Inversion

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Mulholland Drive. L'inversion progressive entre Rita, à gauche, et Betty, à droite.

Autres titres de films

Mode d'emploi de la figure (mot) et abréviations

Titre Titre original Réalisation Scénario Année Pays Durée
Andreï Roublev (Voir détail : Andreï Rublyov) Tarkovski Andreï Tarkovski A.
Konchalovsky A.
1969 URSS 215
Dérapage contrôlé Electra Glide in Blue Guercio James William Boris R. 1973 USA 114
Mullholland Drive Mullholland Drive Lynch David Lynch David 2001 France, USA 146


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Photogrammes extraits des films - Analyse et liens spécifiques du film.

Les inversions dans Andreï Roublev, d'Andreï Tarkovski

Les « inversions » du Bouffon

La première « inversion »

C'est le 2éme épisode du film. Après une pluie orageuse, les trois moines arrivent devant la porte d’une datcha, au moment même ou un bouffon est sur le point de finir son spectacle : il se tient en équilibre sur ses mains posées au sol, en laissant habilement glisser sa culotte, pour dévoiler un dessin d'une figure comique sur ses fesses. Et, c'est à cet instant précis que les moines se présentent devant l'assemblée des joyeux paysans. Les moines visiblement choqués demandent l'asile, le temps que l'orage cesse. Ils sont accueillis dans l'auberge. L'aubergiste leur offre à boire. Kyril répond : "Nous ne buvons pas.". Le bouffon enchaîne avec un langage hardi à l'égard des moines : " Ils ne boivent pas et ils ne baisent pas." Kyril vexé par l'expression déplacée du bouffon ira le trahir sournoisement.


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La seconde « inversion »

Plan 27- 6 [1] : 09' 48" : Les trois moines vont s'installer au pied de la lucarne.

Plan 38-17  : 12' 30" : Avant son geste malveillant, Kyril souffle dans l'oreille d'Andreï : "Dieu a crée le pape, le Diable a crée le bouffon." La figure inversée Dieu/Diable est à souligner. Elle est tout d'abord à la base de différents concepts superstitieux comme, par exemple, l'expression : (…) "dieu créa l'abeille, le diable créa la guêpe." Elle est également à la base du sabbat pendant la messe diabolique célébrée par un prêtre démoniaque qui est le sorcier : (…) " (Le prêtre en célébrant la messe) …Il la disait à rebours, ce qui va de soi, puisque le diable, (est le) grand maître de l'inversion (…) On communiait d'une rave noire, en place de la blanche ostie." [2]

Si la citation de Kyril enchaîne une image circulaire, [3] qui propose une espèce d'inversion spatiale latérale, elle est aussi précédée par une image d'inversion métaphorique : une image qui montre le bouffon à l'envers, un peu avant la brève citation de Kyril :

Plan 32-12 : 10' 37" : Le bouffon sort sous la pluie devant la porte de l'auberge, il se frictionne avec l'eau de pluie. Une seconde après, il disparaît du champ, pour apparaître subitement, suspendu à l'envers, en s'appuyant au niveau supérieur de la porte. (Cf. Photogramme - Inversion 1.) Le comportement du bouffon mérite notre attention, en effet au :

Photogramme - Inversion 1 : Andreï Roublev, Plan 32. Le bouffon suspendu : 2ème cas d'inversion.

Plan 26 - 5 : 07' 48" : Peu avant l'arrivée des hôtes imprévus, et au cours de son spectacle, le bouffon se cogne la tête sur le poteau central de l'auberge. N'est-ce pas une prémonition de ce qui va lui arriver ?

Plan 44 - 23 : 15' 54" : Quatre cavaliers, curieusement prévenus par Kyril, vont l'assommer en le cognant contre un arbre.

Les quatre cavaliers rappellent les quatre cavaliers de l'apocalypse, durs, impitoyables et décidés. Ils appliquent la "loi", la loi de l'église qui, nous l'avons vu, est métamorphosée par l'aspect sombre du cadre de la lucarne qui évoque donc le fossé entre le religieux et le civil. Les quatre côtés sombres de la lucarne annoncent , en quelque sorte, les cavaliers. Un autre cadrage participe dans la représentation de la figure terrorisante des cavaliers. Elle rejoint, par analogie et par extension, la figure du cheval noir, parce que, d'une part, la scène se déroule devant l'encoignure d'une porte et, d'autre part, parce qu'il s'agit de cavalier, des conducteurs de chevaux. De plus, le plan en question est un plan long, de plus de deux minutes, qui se déroule entièrement devant la porte de la datcha.

