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<span id="ancre_1">'''Le cheval blanc dans Novecento (1976) de B. Bertolucci'''</span> | <span id="ancre_1">'''Le cheval blanc dans Novecento (1976) de B. Bertolucci'''</span> | ||
Novecento est un "film fleuve". Les films fleuve sont toujours cinémantiques, par le fait qu'ils s'installent sur un temps long. Dans Novecento le temps s'étale sur cinquante années ou presque de 1900 à 1945. Dans le deuxième acte du film, nous assistons au mariage d'Alfredo Berlingieri avec Ada. Toute la famille est réunie, il ne manque que l'oncle préféré d'Alfredo et l'ami d'Ada, l'oncle Otavio. Il vient avec du retard. Il entre dans le grand salon avec un beau cheval blanc. (Cf. '''Photogramme 1'''.) | Novecento est un "film fleuve". Les films fleuve sont toujours cinémantiques, par le fait qu'ils s'installent sur un temps long. Dans Novecento le temps s'étale sur cinquante années ou presque de 1900 à 1945. Dans le deuxième acte du film, nous assistons au mariage d'Alfredo Berlingieri avec Ada. Toute la famille est réunie, il ne manque que l'oncle préféré d'Alfredo et l'ami d'Ada, l'oncle Otavio. Il vient avec du retard. Il entre dans le grand salon avec un beau [[cheval]] blanc. (Cf. '''Photogramme 1'''.) | ||
[[Fichier:chevalp2.jpg|200px|thumb|left|'''Photogramme 1'''. [[1900|Novecento]], [[Bertolucci Bernardo|B. Bertolucci]] :Le cheval blanc dans le salon des Berlingieri.]] | [[Fichier:chevalp2.jpg|200px|thumb|left|'''Photogramme 1'''. [[1900|Novecento]], [[Bertolucci Bernardo|B. Bertolucci]] :Le cheval blanc dans le salon des Berlingieri.]] | ||
Ada, heureuse de ce présent, monte en amazone sur le cheval dans le salon. Soulignons la place incongrue qu'il occupe… dans un salon. L'animal est considéré par les riches propriétaires comme un objet d'admiration, comme une statue. Alfredo ouvre les deux battants des portes qui donnent sur le parc, il dispose au tour des épaules d'Ada la cape noire de l'oncle Otavio. A partir de ce moment, un destin tragique et sanglant va s'abattre sur presque toute la communauté du domaine Berlingieri. Tout d'abord, avant sa chevauchée dans les bois, Ada ne propose pas à son mari de venir avec elle. Elle se promène toute seule, en laissant son mari à la maison ; sur son chemin elle tombe dans le grand filet d'Olmo (Cf. '''Photogramme – 2'''.), ami d'enfance d'Alfredo. Ada et Olmo vont entrer tous les deux réunis sur le cheval, ce qui annonce le début d'une idylle. | Ada, heureuse de ce présent, monte en amazone sur le cheval dans le salon. Soulignons la place incongrue qu'il occupe… dans un salon. L'[[animal]] est considéré par les riches propriétaires comme un [[objet]] d'admiration, comme une statue. Alfredo ouvre les deux battants des [[Porte|portes]] qui donnent sur le parc, il dispose au tour des épaules d'Ada la [[cape]] noire de l'oncle Otavio. A partir de ce moment, un destin tragique et sanglant va s'abattre sur presque toute la communauté du domaine Berlingieri. Tout d'abord, avant sa chevauchée dans les bois, Ada ne propose pas à son mari de venir avec elle. Elle se promène toute seule, en laissant son mari à la maison ; sur son chemin elle tombe dans le grand filet d'Olmo (Cf. '''Photogramme – 2'''.), ami d'enfance d'Alfredo. Ada et Olmo vont entrer tous les deux réunis sur le cheval, ce qui annonce le début d'une idylle. | ||
[[Fichier:chevalp3.jpg|200px|thumb|left|'''Photogramme 2'''. [[1900|Novecento]], [[Bertolucci Bernardo|B. Bertolucci]] : Ada et la cape noire prise dans le grand filet d'Olmo.]] | [[Fichier:chevalp3.jpg|200px|thumb|left|'''Photogramme 2'''. [[1900|Novecento]], [[Bertolucci Bernardo|B. Bertolucci]] : Ada et la cape noire prise dans le grand filet d'Olmo.]] | ||
