Pays de la Violence (Le)
Aspects techniques du film
- Titre : Le pays de la violence
- Réalisation : Frankenheimer John
- Année de réalisation : 1970
- Titre original : I walk the line
- Pays : USA
- 95 minutes, couleur
- Langue : Anglais
- Production : Cohen Harold D. et Lewis Edward
- Scénario : Sargent Alvin, d’après la nouvelle de Jones Madison
- Directeur Photographie : Walsh David M.
- Décors : March Marvin
- Costumes : Brown Lewis
- Son : Overton Tom, Piantadosi Arthur
- Musique : Cash Johnny
Principaux acteurs
- Gregory Peck : Shérif Tawes
- Tuesday Weld : Alma McCain
- Estelle Parsons : Ellen Haney
- Lonny Chapman : Bascomb
- Charles Durning : Hunnicutt (adjoint au shérif)
- Nora Denney : Darlene Hunnicutt
- Ralph Meeker : Carl McCain
- Freddie McCloud : Buddy McCain
- Jeff Dalton : Clay McCain
Résumé du film
Henry Tawes (Gregory Peck)[1], la cinquantaine passée, est le shérif d’une petite ville du Tennessee (centre est des Etats-Unis). C’est un homme honnête et bon. Un jour, il rencontre une jolie jeune femme, Alma McCain (Tuesday Weld), qui pourrait être sa fille. Le père d’Alma tient une distillerie clandestine, c’est la seule ressource de la famille. Alma, transformé en « Lolita », séduira le sérieux shérif afin qu’il « ferme les yeux » sur l’activité illégale de son père. Le shérif ne résistera pas longtemps aux charmes irrésistibles de la jeune fille, il va finir par succomber à cette douce folie amoureuse, non seulement en protégent son père, mais aussi en décidant d’enlever sa fille, de quitter sa femme et son travail.
Introduction
Le titre du film : Le Pays de Violence
Jamais titre de film n’a porté si mal son nom (il n’est pas le seul). Le titre original, en anglais est : I walk the line, littéralement, « Je marche la ligne », qu’on peut traduire par « Je marche droit ». Or, un grand écart se creuse entre les deux titres qui présentent le film de deux manières différentes. Sans entrer dans les détails, le titre en français compromet le film et ira jusqu’à le corrompre en négligeant un élément central du « procès narratif » [2] : la ligne.
Il est vrai que la fin du film bascule dans la violence, en particulier, quand l’adjoint au shérif, Hunnicutt tuera le chien noir, le gardien d’Alma, afin de la violer, il sera à son tour tué par le père d’Alma. Et encore une fois, le bon shérif viendra au secours de la famille McCain.
Les valeurs de la « ligne »
Mais le film ne baigne pas dans la violence, elle reste ponctuelle, de l’ordre de quelques secondes. Et justement ce qui est intéressant à observer c’est les moments qui précèdent cette explosion de violence, car les moments forts du film se déroulent physiquement, plastiquement, géographiquement et spatialement, sur une « ligne », comme par exemple, une route départemental (Alma qui autorise son jeune frère à conduire une voiture), un petit chemin de campagne (le premier baiser du couple Alma-shérif Henry), un pont suspendu et une échelle (la découverte de la distillerie), une petite rivière (le shérif qui se débarrasse du corps de Hunnicutt).
Dans un sens élémentaire et laconique, Euclide définissait une ligne comme étant : « une longueur sans largeur. » [3]
C’est un élément naturel ou artificiel qui a une forme continue longitudinal ou filiforme. Au cinéma et en particulier dans le film I walk on the line, cette forme particulière va acquérir une dimension particulière, elle aura une part active et déterminante dans la composition des plans filmiques. Comment ? Par la simple action de diviser la surface du plan, la plupart du temps, la division est horizontale, mais aussi en diagonale, comme le premier plan du film (Cf. Photogramme - 1. )
Ainsi, dans un sens élargit et métaphorique la ligne va nous conduire à la question de limite, de frontière, de séparation, à la confrontation de deux espaces, de deux mondes. Elle va rythmer les espaces, installer des confrontations, comme nous pouvons le voir au photogramme 2.
