou presque. Cullen. J’ai pensé à Cullen. Deux condamnations. Mais il a 87 balais. (Le shérif s’approche du courrier du jour, et le consulte, l’air de rien, de la main gauche.) (Cf. Photogramme - 47. 34' 22") Dans ce satané comté, y a que des dinosaures.
- Elsie : Tout ici date de l’époque des dinosaures. (Gros plan sur Hunnicutt qui regarde la manœuvre du shérif, son regard on dit long, comme on le saura plus loin.) (Cf. Photogramme - 48. 34' 37") Avant que j’oublie, la tente pour la chorale religieuse… Assurez-vous qu’il y ait pas trop de chaises.»
0h 34’ 41’’ – Le mot « perdu »
Dans une nuit noire, une tente géante est illuminée avec des guirlandes alignées. Une ligne en pointillée.(Cf. Photogramme - 49. 34' 42")
De l'autre côté de la ville, le shérif attend devant la maison des McCain. Il est hésitant. Il avance très doucement. Il entre dans la maison. Personne. Il monte des escaliers. (Cf. Photogramme - 50. 34' 58")Alma l'attendait, elle est toute souriante : «
- Merci d'être venu. Ils sont tous partis... pour un petit bout de temps... (Elle se jette sur lui.) Je suis contente de vous voir.
- (Le shérif est heureux, il marmonne des sons incompréhensibles.) Il fallait que je te voie. J'en avais trop envie... J'attendais de tes nouvelles.
- Je te l'avais dit.
- (Il la porte.) Je pouvais plus attendre.
- Je savais qu'on se retrouverait.
- (Ils s'embrassent longuement.) (Cf. Photogramme - 51. 35' 37") C'est pas mieux comme ça ?
- Maintenant, si.
- J'ai cru que je me ferais choper... Il y avait du monde.
- « Choper » ?
- Près de votre voiture... Vous l'avez pas trouvé ?
- De quoi tu parles ?
- De mon mot. Je l'ai mis dans votre voiture. (Cf. Photogramme - 52. 36' 13")
- Qu'est-ce que tu dis ?
- Votre voiture, près de la tente. J'y suis allée avec Buddy. (Le shérif est perplexe, il détourne le visage, vers le sol.) Vous êtes pas allé à la tente ?
- Ca disait quoi ?
- Votre voiture...
- (Sur un ton autoritaire. Le shérif n'est plus souriant.) Ton mot, qu'est-ce qu'il disait ?
- Je vous demandais de venir ce soir.
- C'est tout ? (Elle acquiesce en hochant la tête.) Tu avais mis ton nom ?
- Non.
- Tu es sûre ?
- Oui.
- Tu disais où je devais venir ?
- (Elle se lève du lit, agacée.) J'ai juste mis : “Venez ce soir.” C'était pas votre voiture, alors ?
- Oh.
- Mais si, je l'ai vue.
- Et le mot ? Où l'as-tu mis, dans la voiture ? Précisément.
- Je suis pas sûre... Sur le tableau de bord... J'ai fait vite. Je voulais que vous le trouviez. (Le shérif commence à réaliser la grande méprise.) C'était la voiture de qui ?
- De mon adjoint. (Il se cache les yeux avec la main droite.)
- (Elle revient vers le shérif, rassurante.)Il peut rien faire, il sait rien. Ca aurait pu être n'importe qui. (Le shérif se lève.) Je suis vraiment désolée.
- Je peux peut-être le récupérer.
- Oui. Il ne l'a peut-être pas vu... Ce serait bien, hein ? (Il descend les escaliers, furieux. Il s'arrête, il remonte vers elle dans une grande précipitation. Alma a eu peur. Elle recule.) Je veux pas te faire de mal. Jamais je te ferai du mal. »
Il l'embrasse fougueusement, et sort précipitamment de la maison. Une camionnette était stationnée, un chien aboie, il s'arrête un moment et puis, continue son chemin. Les McCain descendent de la camionnette. Ils entrent dans la maison. Le père demande à sa fille : « Pourquoi il est parti ?
- Clay : Alma l'a fait fuir.