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<span id="ancre_crua"></span>Entre temps, en pleine fête de mariage se déroule, le drame cruel du jeune Patrizio, violé par l'impitoyable fasciste Attila, intendant du domaine Berlingieri et par Regina non moins cruelle, la maîtresse d'Attila. Attila et Regina ne vont pas se contenter de violer Patrizio, mais ils vont aussi le tuer. De plus, Attila va accuser Olmo, le communiste, de cet acte barbare. Olmo sera battu à mort par les "chemises noires". Alfredo impuissant regarde son ami se faire battre sans intervenir. Ce n'est qu'après l'intervention d'un "idiot rôdant", qui avoue avoir commis le crime, qu'on cessa de battre l'innocent Olmo. Après cet acte tyrannique, Otavio le républicain jura de ne plus revenir dans cette "maison". Ada qui avait supplié Alfredo à maintes reprises de congédier Attila, se réfugia dans l'alcool et n'avait plus confiance en Alfredo. | <span id="ancre_crua"></span>Entre temps, en pleine fête de mariage se déroule, le drame cruel du jeune Patrizio, violé par l'impitoyable fasciste Attila, intendant du domaine Berlingieri et par Regina non moins cruelle, la maîtresse d'Attila. Attila et Regina ne vont pas se contenter de violer Patrizio, mais ils vont aussi le tuer. De plus, Attila va accuser Olmo, le communiste, de cet acte barbare. Olmo sera battu à mort par les "chemises noires". Alfredo impuissant regarde son ami se faire battre sans intervenir. Ce n'est qu'après l'intervention d'un "idiot rôdant", qui avoue avoir commis le crime, qu'on cessa de battre l'innocent Olmo. Après cet acte tyrannique, Otavio le républicain jura de ne plus revenir dans cette "maison". Ada qui avait supplié Alfredo à maintes reprises de congédier Attila, se réfugia dans l'alcool et n'avait plus confiance en Alfredo. | ||
Le sang de Patrizio qui a coulé le jour de mariage d'Alfredo et d'Ada, n'annonce évidemment pas les meilleurs auspices. Dès le premier jour il y a une nette séparation entre le couple. Quelques temps plus tard, après un nouveau forfait du couple féroce Attila et Regina, afin de s'approprier la villa Pioppi. Ada qui s'est souvenue du drame de Patrizio, jeta le chapeau d'Alfredo par la fenêtre de la voiture et partit en toute vitesse. L'image d'Alfredo dans la rue montre le triste avenir qui l'attend. Puisque Ada ne restera pas longtemps avec Alfredo, car un peu plus tard, elle le quittera définitivement, quand elle va apprendre qu'Olmo est recherché par Attila parce qu'il l'a humilié devant tous les siens en lui faisant manger des excréments de … cheval. Ainsi, toute la difficulté du problème est d'établir les relations entre le cheval et la suite des événements tragiques. Nous allons voir que les voies qui mènent à ces relations sont spécifiques, et nécessitent une introspection temporelle. | Le sang de Patrizio qui a coulé le jour de mariage d'Alfredo et d'Ada, n'annonce évidemment pas les meilleurs auspices. Dès le premier jour il y a une nette séparation entre le couple. Quelques temps plus tard, après un nouveau forfait du couple féroce Attila et Regina, afin de s'approprier la villa Pioppi. Ada qui s'est souvenue du drame de Patrizio, jeta le chapeau d'Alfredo par la fenêtre de la voiture et partit en toute vitesse. L'image d'Alfredo dans la rue montre le triste avenir qui l'attend. Puisque Ada ne restera pas longtemps avec Alfredo, car un peu plus tard, elle le quittera définitivement, quand elle va apprendre qu'Olmo est recherché par Attila parce qu'il l'a humilié devant tous les siens en lui faisant manger des [[Excrément|excréments]] de … [[cheval]]. Ainsi, toute la difficulté du problème est d'établir les relations entre le cheval et la suite des événements tragiques. Nous allons voir que les voies qui mènent à ces relations sont spécifiques, et nécessitent une introspection temporelle. | ||
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===Les structures du présent=== | ===Les structures du présent=== | ||
