Andreï Roublev

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Photogramme : "Andreï Roublev", Plan 1. L'étrange montgolfière fabriquée à partir de diverses peaux de bêtes.


Andreï Roublev, peintre russe du XVème siècle

Aspects de la Russie au XVème siècle

La Russie au XVème siècle n'était en rien comparable à celle d'aujourd'hui. [1] L'expansion de la Moscovie entre 1340 et 1462, l'époque qui nous intéresse, n'excède pas la superficie actuelle de la France qui est actuellement égale à quelques 0,55 millions km², moins encore à l'époque d'Andreï Roublev. Les distances actuelles en Russie sont immenses. Ces chiffres extrêmes sont révélateurs, ils témoignent d'un fait majeur dans le film, à savoir que l'expansion géographique du pays est liée à une expansion artistique. Ainsi, c'est à la demande du Grand Prince de l'époque, Vassili 1er. (1389-1425) [2], que Roublev ira à Vladimir pour « décorer » la Cathédrale de Dormition. Par ailleurs, on peu noter que l'église eut un rôle déterminant dans l'expansion du pays, rôle qui fut d'ailleurs éminemment politique : (…) « L'idée du césaro-papisme, d'un système de relation où le chef de l'Etat dirige aussi l'église, passe de Constantinople à Kiev, puis à Vladimir, pour triompher à Moscou.» [3] Ivan Kalita « L'Escarcelle" transfère en 1321, le siège du métropolite de Kiev à Moscou, (…) « Où s'installe le métropolite Pierre qui prophétise avant de mourir : « Si Ivan fait bâtir une cathédrale en l'honneur de l'Assomption de la vierge, Moscou rassemblera autour d'elles toutes les terres russes.» (…) Le 4 août 1326, Ivan Kalita, ordonne d'ériger la Cathédrale de l'Assomption, première église en pierre de Moscou." [4]

Ce qui est extraordinaire dans le cours des choses, c'est que la mise en place du pouvoir croissant de l'église s'effectue durant la période du joug mongol, qui a duré plus de deux siècles, de 1223 à 1462. En voilà la raison : (…) « Les Tatars ont coutume de montrer une absolue tolérance envers les diverses religions. Ils n'empêchent aucunement la diffusion de l'orthodoxie, ne se mêlent pas de la nomination des dignitaires ecclésiastiques. Bien plus, l'église se voit dispenser de tout tribut. A l'instar des princes, les métropolites reçoivent des « iarlyks », des chartes libérant du tribut et de toute forme d'impôt l'ensemble des monastères et des paroisses. [5] (…) La moindre injure à la foi russe est punie de mort. (…) Le métropolite a, comme les princes, directement accès au « Khan ».[6] Il peut ainsi influencer sur sa politique : un mot du métropolite est à même de changer la colère du Khan en miséricorde ou l'inverse.» [7] La place privilégiée de l'église est clairement démontrée dans le film de Tarkovski. Dès le premier épisode on observe que rien ne peut se passer sans elle. Au second épisode, le moine Kyril, dénonce l'influence du bouffon. Par ailleurs, dernier point important, le début de l'expansion de l'empire russe aura comme base Moscou et sa région. C'est surtout grâce à son réseau de voies fluviales, qui étaient les principales voies de communication, que cette expansion a été possible. Cette caractéristique est présente dans le film.

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Aperçu biographique du peintre Andreï Roublev

Andreï Roublev ou Roubliov ou Saint André l'Iconographe est un moine et un grand maître d'icônes profondément russe, du XVe siècle. Il représente pour certains critiques de peintures religieuses, (…) "un sommet d'un art qui ne sera plus atteint." [8] Pour d'autres, il rappelle Cimabue et Giotto en Italie, qui, (…) « s'évadèrent des impasses dans lesquelles s'enfermaient les peintres byzantins.» Erreur de référence : Balise <ref> incorrecte : les références sans nom doivent avoir un contenu. Cependant sa biographie est en partie inconnue. Certains auteurs pensent qu'Andreï Roublev est né dans la région de Moscou, à Zagorsk; d'autres citent la ville de Pskov, à 60 Km au nord-ouest de Moscou, vers la dernière décennie du XIVème siècle [1360-1370/ 1427-1430]. Mais la plupart s'accordent à dire qu'il était moine au monastère Trinité Saint-Serge de Radonej de Zagorsk fondé vers 1340 par Serge de Radonej, (…) "qui en est l'inspirateur, sanctifié et vénéré comme un modèle de sagesse et de vertu." [9] Les principaux déplacements de Roublev s'effectueront dans un triangle : Moscou-Novgorod-Vladimir. (Cf. Figure 1. )

 
Figure 1 : Les principaux déplacements d'Andreï Ruublev.