- Le Père : Pourquoi est-ce qu'il est parti ? (Cf. Photogramme - 53. 38' 49")
- Alma : C'est pas dans sa voiture que j'ai mis le mot. » (Il la gifle.)
0h 39’ 01’’ – A la recherche du mot introuvable – Ombre et lumière
Photogramme 54. 39' 01" : Gros plan d'un phare de voiture qui diffuse une lumière aveuglante, insoutenable et asymétrique, comme l'est peut-être dans l'esprit du shérif.
C'est encore un plan virtuose de la part de Frankenheimer, puisqu'il nous semble que ce plan donne tout son poids aux plans avec les minuscules ampoules que nous avons rencontré finalement avec indifférence, mais assez souvent, comme aux photogrammes :
- 12, 08' 53" ;
- 15, 12' 05" ;
- 21, 15' 04" ;
- 23, 15' 38" ;
- 25, 17' 07" ;
- 30, 17' 59" ;
- 31, 18' 08" ;
- 35, 20' 49" ;
- 46, 31' 19" ;
- 50, 34' 58".
Alma est de loin ou de près concernée par cet éclairage, elle devient le dénominateur commun qui semble relier les scènes citées, jusqu'à cette scène, où la lumière devient insupportable.
C'est l'un des deux phares de la voiture du shérif, il se rend au domicile de son adjoint.
Il éteint les lumières. Il ferme la portière de la voiture sans faire du bruit. Il tient dans la main une lampe torche. Il avance à pas de loup. Il se dirige vers la voiture de son adjoint. Il essaye d'ouvrir la portière côté passager. Elle est fermée. Il regarde à travers le pare-brise, c'est trop sombre. Dans le prolongement de la voiture, au fond, une maison avec une silhouette qui se déplace devant une fenêtre encore éclairée. (Cf. Photogramme - 55. 40' 24") L'adjoint Hunnicutt, surveille sa voiture en mangeant un sandwich. Sa femme à l'air agacée : « Tu veux pas arrêter de tourner en rond ? » Il éteint la lumière. Sa femme continue à le harceler : « Imbécile ! A manger dans le noir, tu vas t'en foutre partout... La mayonnaise va dégouliner sur ton pantalon... Qu'est-ce que tu regardes ? Qu'est-ce qu'il y a à voir ? C'est tout toi, ça. Regarder dans le noir. Imbécile. (Cf. Photogramme - 56. 41' 18")
- Va te faire cuire un œuf.
- Demain.»
0h 41’ 26’’ – Le lendemain, chez les McCain
Photogramme 57. 41' 26" : Plan moyen, à travers le pare-brise fêlé de la camionnette des McCain. Le shérif avance, avec à ses côtés, le chien d'Alma. Le chien n'a pas aboyé. On peut dire qu'à présent le shérif fait presque “partie” de la famille. C'est très simplement, mais avec grande virtuosité que Frankenheimer cadre le shérif, à travers le pare-brise fêlée de la camionnette. Comme si à présent, il y a une résonance entre le shérif et la “vieille” camionnette. Le shérif devient, littéralement, une fêlure du pare-brise. Il est hésitant, il n'est plus sûre. Il est craintif. Il n'est plus entier. (Cf. Photogramme - 58. 41' 37")
Une radio diffuse de la musique country. A travers la porte vitrée le père aperçoit le shérif. Il demande à son fils Buddy, d'ouvrir la porte. Sans préliminaires, le père demande : « Vous avez trouvé le mot ?
- Non.
- L'agent fédéral, il a quitté la ville ?
- Il va revenir.
- Mais il est parti. C'est déjà ça, non ?
- (Sur un ton excédé.) Il va revenir.»
Le père se lève de la table, suivit par ses deux garçons et sortent de la maison. Le shérif le poursuit : « : McCain ! Jetez tout votre matériel dans la rivière. Vous avez deux jours, OK ?
- On va essayer.
- (Il parle en hurlant et en pointant son doigt.) Commencez tout de suite. Et je ne plaisante pas. (Cf. Photogramme - 59. 43' 18") Vous avez rien contre moi. Je nierai tout.