Que faut-il retenir du point de vue cinémantique ? Le présent filmique montre à la fois, l'état des choses, et les différents états de leur changement. Il décrit le mouvement de cette transformation. Comme nous allons le voir au cours de notre étude, chaque détail a une fonction. Il nous livre au fur et à mesure un certain type de réponse, une certaine combinaison. Une réponse par l'image, une réponse imagée. Ainsi, avec le présent d'une image filmique, nous avons un certain nombre de données inhérentes au personnage, que nous devons dégager. Toutefois, ce qui est bouleversant, c'est que l'image filmique est toujours fuyante.<ref>J. Esptein écrit : (…) "Plus on regarde les images plus elles changent." Op. cit., p. 55. Cf. également, J. Mitry, tome 1, op. cit., p. 129 ; 147 ; section II. L'image filmique, pp. 165-255 ; tome 2, op. cit., pp. 9 ; 413.</ref> Il y a toujours un "plus" dans l'image, elle propose toujours autre chose. Nous n'avons pas pu nous empêcher de les prendre en considération ou au moins de les signaler, car ils sont toujours des moments uniques et spéciaux, dans lesquels nous avons le sentiment qu'ils pourraient être à la base d'une découverte riche et prépondérante. Car l'image filmique procure souvent des réponses à des questions qui ne sont même pas posées. Nous avons déjà parlé de cet aspect de la cinémancie, il est à la base et à l'origine de notre recherche. Il s'agit en fait, de la notion dynamique d'un "work in progress", "un travail en progrès", qui se situe à un double niveau. Le premier niveau concerne l'exploration de l'évolution humaine à l'intérieur des images filmiques, puisque la cinémancie s'intéresse à la raison qui implique tel plan singulier, annonciateur de tel autre plan. Le second niveau concerne la place de ces plans dans le "tout" du film. Il s'agit du lien ou de la liaison entre les figures. Le terme lien exprime un agent de liaison ou de relation soit par métonymie soit par analogie.<ref>Cf. Jacques Aumont, L'Analogie réenvisagée (divagation), in Christian Metz et la théorie du cinéma, Iris n° 10, spécial avril 1990, Editions Méridiens Klincksieck, pp. 49-65. Dans ce texte, l'auteur distingue trois "valeurs" du terme analogie : l"analogie empirique (défini par la perception), l'analogie idéale ou objective (contenu dans les objets eux-mêmes), l'analogie ontologique ou idéelle (renvoyant à un invisible).Voir également, E. Morin, op. cit., pp. 90 et 93 ; C. Metz, Essais… tome 1, op. cit., "Portée et limites de la notion d'analogie", pp. 113-115 : […] "Analogie, c'est-à-dire par la ressemblance perceptive du signifiant et du signifié" ; "Im-segni (Pasolini) ou Analogie iconique", pp. 208-211.</ref> Il est à la base d'une modification d'approche de la vision filmique, qui donne l'occasion d'élargir nos répertoires. Cela signifie que notre démarche s'inscrit en permanence dans des voies épistémologiques. | Quatre éléments fondamentaux entrent dans la composition du présent d'un film.<ref>Cf. '''J. Epstein''', ''[[Thèse:Bibliographie#ancre_2|op. cit.]]'', p. 107. '''G. Deleuze''', tome 1, ''[[Thèse:Bibliographie#ancre_4|op. cit.]]'' Le mystère du présent chez Dreyer et Bresson, p. 151 ; tome 2, op. cit., p. 105 ; Chapitre V. "Pointes de présent et nappes de passé." pp. 129-164. '''J. Mitry''', tome 1, ''[[Thèse:Bibliographie#ancre_4|op. cit.]]'', p. 138. '''E. Morin''', ''[[Thèse:Bibliographie#ancre_4|op. cit.]]'', chapitre V. Présence objective, pp. 121 sq. '''I. Lotman''', ''[[Thèse:Bibliographie#ancre_4|op. cit.]]'', p. 136.</ref> Tout d'abord, nous distinguons "l'espace".<ref>Cf. '''André Gardies''', ''L'Espace au cinéma'', Editions Méridiens Klincksieck, Paris, 1993. '''E. Morin''', ''[[Thèse:Bibliographie#ancre_4|op. cit.]]'', Métamorphose de l'espace, p. 69. '''J. Mitry''', tome 1, ''[[Thèse:Bibliographie#ancre_4|op. cit.]]'', p. 195 ; 251 ; modulation de l'espace, p. 398 ; tome 2, ''[[Thèse:Bibliographie#ancre_4|op. cit.]]'', Vème section : Temps espace et réel perçu, espace miniature, p. 208. §. 71. pp. 242-258 ; 388 ; 434. '''G. Deleuze''', tome 1, ''[[Thèse:Bibliographie#ancre_4|op. cit.]]'', p. 137 et 231. '''I. Lotman''', Chapitre 11. La lutte avec l'espace, op. cit., pp. 141-146.