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La troisième « inversion »

Il reste une figure inversée que nous ne pouvons pas négliger. Il s'agit d'un petit pot renversé que le bouffon déposera sur sa tête, en guise de couvre-chef. (Cf. Photogramme - Inversion 2.)

Le pot renversé sur la tête du bouffon : 3ème cas d'inversion.

Photogramme - Inversion 2 : Andreï Roublev, Plan 39. Le pot renversé sur la tête du bouffon : 3ème cas d'inversion.

La question du couvre-chef : chapeau, bonnet, et des couvre-gorge, foulard, bandeau autour du cou a été développée à l'appui du film Stalker.

Notons toutefois, qu'ici, le pot évoque : (…) "Un symbole de surdité et de stupidité, cet objet commun est susceptible de plusieurs autres acceptions." [4] Notons aussi que nous sommes en face d'un autre exemple de figure inversée. La séquence s'articule de la sorte : le bouffon est épuisé de son spectacle, les moines sont installés, des paysans offrent au bouffon un pot (d'alcool ?) et un bulbe d'oignon. Le bouffon mange l'oignon (figure reprise au plan 128-12), boit le pot d'un coup sec, et le dispose, avec une grimace, sur sa tête. L'image est comique, une grosse tête ronde, couverte d'un petit pot.

L'instabilité de cet objet fragile, qui risque de tomber au moindre déséquilibre, est une indication formelle, prémonitoire, sur la mauvaise aventure que le bouffon aura à traverser.

Le pot ne se cassera pas, mais c'est sa tête qui en payera les frais. C'est peut-être à cause de la remarque déplacée du bouffon ou alors à cause de l'acte final de son spectacle, lors de l'arrivée des moines. Et c'est uniquement cette dernière indication qui a pu faire penser aux moines que le bouffon est un bouffon, un "skoromgkhi" : (…) "Musicien ambulant du moyen-âge russe, qui chantait et jouait de leur instrument… Ils représentent cet art populaire (les chansons épiques - les bylines) auquel n'était pas étrangère la satire sociale, la protestation contre la tyrannie des classes dirigeantes. Aussi comprend-on que l'église les ait condamnés et poursuivis." [5]

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Les fonctions des « inversions » du Bouffon

Ainsi grâce à ce minuscule détail du pot renversé, nous sommes portés à donner plus d'attention à la figure inversée, car cette figure s'impose à trois moments dans un intervalle très court aux plans suivants :

26- 5 : le bouffon est à l'envers sur ses mains ;
32-12 : le bouffon est à l'envers avec ses pieds ;
39-18 : le bouffon pose une figure inversée sur sa tête.

Nous remarquons que ce qui s'affiche d'emblée c'est le concept du corps humain, plus précisément les membres du corps : main, pied et tête. Ce sont donc, les extrémités du corps dans leur fonction vis-à-vis du monde. En effet, le bouffon marche avec ses mains, il est suspendu à la porte avec ses pieds, et enfin le pot est à l'envers sur sa tête, c'est comme s'il sortait du pot, comme un génie dans un conte. L'image est pertinente car elle installe la diégèse du film dans une légende, un début de film légendaire, d'où l'importance de la figure du bouffon. Certes cette dernière idée n'est pas accessible directement, mais là aussi nous sommes dans les interstices des vœux intimes du réalisateur qui cite Goethe : "Plus l'ouvre d'art est cachée meilleure elle est."

