« Pierre » : différence entre les versions

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====La valeur du procédé de parallélisme entre épisodes – La pierre et la pomme====


Qu'est ce que cela veut dire ? Quelle est la place de ces images dans le film ? A quoi correspondent-t-elles ? La présence de la paire de tenailles, du [[feu]], de la pierre et de l'[[eau]] ne nous propose-t-elle pas une vision du changement psychologique de Roublev ? Nous avons déjà distingué le procédé de parallélisme entre épisodes, notamment avec le [[Croix#ancre_242|plan 242]]. Ce procédé est un facteur majeur dans l'élaboration des fondements filmiques, car leur combinaison nous livre un élément de réponse. En effet, cette association suggère l'idée de la torture intérieure de Roublev, qui est matérialisée par la pierre chaude. Un autre parallélisme s'établit cette fois à l'intérieur de l'épisode : Roublev tient la pierre, avec une tenaille et la sourde-muette tient la pomme avec la [[main]]. La pomme annonce la trahison prochaine de la sourde-muette. Nous avons vu par parties les principales figures de la trahison d'Eve: l'[[arbre]], la couleuvre, le couple, il manquait la pomme, pour transposer le péché originel, qui est, par ailleurs, une question de [[choix]] et de [[doute]]. <ref>Cf. '''F. Cesarman''', à propos de la pomme dans ''Tristana'' de L. Buñuel : (…)"Tristana offre une pomme à Saturne (…) la pomme n'a pas ici la valeur de symbole démoniaque et destructeur mais témoigne simplement du besoin qu'éprouve Tristana de donner pour être aimée et acceptée". ''[[Thèse:Bibliographie#ancre_3|Pp. cit.]]'', p. 202. La dernière image du film termine de cette façon : (…) "Tristana offre une pomme au jeune sourd-muet, scène qui revêt alors une toute autre importance." p. 215. </ref>
====La valeur du procédé de parallélisme entre épisodes – Changement psychologique d'Andreï Roublev====