</ref> Il s'organise en fonction des besoins des protagonistes. Dans Novecento, l'espace est complexe, riche et concentré dans un grand domaine agricole. Nous pouvons diviser cet espace en trois grandes zones, une zone riche et prospère, qui correspond au milieu d'Alfredo ; une seconde zone simple et rustique, c'est le milieu d'Olmo ; et enfin, une zone intermédiaire, la nature environnante, lieu de rencontre des deux amis. Le second élément fondamental c'est "les personnages" du film. Le film trace l'évolution de deux enfants, Alfredo et Olmo nés le même jour. Ils appartiennent à deux familles différentes et diamétralement opposées. "Le temps"<ref>Cf. '''J. Epstein''', ''[[Thèse:Bibliographie#ancre_2|op. cit.]]'', pp. 139 ; 147 ; 225. '''E. Morin''', ''[[Thèse:Bibliographie#ancre_4|op. cit.]]'', pp. 63 sq. '''J. Mitry''', tome 1, ''[[Thèse:Bibliographie#ancre_4|op. cit.]]'', §. 43. Temps et espace en musique. pp. 307-312 ; tome 2, ''[[Thèse:Bibliographie#ancre_4|op. cit.]]'', V 8ème section, Temps espace et réel perçu, pp. 179-278. §. 72. pp. 259-278 ; 388 ; 434. '''A. Tarkovski''', ''Le temps scellé'', ''[[Thèse:Bibliographie#ancre_1|op. cit.]]'', p. 60. '''I. Lotman''', ''[[Thèse:Bibliographie#ancre_4|op. cit.]]'', pp. 135-140.</ref> est la colonne vertébrale de la cinémancie. Il détermine les coordonnées du film. Nous aurons à effectuer sans cesse des incursions dans un temps passé ou futur, de manière à suivre l'évolution des protagonistes ou des figures en question. Il reste enfin "[[Objet|les objets]]"<ref>Cf. '''E. Morin''', "Objets inanimés, vous avez donc une âme ?" ''[[Thèse:Bibliographie#ancre_4|Op. cit.]]'', pp. 70 ; 72 sq. ; 128 sq. ; 159 ; 160 ; les objets et les formes, pp. 163-167 ; 185. '''G. Deleuze''', tome 1, ''[[Thèse:Bibliographie#ancre_4|op. cit.]]'', p. 63 ; 180 ; 218 ; 252. Tome 2, p. 11 ; 62. '''J. Mitry''', tome 1, ''[[Thèse:Bibliographie#ancre_4|op. cit.]]'', langage d'objet, p. 146 ; les objets dans l'''Ange Bleu'', p. 240 ; objet-sujet, pp. 282-284; objet esthétique, 348 et 350 sq. objet perçu, pp. 351-352. Tome 2, op. cit., pp. 44 ; 66 ; (briquet) p. 114 ; 138 ; distinction sujet-objet, pp. 184 sq. ; 192 sq. ; 214. '''M. Estève''', ''[[Thèse:Bibliographie#ancre_2|op. cit.]]'', pp. 60-61. '''M. Mesnil''', ''[[Thèse:Bibliographie#ancre_3|op. cit.]]'', p. 47. '''I. Lotman''', pp. 51-52 ; 58-59 ; 74.</ref> ou les figures du film, qui ont une fonction considérable dans la relation entre les individus. Ils participent à l'amplification des rapports étroits qui se créent entre les personnages. | ||
Que faut-il retenir du point de vue cinémantique ? Le présent filmique montre à la fois, l'état des choses, et les différents états de leur changement. Il décrit le mouvement de cette transformation. Comme nous allons le voir au cours de notre étude, chaque détail a une fonction. Il nous livre au fur et à mesure un certain type de réponse, une certaine combinaison. Une réponse par l'image, une réponse imagée. Ainsi, avec le présent d'une image filmique, nous avons un certain nombre de données inhérentes au personnage, que nous devons dégager. Toutefois, ce qui est bouleversant, c'est que l'image filmique est toujours fuyante.<ref>J. Esptein écrit : (…) "Plus on regarde les images plus elles changent." Op. cit., p. 55. Cf. également, '''J. Mitry''', tome 1, ''[[Thèse:Bibliographie#ancre_4|op. cit.]]'', p. 129 ; 147 ; section II. L'image filmique, pp. 165-255 ; tome 2, ''[[Thèse:Bibliographie#ancre_4|op. cit.]]'', pp. 9 ; 413.