Quatre dates sont à retenir. Elles s'accordent avec les informations livresques et le film de Tarkovski :

Dates Biographie du peintre Concordance avec le film
1400 Andreï Roublev quitte le monastère IIème épisode : Le Bouffon
1405 / 6 Il participe avec Théophane le Grec (arrivée à Novgorod en 1378) à la décoration de la Cathédrale de l'Annonciation. IIIème épisode : Théophane le Grec
1408 Il participe avec le moine Prochnor et Tcherny (Daniel dans le film) à la décoration de la cathédrale de Vladimir. IVème épisode : La Fête

Vème épisode : Le Jugement Dernier

VIème épisode : La Passion Selon Andreï
1411 Andreï Roublev peint son œuvre principale, "l'icône de la Trinité." Ou "Philoxénie d'Abraham" Le Postlogue. (Seule partie en couleur dans le film.)

Nous constatons que plus du tiers du film concerne l'année 1408, avec trois épisodes sur huit. C'est une année charnière dans la vie d'Andreï Roublev. Enfin, nous pouvons considérer Roublev comme un membre fondateur de l'esprit russe. Il a participé à la genèse de cet empire, raison pour laquelle il a été canonisé en 1988 par l'église orthodoxe russe.

Son icône la plus connue, encore largement diffusée de nos jours, est l'Icône de la Trinité." [10]

 
Image-Peinture Andreï Roublev, (1360/1370 – 1427/1430) L'Icône de la Trinité ou La philoxénie d'Abraham.

Reprenant un thème classique de l'iconographie byzantine, l'hospitalité d'Abraham, il fut le premier à faire disparaître les personnages d'Abraham et de Sarah et à concentrer l'attention sur les trois anges assis au pied du chêne de Mambré, illustration de l'harmonie trinitaire. L'icône était destinée à la laure de Trinité-saint-Serge à Sergiev Possad (renommé Zagorsk en l'honneur d'un commissaire du peuple pendant les années de régime soviétique. A aujourd'hui repris son nom antique).

Sa vie a inspiré le cinéaste russe Andreï Tarkovski, qui lui a consacré un film réalisé en 1966, sorti en 1969 : Andreï Roublev. [11]

Andreï Roublev, film d'Andreï Tarkovski (1966 - 1969)

Aspects techniques du film

Andreï Roublev :
Réalisation : Andreï Tarkovski
Année de réalisation : 1966, diffusion 1971.
Titre du scénario : La Passion selon Andreï.
URSS. 215 minutes (versions en 185 et 146 mn.) Noir et Blanc, séquence couleur.
Directrice de Production : Tamara Ogorodnikova.
Scénario : Andreï Tarkovski et Andreï Mikhalkov-Kontchalovski.
Images : Vadim Ioussov.
Décors : E. Tchernïaev.
Son : E. Zelentsova.
Musique : Viatcheslav Ovtchinnikov.
Montage : Ludmila Feganova.

Acteurs :

• Andreï Roublev : Anatoli Solonitsyne.
• Daniel Tcherny : Nikolaï Grinko.
• Kiril : Ivan Lapikov.
• Théophane le Grec : Nikolaï Sergueev.
• La sourde-muette : Irma Rauch.
• Boris : Nikolaï Bourliaev.
• Le bouffon : Rolan Bikov.
• Thomas : Mikhaïl Kononov.
• Le Grand Prince et son frère : Iouri Nazarov.
• Le fondeur de cloche : S. Kirilov.
• Le Christ : Sos Sarkissian.
• Le khan Tatar : Bolot Eichelanev.

Aspects extra-filmiques

Andreï Roublev ne sera cité qu'une seule fois dans l'index général des dix-sept années d'existence du Cahier Journal de Tarkovski (1970-1986). La raison en est simple. Le film fut entrepris en 1966 alors que la première journée du Journal est datée du 30 avril 1970, à Moscou. Pourtant, par-ci, par-là il y a des allusions qui sont loin d'être négligeables : [12]

1971

Le 1er janvier : (…) « Naoumov a raconté qu'il avait soi-disant parlé avec Demitchev [13] de Roublev et de sa sortie sur les écrans, et que celui-ci l'avait rassuré. Le film sortirait après le congrès.» (C.J. 82.) Toute une année vient de s'écouler, et le film n'est toujours pas sorti. Cela est vraisemblablement le début des hostilités des autorités sur l'œuvre de Tarkovski. La suite des événements sera de plus en plus violente, ainsi :