Découpage du film en chapitres simplifiés
0h 00’ 00’’ – Générique : Un barrage de sentiment
Photogramme 1. Premier plan du film. 00h 00' 06" : L’ouverture du film est révélatrice, d’emblée elle présente un paysage fluvial transformé par un barrage hydroélectrique qui « bouche » le fond de l’image, qui barre le paysage d’un trait (une ligne) monumental en ciment. Face à cette contradiction, la nature s’exprime d’une manière différente : les arbres poussent dans l’eau, mais ils n’ont pas de feuilles, est-ce un paysage d’automne ? Les arbres vivent dans l’eau, mais ils ont l’air desséchés, comme l’est peut-être le shérif, en hors-champ, qui observe les alentours. Il est pensif, songeur. On l’appelle sur la ligne interne du véhicule de service. Il ne répond pas. Il entre dans le véhicule, il démarre et roule à vive allure.
Photogramme 2. 01' 03" : Aussitôt, nous nous retrouvons sur le gigantesque barrage du fond de l’image précédente. Une division en diagonale : à gauche l’eau, et à droite, les contreforts du barrage. L’image est impressionnante, elle semble suggérer, l’état provisoire des principaux protagonistes : est-ce que l’eau suggère la personnalité d’Alma qui va finir par déborder sur les contreforts, la force naturelle de Henry ?
Photogramme 3. 01' 25" : Plan général, de profil, du véhicule du shérif. Apparaît en surimpression, le titre en français : Le Pays de la Violence.
Durant le parcours sinueux du shérif, nous allons découvrir des plans qui représentent un panorama de la population rurale de la ville, des portraits instantanés, principalement des personnes âgées assissent, qui prennent le frais, sous les toits des vérandas. Ce qui est frappant dans ces portraits, c’est un caractère dominant de stoïcisme, de résignation. En fait, les regards de ces personnes âgées est comparable à celui du shérif quand il était près de l’eau.
Cependant Frankenheimer ponctue sa présentation par des images d’enfants qui jouent, à « dépasser des limites », à fumer une vraie cigarette. Ainsi, le répertoire des représentations de la « ligne » s’épaissit et déborde dans d’autres cadres, nous venons de la sorte, de traverser des lignes biologiques, des lignes générationnelles, ou encore des lignes interdites (la cigarette).
Photogramme 4. 02' 49" : Pourtant le réalisateur semble insister sur le côté « abandonné », « obscur » de la société, le shérif traverse une casse d’épaves de voitures alignées et rouillées.
0h 03’ 40’’ – Alma et Buddy « jouent » avec une camionnette
À un virage, une vieille camionnette déboule d’une manière inquiétante, en dépassant largement les limites réservées à sa trajectoire, la voiture enjambe un talus, revient sur la route. La conduite est dangereuse. Nous devinons aisément que le conducteur ne sait pas conduire.
Soulignons au passage, encore un franchissement de limite, de ligne.
Photogramme 5. 03' 46" : Gros plan sur le conducteur et son coéquipier. Il s’agit du jeune Buddy et de sa sœur Alma, son aînée. Buddy est fou de joie de conduire une vraie voiture. Sa sœur lui demande d’aller plus vite.
A cet instant précis, le shérif en embuscade, voit passer la conduite bizarre de la « camionnette ivre » et immédiatement se lance à sa poursuite.
Photogramme 6. 04' 30" : L’enfant est pris de panique, la camionnette s’enfonce dans un près, aussitôt Buddy sort du véhicule, sans s’inquiéter de sa sœur, et prend la fuite. Le shérif s’arrête sur le bas-côté, il observe la scène.
Il sort de sa voiture de fonction et se dirige calmement, vers la camionnette, la contourne, s’approche de la porte du conducteur.
Photogramme 7. 04' 52" : Alma est tapie au fond du véhicule, elle a l’air craintive. Le shérif s’incline légèrement à l’intérieure de la camionnette et demande : «
- Ca va ?