</ref> Il y a toujours un "plus" dans l'image, elle propose toujours autre chose. Nous n'avons pas pu nous empêcher de les prendre en considération ou au moins de les signaler, car ils sont toujours des moments uniques et spéciaux, dans lesquels nous avons le sentiment qu'ils pourraient être à la base d'une découverte riche et prépondérante. Car l'image filmique procure souvent des réponses à des questions qui ne sont même pas posées. Nous avons déjà parlé de cet aspect de la cinémancie, il est à la base et à l'origine de notre recherche. Il s'agit en fait, de la notion dynamique d'un "work in progress", "un travail en progrès", qui se situe à un double niveau. Le premier niveau concerne l'exploration de l'évolution humaine à l'intérieur des images filmiques, puisque la cinémancie s'intéresse à la raison qui implique tel plan singulier, annonciateur de tel autre plan. Le second niveau concerne la place de ces plans dans le "tout" du film. Il s'agit du lien ou de la liaison entre les figures. Le terme lien exprime un agent de liaison ou de relation soit par métonymie soit par analogie.<ref>Cf. '''Jacques Aumont''', ''L'Analogie réenvisagée (divagation)'', in ''Christian Metz et la théorie du cinéma'', Iris n° 10, spécial avril 1990, Editions Méridiens Klincksieck, pp. 49-65. Dans ce texte, l'auteur distingue trois "valeurs" du terme analogie : l"analogie empirique (défini par la perception), l'analogie idéale ou objective (contenu dans les objets eux-mêmes), l'analogie ontologique ou idéelle (renvoyant à un invisible).Voir également, '''E. Morin''', ''[[Thèse:Bibliographie#ancre_4|op. cit.]]'', pp. 90 et 93 ; '''C. Metz''', Essais… tome 1, ''[[Thèse:Bibliographie#ancre_4|op. cit.]]'', "Portée et limites de la notion d'analogie", pp. 113-115 : […] "Analogie, c'est-à-dire par la ressemblance perceptive du signifiant et du signifié" ; "Im-segni (Pasolini) ou Analogie iconique", pp. 208-211.</ref> Il est à la base d'une modification d'approche de la vision filmique, qui donne l'occasion d'élargir nos répertoires. Cela signifie que notre démarche s'inscrit en permanence dans des voies épistémologiques. | |||
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===La question de "la réalité"=== | ===La question de "la réalité"=== | ||
Le tronc d'un film, c'est donc le présent du film. Il s'agit toujours de "la réalité d'un présent" qui défile à l'écran. A ce propos, Andreï Tarkovski disait : (...) "Je considère que le cinéma est l'art le plus réaliste, en ce sens que ses principes s'appuient sur l'identité avec la réalité, sur la fixation de la réalité dans chaque plan pris séparément. (…) Plus l'image est réaliste, plus elle est proche de la vie, plus le temps devient authentique."<ref>Andreï Tarkovski, Dossier Positif-Rivages, Collection dirigée par Gilles Ciment. Article: "L'artiste dans l'ancienne Russie et dans l'U.R.S.S. nouvelle : Entretien avec Andreï Tarkovski" par Michel Ciment, Luda et Jean Schnitzer, traduit du russe par Jean Schnitzer, Paris, 1988, p.88.</ref> La question de "la réalité filmique" est relativement importante, car elle soulève un certain nombre d'objections.<ref>Il ne nous appartient pas ici de trancher sur cette question, nous nous contentons de signaler quelques auteurs qui ont abordé la question : B Balázs, op. cit., p. 127, (…) "Tout ce que l'on voit sur l'image a d'abord existé "dans la réalité", 198 ; 203 ; 227. Jean Epstein, op. cit., pp. 309 ; 326-327 ; 381 ; 383 ; 403-408. Edgar Morin, op. cit., p. 16 ; photogénie, 21 ; l'impression de vie et de réalité, 98 ; 121-123 ; 141; 156. Jean Mitry, tome 1, op. cit., pp. 81 ; 114 ; 128 ; réalité objective, 139 ; 145 ; impression de réalité, 180 ; 390 ; réalité quelconque, 238 ; 258 ; 269-270 ; réalité sur le vif, 280. ; tome 2, réalité vraie, 37 ; 45-46 ; 60 ; conclusion sur la réalité, 84; réalité physique, 206 ; 243. Par ailleurs, nous n'avons pas confondu "la réalité" avec "le réalisme" : tome 1 : pp. 130-131, réalisme délirant, 174 ; réalisme expressionniste, 238 ; histoire des réalismes, 238, 245, 249-252 ; tome 2, 180 ; réalisme transcendantal, 181 sq. ; 313 ; 406-436. C. Metz, La signification au cinéma, tome 1, chapitre 1, "A propos de l'impression de réalité au Cinéma", op. cit., pp. 13-24 ; 30 ; 143 ; tome 2, 37. G. Deleuze, tome 1, op. cit., p. 159 ; tome 2, chapitre 2, "Récapitulation des images et des signes", pp. 38-61. R. Dadoun, op. cit., pp. 32- 33 ; 159.