- Je sais. J'ai jamais dit qu'on avait quoi que ce soit. Si on se fait prendre, ce sera pas votre faute. Merci de nous laisser nous retourner, de nous laisser du temps. Quelles que soient vos raisons. (Il demande aux enfants de monter dans la camionnette, et il avance vers le shérif.) Tawes. Vous savez, on fait rien de bien méchant.
- Avec l'agent fédéral, y a pas le choix.
- Il est obligé de savoir ?
- Tôt ou tard, il sera au courant.
- On prend le risque. Après tout, vous avez pas le mauvais rôle. Vous n'avez que le bon côté. Chacun y trouve son compte.» (Cf. Photogramme - 60. 44' 07")
Le père monte dans la camionnette et le shérif entre dans la maison en claquant la porte.
Cut.
0h 44’ 46’’ – Quatrième rencontre avec Alma
Le shérif fait ses courses en ville, il a les bras chargés de sacs à commissions.
Sans transition, le shérif est assis sur un vieux tronc, au bord de la rivière, comme au début du film. Il a l'air d'attendre quelqu'un. Alma apparaît à travers un petit bois. Le shérif est heureux, il se précipite pour la rejoindre. Alma lui dit : « Je t'ai fait attendre. Je suis désolée. » Le shérif l'embrasse avec passion.
0h 45’ 39’’ – Le shérif chez lui - 3
C'est la nuit. Le shérif est sur la véranda, perdu encore une fois, dans ses pensées. Sa femme sort de la maison, elle propose au grand-père d'aller au lit, et puis elle avance près de son mari : « Dans un monde où la mort existe, on croirait que la haine n'a pas sa place... C'est ce que je croyais quand on s'est mariés, quand on était heureux. Je croyais à ce genre de choses. J'ai dû lire ça quelque part. (Cf. Photogramme - 61. 46' 02") Tu te souviens du tourbillon de folie qu'on a vécu ? Ellen Haney t'avait mis le grappin dessus... Dans les revues que je lis, on dit que les gens se connaissant pas vraiment... Même quand on est mari est femme... Je comprends qu'on ait droit à son petit jardin secret. Les gens qui s'aiment ne peuvent pas prétendre tout savoir l'un de l'autre. Tu es d'accord ?
- J'imagine... Seuls les ennemis peuvent prétendre ça. » (Cf. Photogramme - 62. 46' 24")
Le shérif tourne le dos, sans parler davantage, il entre dans la maison, sans faire attention à son père qui était resté tout ce temps, dans la véranda vitrée. (Cf. Photogramme - 63. 47' 10") Mais sa femme le poursuit, ayant compris le sens de sa dernière phrase : « Ah oui, effectivement... Henry... Ce que tu viens de dire est très significatif. “seuls les ennemis prétendent connaître quelqu'un par cœur.” (Ils sont dans la cuisine.) Tu vois la facilité d'esprit que tu as ? (Le shérif se sert un verre de bière.) (Cf. Photogramme - 64. 47' 42")Je sais que tu pourrais briguer un poste plus important si tu en avais envie. Et je resterais à tes côtés si c'est ce que tu souhaites... (Le shérif sort de la cuisine.) C'est pas parce qu'on ne se connaît pas qu'on ne peut pas s'aider, pas vrai ? Je ferais n'importe quoi pour toi.» (Il monte les escaliers sans répondre.)
La suite est en préparation
Notes et références
- ↑ 5 avril 1916 – 12 juin 2003
- ↑ Pour reprendre le mot d’André Gardies, L’Espace au cinéma, op. cit., p. 90.
- ↑ 300 av. J.-C., Éléments : Livre 1er - Définitions, Postulats, et Notions Communes, (Anglais : A line is breadthless length. ) - Grec ancien : Στοιχεια ; prononciation : Stoikheía ; traduction française : éléments. (Source : Wikipédia)
- ↑ C’est l’inspecteur fédéral.
- ↑ De l'anglais, couper, dans le langage cinématographique, c'est une une transition instantanée à une nouvelle scène, un nouveau plan.