Nous avons abordé quelques caractéristiques des trois figures : la main, le pied et la tête. Ici, le rapport de la triple figure de l'inversion du corps du bouffon sur le sol ou à l'appui du sol, semble correspondre à l'inversion dans l'air du corps d'Efim. [6] Et dans le IIIème épisode, nous assistons à un cas d'inversion morale, celui de Kyril, qui d'ailleurs n'est pas à son premier exemple. Kyril représente aussi la troisième figure qui évoque la disparition. Il y a d'abord eu la disparition du cheval noir au 1er épisode (plan 5), ensuite la disparition du bouffon (plan 32). Et, quand Kyril apparaît (au plan 45) Roublev étonné lui dit : "où étais-tu? " Kyril répond : "il ne pleut plus, partons." [7] La figure de la disparition est incluse d'une part, indirectement, dans la figure de l'inversion, ils sont complémentaires et, d'autre part, directement, dans la figure de la porte, ils sont supplémentaires. Nous remarquons, par rapport à la diégèse du film, qu'il n'y a aucun lien direct entre le prologue et l'épisode du Bouffon. Pour le moment nous avons uniquement aperçu Roublev, et nous l'avons entendu dire quelques phrases. Ce qui n'est pas grande chose.

C'est que la fonction des deux premiers épisodes a pour mission d'installer l'ambiance générale de cette période trouble du XVème siècle russe. Mais ils ont surtout le rôle de mettre en place un certain nombre de métaphore, pour les voir évoluer, par associations, par analogies, par dissonance, par prolongements, etc. Ainsi la principale figure qui lie les deux épisodes est justement la figure de la porte, (Cf. Photogramme - Porte.) particulièrement l'attitude singulière d'être devant la porte, l'attitude d'un homme hésitant devant une porte, l'homme en crise devant une porte, notamment dans Stalker, quand les trois protagonistes sont devant la porte (le seuil) de la chambre des Désirs.

Photogramme - Porte : Andreï Roublev, Plan 44. Deux cavaliers qui cognent le bouffon contre un arbre.
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Le choix de Tarkovski d'« inverser » le classicisme des films biographiques

Nous pouvons déduire que Tarkovski a été jusqu'à choisir l'inversion du traditionnel cliché [8] classique des films biographiques ; avec la succession linéaire : l'enfance, l'adolescence, la jeunesse, la maturité. Il a choisi d'altérer totalement ces ensembles, en suggérant une transformation des données à l'intérieur de ces ensembles. Il y a donc un travail considérable sur le découpage et le montage du film, qui n'obéissent pas à un système de narration chronologique, mais bien plutôt à un système de figure narrative, des figures suggérant une narration par l'image ou plutôt une narration qui est suggérée et proposée à l'intérieur de l'image. [9] Nous venons de voir le poids des différentes figures dans l'élaboration du film. Certes, ce sont des artifices matériels, mais ils sont en fait, une façon détournée pour expliciter un réel tangible qui est poussé aux extrémités des racines de l'imaginaire. Elles produisent une sève abondante qui creuse des sillons en labourant les ensembles, et qui inondent le fleuve du film, pour aboutir à la constitution progressive d'une œuvre à résonance multiple, et donc inépuisable.

Si nous regardons de près la chronologie présentée à l'écran par le cinéaste (grâce aux inserts). Nous constatons qu'au Ier épisode, il n'y a aucune date, c'est "l'obscurité de l'enfance". Ce n'est qu'avec le second épisode qu'apparaît une première date : Été 1400, le Printemps. Ainsi, en supposant que le Ier épisode correspond à "l'enfance" de Roublev, comme un rêve indescriptible, magique et intense, ce qui après tout, pourrait être le cas. Le second épisode propose alors l'idée de l'adolescence, "le Printemps de Roublev", dans le regard juvénile, insouciant et innocent de Roublev qui n'a pas été étonné de voir les cavaliers qui arrivaient pendant l'absence de Kyril. Grâce à cette mise en scène inversée, Andreï Tarkovski nous introduit dans les canaux invisibles de la création, dans la mesure ou le spectateur n'est pas habitué à ce genre d'hagiographie.

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Les « inversions » de Kyril

Dans le IIIème épisode (Théophane le Grec), la figure de l'inversion s'impose encore à plusieurs reprises. Il y a d'abord l'inversion verbale de Kyril. Nous constatons aisément que tout le monologue de Kyril est en contradiction totale avec ses actes. (Plans III-2. 60-13). [10] Nous pouvons suivre mot à mot les longues citations du monologue, pour nous apercevoir qu'ils annoncent amplement et directement le contraire de leur future représentation : il a suivi "le chemin de son cœur", chargé de haine insoupçonnable ; il a suivi "la voie de ses yeux", pour avoir à la fin, le tragique spectacle, d'un chien gisant sur la neige. "La chaîne d'argent" et le "lien d'or", c'est-à-dire "la chaîne de la fraternité" et le "lien divin" ce sont rompus. Et "la cruche de la margelle du puits" s'est brisée, etc.