</ref> En ce qui nous concerne, la réalité du présent filmique est comparable à "la réalité de la vie". Ces réalités ne sont pas antinomiques pour plusieurs raisons. D'abord, s'il y avait une contradiction entre les deux, nous ne serions plus en mesure de comprendre et de savoir les significations les plus élémentaires de l'image. Nous comprenons une image parce que nous pouvons la constituer, parce que les objets dans les films, sont des objets puisés dans la réalité, parce que nous comprenons les objets constitutifs de l'image : un cheval<ref>Il s'agit de l'animal et non pas de la figure du cheval.</ref> est un cheval et rien d'autre. Il en va de même pour tous les autres objets.<ref>I. Lotman écrit : (...) "Le film est relié au monde. Il n'est compris que si le spectateur identifie à coup sûr quelles choses de la vie réelle sont signifiées par telle ou telle combinaison de taches lumineuses sur l'écran." op. cit., p. 74. C. Metz précise (…) "La compréhension totale d'un film quelconque serait impossible si nous ne portions pas en nous ce dictionnaire confus mais bien réel des "im-segni" dont parle Pasolini, (…) que la voiture de Jean Claude Brialy dans Les Cousins est une voiture "sport" avec tout ce que cela signifie dans la France du vingtième siècle, époque diégétique du film…" Op. cit., tome 1, p. 209.</ref> | Le tronc d'un film, c'est donc le présent du film. Il s'agit toujours de "la réalité d'un présent" qui défile à l'écran. A ce propos, [[Tarkovski Andreï|Andreï Tarkovski]] disait : (...) "Je considère que le cinéma est l'art le plus réaliste, en ce sens que ses principes s'appuient sur l'identité avec la réalité, sur la fixation de la réalité dans chaque plan pris séparément. (…) Plus l'image est réaliste, plus elle est proche de la vie, plus le temps devient authentique."<ref>''Andreï Tarkovski'', Dossier Positif-Rivages, Collection dirigée par Gilles Ciment. Article: "L'artiste dans l'ancienne Russie et dans l'U.R.S.S. nouvelle : Entretien avec Andreï Tarkovski" par Michel Ciment, Luda et Jean Schnitzer, traduit du russe par Jean Schnitzer, Paris, 1988, p.88.</ref> La question de "la réalité filmique" est relativement importante, car elle soulève un certain nombre d'objections.<ref>Il ne nous appartient pas ici de trancher sur cette question, nous nous contentons de signaler quelques auteurs qui ont abordé la question : '''B Balázs''', ''[[Thèse:Bibliographie#ancre_4|op. cit.]]'', p. 127, (…) "Tout ce que l'on voit sur l'image a d'abord existé "dans la réalité", 198 ; 203 ; 227. '''Jean Epstein''', ''[[Thèse:Bibliographie#ancre_4|op. cit.]]'', pp. 309 ; 326-327 ; 381 ; 383 ; 403-408. '''Edgar Morin''', ''[[Thèse:Bibliographie#ancre_4|op. cit.]]'', p. 16 ; photogénie, 21 ; l'impression de vie et de réalité, 98 ; 121-123 ; 141; 156. '''Jean Mitry''', tome 1, ''[[Thèse:Bibliographie#ancre_4|op. cit.]]'', pp. 81 ; 114 ; 128 ; réalité objective, 139 ; 145 ; impression de réalité, 180 ; 390 ; réalité quelconque, 238 ; 258 ; 269-270 ; réalité sur le vif, 280. ; tome 2, réalité vraie, 37 ; 45-46 ; 60 ; conclusion sur la réalité, 84; réalité physique, 206 ; 243. Par ailleurs, nous n'avons pas confondu "la réalité" avec "le réalisme" : tome 1 : pp. 130-131, réalisme délirant, 174 ; réalisme expressionniste, 238 ; histoire des réalismes, 238, 245, 249-252 ; tome 2, 180 ; réalisme transcendantal, 181 sq. ; 313 ; 406-436. '''C. Metz''', ''La signification au cinéma'', tome 1, chapitre 1, "A propos de l'impression de réalité au Cinéma", ''[[Thèse:Bibliographie#ancre_4|op. cit.]]'', pp. 13-24 ; 30 ; 143 ; tome 2, 37. '''G. Deleuze''', tome 1, ''[[Thèse:Bibliographie#ancre_4|op. cit.]]'', p. 159 ; tome 2, chapitre 2, "Récapitulation des images et des signes", pp. 38-61. '''R. Dadoun''', ''[[Thèse:Bibliographie#ancre_14|op. cit.]]'', pp. 32- 33 ; 159.