Cependant ici, le thème est inversé : c'est l'homme qui donne la pomme à la femme et, par la suite, elle accèdera à la connaissance, elle accèdera à l'amour, en voulant épouser le chef tatar. Nous verrons à ce moment-là l'aboutissement et la confirmation de certaines figures provenant d'autres épisodes. Toutefois, à quoi accède Roublev ? Il en est où ? Que devient-t-il ? Comment va-t-il ? L'explication ne peut venir que des images. D'abord, il tient la pierre à distance, avec des tenailles. Comme si toutes les choses étaient distantes de lui ? Comme s'il considérait toute chose avec des pincettes ? Il y a une espèce de changement anatomique : les mains n'ont plus toutes leurs fonctions. Il ressemble étrangement à un homme-insecte. Mais pour un peintre, les mains sont primordiales. De plus, elles ne tiennent plus de la peinture, mais une pierre. Le plan 291, suggère aussi une allusion à la légende de Sisyphe. () "Dans la tradition, la pierre occupe une place de choix. Il existe entre l'âme et la pierre un rapport étroit. Suivant la légende de Prométhée, procréateur du genre humain. (…) La pierre brute descend du ciel ; transmuée, elle s'élève vers lui." <ref> '''Chevalier/Gherrbrant''', ''Dictionnaire des Symboles'', ''[[Thèse:Bibliographie#ancre_12|op. cit.]]'', p. 751. </ref> "Le temple doit être construit avec de la pierre brute, non de la pierre taillée." <ref>Exode 20, 25.  </ref> J. –P. Roux, dans son étude sur les croyances des peuples altaïques, oppose la signification symbolique de la pierre à celle de l'arbre : (…) "semblable à elle-même depuis que les ancêtres les plus reculés l'ont érigée ou ont, sur elle, gravé leurs messages, elle est éternelle, elle est le symbole de "la vie statique", tandis que l'arbre, soumis à des cycles de vie et de mort, mais qui possède le don inouï de la perpétuelle régénération, est le symbole de "la vie dynamique". <ref>'''J. –P. Roux''', ''Faune et Flore sacrées dans les sociétés Altaïques'', Paris, 1966, p. 52.  </ref> La figure de la pierre est inscrite en profondeur dans le génome universel de l'humanité. <ref>Cf. '''G. Durand''' : (...) "Bétyle, pierre levée, flèche du cocher signifient selon G. de Saint-Thierry, "vigilance et attente de l'union divine"(cité par '''M. Davy''', ''Essai sur la symbolique romane'', p. 13.), ''[[Thèse:Bibliographie#ancre_12|op. cit.]]'', pp. 142-143 ; 214; pierre plate, 354 ; 392. </ref> La pierre est aussi le premier objet-outil de l'homme.
Qu'est ce que cela veut dire ? Quelle est la place de ces images dans le film ? A quoi correspondent-t-elles ? La présence de la paire de tenailles, du [[feu]], de la pierre et de l'[[eau]] ne nous propose-t-elle pas une vision du changement psychologique de Roublev ? Nous avons déjà distingué le procédé de parallélisme entre épisodes, notamment avec le [[Croix#ancre_242|plan 242]]. Ce procédé est un facteur majeur dans l'élaboration des fondements filmiques, car leur [[Combinaison (sémantique)|combinaison]] nous livre un élément de réponse. En effet, cette association suggère l'idée de la torture intérieure de Roublev, qui est matérialisée par la pierre chaude. Un autre parallélisme s'établit cette fois à l'intérieur de l'épisode : Roublev tient la pierre, avec une tenaille et la sourde-muette tient la pomme avec la [[main]]. La pomme annonce la [[trahison]] prochaine de la sourde-muette. Nous avons vu par parties les principales figures de la trahison d'Eve: l'[[arbre]], la couleuvre, le couple, il manquait la pomme, pour transposer le péché originel, qui est, par ailleurs, une question de [[choix]] et de [[doute]]. <ref>Cf. '''F. Cesarman''', à propos de la pomme dans ''Tristana'' de L. Buñuel : ()"Tristana offre une pomme à Saturne (…) la pomme n'a pas ici la valeur de symbole démoniaque et destructeur mais témoigne simplement du besoin qu'éprouve Tristana de donner pour être aimée et acceptée". ''[[Thèse:Bibliographie#ancre_3|Pp. cit.]]'', p. 202. La dernière image du film termine de cette façon : (…) "Tristana offre une pomme au jeune sourd-muet, scène qui revêt alors une toute autre importance." p. 215. </ref>


Les aspects liés à la superstition offrent d'autres éléments de réponse. Pour Frazer, (…) "le transfert du mal dans une pierre ou bien dans un homme ou un animal, par l'intermédiaire d'une pierre, est une pratique magique commune à tous les primitifs du monde. "Chez les Anciens, la pierre servait également à la divination comme médiatrice entre Dieu et le prophète : (…) "la sibylle transportait une pierre avec elle et montait sur elle pour prophétiser." <ref>'''Chevalier/Gherrbrant''', ''Dictionnaire des Symboles'', ''[[Thèse:Bibliographie#ancre_12|op. cit.]]'', p. 755.  </ref>  Il existait un art divinatoire, la lithomancie, qui utilisait plusieurs cailloux, (…) "qu'on poussait l'un contre l'autre et dont le son plus ou moins clair ou aigu donnait à connaître la volonté des Dieux." <ref>'''Collin de Plancy''', ''Dictionnaire Infernale…'', ''[[Thèse:Bibliographie#ancre_12|op. cit.]]'', Article, lithomancie.  </ref>  Enfin, ceux qui ont (…) "un besoin urgent de protection ou de secours, doivent jeter une pierre "dans un endroit sacré, église ou cimetière." <ref> ''Dictionnaire des superstitions'', Le jas, Forcalquier, Editions Robert Morel, 1967. </ref>  Il existe enfin, une tradition superstitieuse qui veut que certaines pierres, (…) "ne doivent pas être touchées, car le mal (qui) s'y est transféré peut-être redonné par contamination." <ref>'''Chevalier/Gherrbrant''', ''Dictionnaire des Symboles'', ''[[Thèse:Bibliographie#ancre_12|op. cit.]]'', p. 756.  </ref> Nous allons suivre à présent les effets de la chute de la pierre.