Nous précisons une observation à partir de ces remarques. D'abord même un mot prononcé (un mot pensé) prend place dans notre esprit et, grâce à une disposition inconnue (à découvrir), agit sur nous et sur notre entourage. Ce qui est significatif dans le cas du monologue de Kyril, c'est qu'en fin de compte, Kyril avait des bonnes intentions. Mais il a suffi qu'il sache que Théophane ne l'a pas choisi, qu'aussitôt le mécanisme de l'inversion, violente cette fois ci, entre en fonction. A l'inverse, Daniel n'a pas réagi de la sorte, sa réaction sera par la suite, de pleurer devant Roublev. Nous pouvons comprendre la déception de Kyril vis-à-vis de Théophane. Mais, lui-même était d'accord de suivre Théophane («comme son chien»), lui aussi a placé le profit au-dessus de la foi. Atteignant le comble de la barbarie, il a tué volontairement son propre chien, lui, un homme d'église, un peintre d'icône.

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L’inversion dans le rêve d'Andreï Roublev (plan 268)

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Liens spécifiques du film

Voir : Andreï Roublev


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Voir aussi

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Notes et références

  1. Le premier chiffre correspond aux plans du film depuis le début du film, le second chiffre aux plans du film depuis le début de l'épisode.
  2. Jean Palou, La Sorcellerie, P.U.F. 1ère Édition, 1957, 8ème Édition 1992, pp. 29-31.
  3. Un plan développé à 360° : La caméra pivote et effectue à droite un panoramique circulaire lent. Le plan propose ainsi un panorama de la vie paysanne russe du XVème siècle.
  4. Chevalier/Gherrbrant, Dictionnaire des Symboles, op. cit., p. 783.
  5. Iouri Sokolov, Le Folklore russe, Edition Payot, Traduit du russe par G. Welter, 1945, Chapitre X, p.159 sq.
  6. Cf. G. Durand, deuxième livre, première partie : "La descente et la coupe", premier chapitre : "Les symboles de l'inversion", op. cit., pp. 255-268. Egalement, pp. 49 ; 234 ; 237 ; 425.
  7. Au plan 47. Dans le fond de l’image, à gauche, le bouffon est emporté sur le dos d'un cheval. Comparez avec le plan 26b : les moines représentaient des petites silhouettes minuscules, avec ce plan nous obtenons l'inverse. C'est une autre figure d'inversion.
  8. Serge Daney écrit : (…) "Un cliché, ce n'est ni vrai ni faux, c'est une image qui ne bouge pas. Qui ne fait plus bouger personne." A propos de Moi, Christine F., 13 ans, droguée, prostituée, op. cit., p. 18.
  9. Sur la question de la narration, cf. : C. Metz, tome 1, op. cit., pp. 25-35 ; (.) "La description diffère de la narration", p. 27 ; "Toute narration est un discours", p. 28 ; "Discours clos venant irréaliser une séquence temporelle d'événements", p. 35 ; "Le cinéma moderne et la narrativité", pp. 186-222. G. Deleuze, tome 2, op. cit., L'auteur distingue, (.) "La narration organique (qui) consiste dans le développements des schèmes sensori-moteurs suivant lesquels les personnages réagissent à des situations, ou bien agissent de manière à dévoiler la situation. C'est une narration véridique, en ce sens qu'elle prétend au vrai, même dans la fiction. (.) Toute autre est la narration cristalline, puisqu'elle implique un écroulement des schèmes sensori-moteurs." pp. 167-168. J. Mitry, tome 1, op. cit., Le montage narratif, p. 358. Tome 2, (…) "Sans le support de la narration les métaphores visuelles sont dépourvues de sens ou deviennent des signes conventionnels d'où la vie est absente." p. 378.
  10. Cf. Note 1.
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