</ref> En ce qui nous concerne, la réalité du présent filmique est comparable à "la réalité de la vie". Ces réalités ne sont pas antinomiques pour plusieurs raisons. D'abord, s'il y avait une contradiction entre les deux, nous ne serions plus en mesure de comprendre et de savoir les significations les plus élémentaires de l'image. Nous comprenons une image parce que nous pouvons la constituer, parce que les [[Objet|objets]] dans les films, sont des objets puisés dans la réalité, parce que nous comprenons les objets constitutifs de l'image : un [[cheval]]<ref>Il s'agit de l'[[animal]] et non pas de la figure du cheval.</ref> est un cheval et rien d'autre. Il en va de même pour tous les autres objets.<ref>'''I. Lotman''' écrit : (...) "Le film est relié au monde. Il n'est compris que si le spectateur identifie à coup sûr quelles choses de la vie réelle sont signifiées par telle ou telle combinaison de taches lumineuses sur l'écran." ''[[Thèse:Bibliographie#ancre_4|op. cit.]]'', p. 74. '''C. Metz''' précise (…) "La compréhension totale d'un film quelconque serait impossible si nous ne portions pas en nous ce dictionnaire confus mais bien réel des "im-segni" dont parle Pasolini, (…) que la voiture de Jean Claude Brialy dans ''Les Cousins'' est une voiture "sport" avec tout ce que cela signifie dans la France du vingtième siècle, époque diégétique du film…" ''[[Thèse:Bibliographie#ancre_4|Op. cit.]]'', tome 1, p. 209.</ref> | ||
Pier Paolo Pasolini refuse de parler d'une "impression de réalité" que donnerait le cinéma : (…) "C'est la réalité tout court."<ref>Pier Paolo Pasolini, L'expérience hérétique, Editions Payot, seconde partie du livre, p. 170.</ref> (…) Le cinéma représente la réalité à travers la réalité. Je reste toujours dans le cadre de la réalité, sans l'interrompre en fonction d'un système symbolique ou linguistique."<ref> | Pier Paolo Pasolini refuse de parler d'une "impression de réalité" que donnerait le cinéma : (…) "C'est la réalité tout court."<ref>'''Pier Paolo Pasolini''', ''L'expérience hérétique'', Editions Payot, seconde partie du livre, p. 170.</ref> (…) Le cinéma représente la réalité à travers la réalité. Je reste toujours dans le cadre de la réalité, sans l'interrompre en fonction d'un système symbolique ou linguistique."<ref>''Ibid.'', p. 199.</ref> Il en est de même dans le domaine de la littérature, chez Cervantès ou chez Marcel Proust, "l'idée qu'on se fait d'une réalité fait partie de la réalité." Ainsi, nous posons une hypothèse de travail d'un principe cinémantique : "le moindre indice filmique est un indice réel". Le plus petit détail est un témoignage d'une réalité.<ref>Robert Bresson part du réel volontairement : (…) "Je me veux et me fais aussi réaliste que possible, n'utilisant que des parties brutes prises dans la vie réelle". L'Express, 23 décembre 1959. Citée par '''Michel Estève''', ''Robert Bresson'', Editions Seghers, Paris, 1974, p. 91. Kenji Mizoguchi est encore plus radicale, Michel Mesnil écrit, qu'il y a dans ses films une : (...) "accumulation de petits faits vrais qui ne valent que par l'appui qu'ils prennent l'un sur l'autre, le naturel et la vérité de la mosaïque qu'ils créent finissant par instaurer une sorte de critique immédiate de la réalité." '''M. Mesnil''', ''Kenji Mizoguchi'', Editions Seghers, Paris, (1965), 1971, p. 30. D'autres réflexions du même ordre vont venir appuyer cette hypothèse.</ref> Ainsi le [[cheval]], la [[cape]] noire, le filet d'Olmo, dans ''[[1900|Novecento]]'', le bouffon qui mange un [[oignon]] dans [[Andreï Roublev]], le stalker qui [[Crachat|crache]] avant d'aller dans la zone dans [[Stalker]]. La cinémancie est un amplificateur de détail filmique. Cette réalité peut être une réalité reconstituée, altérée, transformée, [[Métamorphose|métamorphosée]], poétisée, etc. Elle reste cependant une réalité, comme son étymologie l'indique, "réalis" formée sur "res", "la chose". De plus, nous avons vu, comment la "réalité d'un film" déborde parfois, dans "la réalité de la vie" (l'omnibus-corbillard"). Il n'y a donc pas qu'une "certaine interaction", si nous osons dire, mais, une "interaction certaine". Ce fait (certes gênant) devient de plus en plus évident, comme en témoignent plusieurs études à ce propos.