- Oui, shérif.
- Sortez de là.
- Bien, shérif.
- C’est qui dans les taillis ?
- Hein !
- Quelqu’un s’est échappé.
- Ça c’est Buddy. Mais c’est qu’un gamin.
(…) (Elle raconte l'incident des chaussures de crocodiles de grande taille.)
- Votre nom ?
- Alma McCain. (Cf. Photogramme - 8. 05' 55")
- Où habitez-vous ?
- Gatesboro Road. On est arrivés récemment. Avant, on était à Loomis Canyon.(Cf. Photogramme - 9.)
- Qui ça, « on » ?
- Mon père, Buddy, Clay et moi. Clay a presque 18 ans. Mais ils sont pas à la maison, ils bossent.
- Où ça ?
- A l’usine. Mais c’est du travail quand même. Ca fait rentrer de l’argent, c’est bien. (Elle sourit. Henri est dubitatif. )
- C’est très bien (Elle sort de la camionnette.)
- Ils sont chez Kingman. Ils fabriquent des cafetières.
- Et votre mère ?
- J’en ai pas. Je fais la cuisine et je m’occupe de Buddy.
- Moi, je vous dis ce que j’ai vu : c’était un petit garçon qui conduisait. Et vous êtes pas un petit garçon à ce que je sache. (Elle rit.)
- Non, shérif. (Temps de silence prolongé.) N’arrêtez pas Buddy. Je suis responsable de lui. Il est encore petit. (Elle lui prend le chapeau de Buddy des mains. (Cf. Photogramme - 10. 07' 17") Je vous en serais vraiment reconnaissante.
- Montez. (Cf. Photogramme - 11. 05' 55")
- Dites à votre père que le shérif Tawes a dit : que les gens qui conduisent doivent avoir leur permis…
- Entendu shérif. Je vous remercie infiniment.
- Et dites aussi à votre frère de mettre des chaussures à sa taille.
- Oui shérif.
0h 08’ 51’’ – La famille du shérif Henry Tawes
Photogramme 12. 08' 53" : Le soir. Plan moyen sur le dîner de la famille du shérif Henry Tawes, il est de dos. Au fond, une porte ouverte sur la cuisine, avec une ampoule ronde et brillante qui illumine la pièce : est-ce une allusion à Alma ? Comme une petite lueur qui va s’épanouir et envahir tout son espace.
Photogramme 13. 09' 46" : Gros plan du visage du shérif, perdu un long moment dans sa pensée. Il pense peut-être au « petit interrogatoire » impromptu, qu’il a fait subir à Alma, il a pu savoir beaucoup de choses : son nom, le travail de son père, elle n’a plus de mère, mais deux frères, ils habitent à Gatesboro Road, avant ils étaient à Loomis Canyon. (Cf. Photogramme - 9. ) Et puis, elle lui a raconté des histoires amusantes, des histoires de clown, son petit frère qui portait des grandes chaussures de crocodile, le chapeau percé de Buddy. En bref, Alma n’est pas une personne commune.
Le sourcil gauche suggérant la forme d’un accent circonflexe est un trait anatomique singulier de Gregory Pech, star des années 60. Cette particularité remarquable contribue à amplifier un indicateur sensible d’une poussée d’une tension indéfinie. En fait, ce gros plan annonce la grande séquence de la seconde rencontre du shérif et d'Alma au commissariat qu'on verra deux chapitres plus loin.
0h 10’ 08’’ – La famille d’Alma McCain
Au même moment, dans un autre côté de la ville, plan général de nuit, de la maison des McCain. A l’intérieur la famille est réunie, Buddy est absent. Après « l’interrogatoire » du shérif, Alma subit, à présent, « l’interrogatoire » de son père Carl. Il veut connaître les détails de sa rencontre avec le shérif.