Lire la suite, (à propos de la sourde-muette capée et enlevée par le chef tatar.)
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====Que devient Andreï Roublev ?====


Cependant ici, le thème est inversé : c'est l'homme qui donne la pomme à la femme et, par la suite, elle accèdera à la connaissance, elle accèdera à l'amour, en voulant épouser le chef tatar. Nous verrons à ce moment-là l'aboutissement et la confirmation de certaines figures provenant d'autres épisodes. Toutefois, à quoi accède Roublev ? Il en est où ? Que devient-t-il ? Comment va-t-il ? L'explication ne peut venir que des images. D'abord, il tient la pierre à distance, avec des tenailles. Comme si toutes les choses étaient distantes de lui ? Comme s'il considérait toute chose avec des pincettes ? Il y a une espèce de changement anatomique : les mains n'ont plus toutes leurs fonctions. Il ressemble étrangement à un [[#ancre_1|"homme-insecte"]]. Mais pour un peintre, les mains sont primordiales. De plus, elles ne tiennent plus de la peinture, mais une pierre. Le plan 291, suggère aussi une allusion à la légende de Sisyphe.


III - 1. 3. La relation entre la pierre et les crachats


Que doit-on dire à présent de Roublev, est-ce qu'il s'est séparé de la sourde-muette ? Ou est-ce qu'il en est délivré ? Peut-on voir dans ce fait un début de délivrance du serment de Roublev ? Pour l'instant, nous ne pouvons pas l'affirmer : il n'a pas reconnu son camarade Kyril. Après le départ de la compagne-serment, il retourne à sa tâche, à sa distance, il retourne à sa pierre, à son silence. La pierre devenant le symbole parfait de son silence ou plutôt, dans le poids de la pierre, il y a le poids de son silence. Mais quelle est la relation entre la pierre et les crachats ? Ou bien devrons-nous dire, quelle est la place des crachats dans l'épisode de la pierre ? Car pour Roublev, il s'agit après tout, d'un amour de pierre : l'épisode commence et se conclut avec la pierre et les crachats.
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Plus précisément alors, nous pouvons souligner que la place des crachats est la terre, un sol enneigée, froid ; les crachats et la pierre atterrissent sur le sol. Et pour que la graine de la parole et la bienveillance humaine donnent des fruits, il faudra attendre la pluie abondante du VIIIème épisode, la fougue débordante d'un jeune homme dans la boue de la terre, dans le son et le bruit de la terre, dans le brassage argileux de sa substance. Tarkovski prépare remarquablement la délivrance de Roublev et donc la délivrance de l'art dans le spirituel. C'est aussi une thématique tarkovskienne, la quête de la foi. Comme le dit le Stalker, "L'important c'est de ne pas perdre sa foi." Roublev n'avait pas perdu sa foi. Sa foi a été violemment perturbée, bouleversée. Il choisit donc de livrer son silence à Dieu. Il n'a pas perdu sa foi, parce qu'il est resté au monastère, et il s'est occupé du fardeau de son silence : la sourde-muette. Contrairement à Kyril, pour beaucoup moins que ça, au IIIème épisode, il tue son chien, il jette son baluchon, c'est-à-dire son fardeau, et il s'en va pour atterrir dans un lac gelé, "l'œil de la terre",[1] poursuivi par les "cousins" du chien, les loups. Kyril, bien plus tard, avouera à Roublev son incrédulité et sa perte de foi. Kyril ne livre pas son silence à Dieu, mais il a la voix enrouée, comme si elle venait des profondeurs de la terre, une voix déterrée. De plus, si nous remontons à l'origine du silence de Roublev, au plan 240, il tue un russe parce que ce dernier a emporté la sourde-muette sur son épaule pour la violer. Au VIIème épisode, 4 ans plus tard, le chef tatar emporte la sourde-muette sur le dos d'un cheval, et Roublev continue sa tâche, comme si de n'était rien. On peut dire que Kyril revient des loups, et Roublev revient des tatars.