<ref>Comme par exemple, la thèse de Natacha Aubert, doctorante spécialiste de la représentation de l'antiquité dans le cinéma. Elle écrit : (…) " L'usage de l'Antiquité dans le cinéma ne se cantonne pas toujours à un rôle spectaculaire et commercial. Dans ''Cabiria'' de Pastrone, 1914, il y a sans conteste un lien entre les guerres puniques et le guerre de Libye qui oppose l'Italie à la Turquie en 1911-1912. Scipione l'Africano de C. Gallone a été considéré dès sa sortie comme une apologie du régime fasciste… Ces deux films font l'apologie des visées impérialistes de l'Italie… ''Spartacus'' (1960), produit par Kirk Douglas… a été produit au moment le plus intense de la chasse aux communistes aux USA. L'analogie entre Spartacus et Moïse renvoie à la lutte sioniste "let my people go"… Le film de J. Kawalerowisz, Faraon, Pologne 1966, fait allusion à la situation de la Pologne contemporaine..." Extraits de thèse accessible sur Internet : http://www.unine.ch/antic/cinenat.html</ref> | ||
Par ailleurs, l'image filmique établit toujours une suite, un développement, une croissance de cette réalité.<ref>Cela implique (si nous poussons notre raisonnement jusqu'à son terme) que l'image filmique a une "suite" soit intra-cinématographique, soit extra-cinématographique (souvent les deux). Cela peut également soulever des objections, mais il sera difficile de démontrer le contraire.</ref> Et, la réalité d'une image filmique n'est pas seulement objective et impartiale, elle est reproductible, elle peut être re-visualisée. Cela, nous ne pouvons pas le faire avec notre réalité passée, qui n'est plus là, et qui disparaît derrière les voiles du temps, remplacée aussitôt par d'autres "voiles", formant une opacité confuse où seule la mémoire et le souvenir sont souverains. Ainsi la caméra<ref>Cf. B. Balázs : | Par ailleurs, l'image filmique établit toujours une suite, un développement, une croissance de cette réalité.<ref>Cela implique (si nous poussons notre raisonnement jusqu'à son terme) que l'image filmique a une "suite" soit intra-cinématographique, soit extra-cinématographique (souvent les deux). Cela peut également soulever des objections, mais il sera difficile de démontrer le contraire.</ref> Et, la réalité d'une image filmique n'est pas seulement objective et impartiale, elle est reproductible, elle peut être re-visualisée. Cela, nous ne pouvons pas le faire avec notre réalité passée, qui n'est plus là, et qui disparaît derrière les voiles du temps, remplacée aussitôt par d'autres "voiles", formant une opacité confuse où seule la mémoire et le souvenir sont souverains. Ainsi la caméra<ref>Cf. '''B. Balázs''' : (...) "La caméra cherche sa matière non dans l'événement, mais dans l'apparence." ''[[Thèse:Bibliographie#ancre_4|op. cit.]]'', p. 187. '''E. Morin''', ''[[Thèse:Bibliographie#ancre_4|op. cit.]]'', p. 179. '''J. Mitry''', tome 1, ''[[Thèse:Bibliographie#ancre_4|op. cit.]]'', p. 174-175 ; 361 ; tome 2, ''[[Thèse:Bibliographie#ancre_4|op. cit.]]'', §. 50. Caméra mobile, pp. 28-34 ; 58. '''G. Deleuze''', ''[[Thèse:Bibliographie#ancre_4|op. cit.]]'', pp. 34 ; 39 ; 60. '''J. Donner''', (...) "(A propos de ''La source'') Vernon Young dans "Film Quaterly" écrit : "Ce n'est pas le mouvement de la caméra mais son emplacement dans l'espace qui détermine le style du film." ''[[Thèse:Bibliographie#ancre_3|Op. cit.]]'', p. 98.</ref> est la plus haute instance qui imprime clairement et sans obstruction la réalité d'un événement filmique. Il ne s'agit donc pas de la réalité de la fiction filmique, mais de la réalité des faits filmiques, qui eux, sont bien réels. Par exemple, ramasser un objet, s'asseoir, ouvrir une porte, une fenêtre, nous indiquent à chaque fois, et dans chaque circonstance, un certain nombre d'indices, qu'il s'agira d'observer. Enfin, montrer n'est pas démontrer. Pour cela, nous devons nous introduire dans "les racines du film". | ||
==Les racines d'un film : le passé== | ==Les racines d'un film : le passé== |