Le grand frère d’Alma, Clay, suit la conversation de près, en allumant une cigarette. Alma, l’air innocente, répond aux questions de son père, tout en préparant le dîner. Le père : «
- On est mieux ici, pas vrai ? On est tous mieux ici, hein ? … Alors, redis-moi. Qu’est-ce qu’il t’a dit ?
- Il m’a demandé mon nom.
- Et tu lui as dit ?
- J’ai juste dit Alma McCain. (Cf. Photogramme – 14. 10' 19" )
- Et qu’est-ce qu’il a répondu exactement ?
- Il a demandé ce que tu faisais.
- Et qu’est-ce que t’as dit ?
- J’ai dit que tu faisais. Que tu fabriquais des cafetières.
- Tu as parlé de Georgie ?
- J’ai rien dit sur Georgie.
(…) ( A propos du sucre et de la distillerie…)
- Il t’a touchée ?
- Hein
- Est-ce qu’il t’a touchée ?
- Non.
- (Jeff intervient) : Il devait en avoir envie.
- Le Père : Il en avait envie ?
- Alma : Je sais pas. »
Photogramme 15. 12' 05" : Plan intéressant : un mur divise la pièce en deux, le père et le fils avancent de part et d’autre du mur. Le père reste dubitatif : « Si on perd ce qu’on a… Si on nous prend notre distillerie, on aura plus rien. On vaudra pas plus que des Nègres. »
0h 12’ 25’’ – Commissariat 1 – Rencontre avec Hunnicutt
Le jour. Le shérif entre dans le bâtiment. Les couloirs sont animés par la discussion de nombreuses personnes. Le shérif prend un dossier à un bureau, il salue des personnes au passage et se dirige vers son bureau.
Photogramme 16. 12' 57" : Première rencontre avec le sergent Hunnicutt, il est assis au fond, les pieds sur la table. Au premier plan, la secrétaire du shérif qui vient de recevoir une plainte de Mme Wesson, (car le vieux Linton a pété les plombs – la séquence de l’arbre abattu.)
Photogramme 17. 13' 06" : Non seulement Hunnicutt a les pieds sur la table, signe évident d’irrespect du lieu qu’il représente ; il est en fonction et il s’amuse à regarder une revue de charme féminine, à manger des gâteaux et à boire un soda.
C’est du grand art, le réalisateur brosse le personnage en quelques « traits ».
Photogramme 18. 13' 35" : Le shérif s’installe à son bureau, il commence à consulter des dossiers. Hunnicutt, les pieds toujours sur la table, lui annonce sournoisement, l’air narquois, en mangeant un gâteau : « Shérif… J’allais oublier, il y a un agent fédéral en ville. (Le shérif répond sans le regarder.)
- Il est venu ici. (Cf. Photogramme - 19. 13' 39")
- Non. Il a parlé à Kelly. C’est Kelly qui l’a flairé et qui m’a dit qu’il y avait un agent fédéral en ville.
- Laissons-le. Il va pas tarder à se manifester. »
Si l’on compare les bureaux des deux hommes de la loi, nous pouvons relever des indices pertinents. Le bureau du shérif est compatible avec sa fonction : des crayons, un microphone (contact et intervention avec l’extérieur – la voix su shérif peut porter loin), une multitude de dossier et de fichier, de différents formats, une tasse de café, une agrafeuse, enfin, le chapeau sur la table indique que l’un pose sa « tête » (sa partie supérieure) sur la table, tandis que l’autre pose son « pied » (sa partie inférieure). En revanche, le bureau de Hunnicutt ressemble plutôt au bureau d’un adolescent, désordonné et négligé.
La suite est en préparation
Notes et références
- ↑ 5 avril 1916 – 12 juin 2003
- ↑ Pour reprendre le mot d’André Gardies, L’Espace au cinéma, op. cit., p. 90.
- ↑ 300 av. J.-C., Éléments : Livre 1er - Définitions, Postulats, et Notions Communes, (Anglais : A line is breadthless length. ) - Grec ancien : Στοιχεια ; prononciation : Stoikheía ; traduction française : éléments. (Source : Wikipédia)