Le 24 avril : (…) « J'ai été voir Romanov. [14] Etaient présent : Guerassimov, [15] Bondartchouk, Koulidjanov, Baskakov, Sizov, [16] Pogojeva [17] et une personne du Comité Centrale, un mouchard envoyé par Ermach[18].» (C.J. p. 48.) Ermach n'est certainement pas étranger à la suite des événements : (…) « Encore des modifications au Roublev ! Je n'en peux plus ! Je n'ai pu me retenir et j'ai fait un petit scandale. Le pire, c'est que Sizov tient absolument à ces retouches, même si Demitchev est d'accord pour que le film sorte sans. Il faut aller voir Demitchev, s'adresser directement à la source de nos malheurs. On va voir.» (C.J. p. 50.) Tarkovski est téméraire, audacieux, courageux, combatif. Mais hélas, l'on ne sort pas de tels combats sans perdre des plumes ; comme les plumes qui tombent sur le lit du poète à la fin du film Le Miroir, au moment où le poète laisse partir un oiseau enfermé dans sa main. Mais, le meilleur est à venir. En effet, nous allons assister à un témoignage précieux, sans doute unique en son genre. [19] Nous le citons in extenso:


Liens spécifiques du film

Voir : Andreï Roublev

Notes et références

  1. A titre de comparaison, la Russie actuelle occupe à elle seule 59 pour cent de cette partie du monde (l'Asie), avec 17.075.000 km² (l'URSS, 22,4 millions km²).
  2. Fils de Dimitri Donskoï (1359-1389) qui défait les Tatars à Koulikov en 1380.
  3. Cf. Michel Heller, Histoire de la Russie et de son Empire, traduit du Russe par Anne Coldefy-Foucard, Editions Flammarion, Paris, 1997.
  4. Op. cit., pp. 108-109.
  5. Ce qui explique une expansion importante des monastères, presque une centaine.
  6. L'empereur tatar.
  7. Op. cit., pp. 98-99.
  8. Encyclopédie Universalis, Cf. article "Andreï Roublev."
  9. Le Grand Livre de la Peinture, Cf. article, "La Peinture byzantine et russe", de Erica Deuber et Anne-Marie Karlen, Genève, 1977, p. 230.
  10. Elle symbolise: […] "L'apparition de Dieu à Abraham et à Sarah sous la forme de trois anges pélerins. Chez Roublev, ce sujet traditionnel est traité de façon nouvelle, originale, purement spirituelle, la composition comme l'exécution sont d'une perfection rarement atteinte. Le mouvement circulaire donné à l'œuvre est symbole d'unité et d'harmonie. (…) Elle se trouve actuellement à la Galerie Tretiakov à Moscou." (Cf. article, "Andreï Roublev", Encyclopédie Universalis.)
  11. Cf. Article : www.wikipédia.fr
  12. Cf. Cahier Journal,(désormais désigné par l'abbréviation C.J.) op. cit., pp. 15 ; 19 ; 28 ; 63 et 445.
  13. Demitchev : secrétaire du Comité Central du Parti Communiste.
  14. Romanov : président du Goskino (Comité d'état pour le cinéma), contrôlait la production la distribution et l'exploitation des films en URSS. Son président avait rang de ministre.
  15. Guerassimov (1906-1985) : acteur et réalisateur qui a longtemps incarné le réalisme socialiste soviétique.
  16. Nikolaï Sizov : nouveau directeur du studio Mosfilm, depuis novembre 1970. Il a les droits du vice-président du Goskino.
  17. Pogojeva : conseillère du Président du Goskino.
  18. Filip Ermach : haut fonctionnaire, responsable du cinéma au département de la culture du Comité Central du P.C. Il deviendra en 1972, le Président du Goskino, et le restera jusqu'en 1986.
  19. Dans un tout autre registre, nous signalons un autre fait important qui est survenu à Michelangelo Antonioni. En effet, Aldo Tassone, rapporte dans son livre sur le cinéaste italien, la première rencontre du réalisateur avec le monde du spectacle. Il a lieu au théâtre Novelli de Paullo (près de Ravenne) : (…) « Un camarade de jeu, fils du propriétaire d'un cinéma-théâtre (…) organise une représentation. Le petit théâtre s'élevait sur la citadelle de Paullo avec une scène qui surplombait deux précipices. Mon camarade s'occupait de la mise en scène, et moi, je devais faire le tonnerre : la « pièce », une espèce de drame ténébreux, comportait en effet une scène d'orage. Le bruit était provoqué par un boulet de marbre de 40 centimètre de diamètre, un boulet de canon du Moyen Age, que je devais faire rouler le long d'un de ces escaliers monumentaux. (…) Nous portâmes la lourde boule de marbre tout en haut de l'escalier et, au signal convenu, je commençai à la faire rouler avec lenteur ; seulement, elle était si lourde qu'elle m'échappa des mains et commença à dégringoler tout le long de l'escalier avant de tomber dans un des précipices, tout en bas. Je fus pris d'une peur terrible ; mais le bruit, lui, fut très réussi ! (…) Comme première expérience dans le domaine du spectacle, ce fut vraiment mémorable.» Traduit de l'italien par Josiane Tourrès et Caecilia Pieri, Editions Cinémas-Flammarion, (1985) 1995, p. 12.
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