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====Signification de la pierre :  symbole de "la vie statique"====


[1] G. Bachelard, L'eau et les rêves, op. cit.,
"Dans la tradition, la pierre occupe une place de choix. Il existe entre l'âme et la pierre un rapport étroit. Suivant la légende de Prométhée, procréateur du genre humain. (…) La pierre brute descend du ciel ; transmuée, elle s'élève vers lui." <ref> '''Chevalier/Gherrbrant''', ''Dictionnaire des Symboles'', ''[[Thèse:Bibliographie#ancre_12|op. cit.]]'', p. 751. </ref> "Le temple doit être construit avec de la pierre brute, non de la pierre taillée." <ref>Exode 20, 25.  </ref> J. –P. Roux, dans son étude sur les croyances des peuples altaïques, oppose la signification symbolique de la pierre à celle de l'arbre : (…) "semblable à elle-même depuis que les ancêtres les plus reculés l'ont érigée ou ont, sur elle, gravé leurs messages, elle est éternelle, elle est le symbole de "la vie statique", tandis que l'arbre, soumis à des cycles de vie et de mort, mais qui possède le don inouï de la perpétuelle régénération, est le symbole de "la vie dynamique". <ref>'''J. –P. Roux''', ''Faune et Flore sacrées dans les sociétés Altaïques'', Paris, 1966, p. 52.  </ref> La figure de la pierre est inscrite en profondeur dans le génome universel de l'humanité. <ref>Cf. '''G. Durand''' : (...) "Bétyle, pierre levée, flèche du cocher signifient selon G. de Saint-Thierry, "vigilance et attente de l'union divine"(cité par '''M. Davy''', ''Essai sur la symbolique romane'', p. 13.), ''[[Thèse:Bibliographie#ancre_12|op. cit.]]'', pp. 142-143 ; 214; pierre plate, 354 ; 392.  </ref> La pierre est aussi le premier objet-outil de l'homme.


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III – 1. 4. Liens spécifiques du film


Voir : Andreï Roublev
====Superstition de la pierre====


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Les aspects liés à la superstition offrent d'autres éléments de réponse. Pour Frazer, (…) "le transfert du mal dans une pierre ou bien dans un homme ou un animal, par l'intermédiaire d'une pierre, est une pratique magique commune à tous les primitifs du monde. "Chez les Anciens, la pierre servait également à la divination comme médiatrice entre Dieu et le prophète : (…) "la sibylle transportait une pierre avec elle et montait sur elle pour prophétiser." <ref>'''Chevalier/Gherrbrant''', ''Dictionnaire des Symboles'', ''[[Thèse:Bibliographie#ancre_12|op. cit.]]'', p. 755.  </ref>  Il existait un art divinatoire, la lithomancie, qui utilisait plusieurs cailloux, (…) "qu'on poussait l'un contre l'autre et dont le son plus ou moins clair ou aigu donnait à connaître la volonté des Dieux." <ref>'''Collin de Plancy''', ''Dictionnaire Infernale…'', ''[[Thèse:Bibliographie#ancre_12|op. cit.]]'', Article, lithomancie.  </ref>  Enfin, ceux qui ont (…) "un besoin urgent de protection ou de secours, doivent jeter une pierre "dans un endroit sacré, église ou cimetière." <ref> ''Dictionnaire des superstitions'', Le jas, Forcalquier, Editions Robert Morel, 1967. </ref>  Il existe enfin, une tradition superstitieuse qui veut que certaines pierres, (…) "ne doivent pas être touchées, car le mal (qui) s'y est transféré peut-être redonné par contamination." <ref>'''Chevalier/Gherrbrant''', ''Dictionnaire des Symboles'', ''[[Thèse:Bibliographie#ancre_12|op. cit.]]'', p. 756.  </ref> Nous allons suivre à présent les effets de la chute de la pierre.


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[[Cape#La cape de la sourde-muette|Lire la suite]], (à propos de la sourde-muette capée et enlevée par le chef tatar.)


''' <span id="ancre_30">Plan</span> ''' '' ''&quot;


<span id="ancre_1"></span> [[Fichier:p.jpg|200px|thumb|right|'''Photogramme - Génuflexion 1''' : ''Andreï Roublev'', '''Plan '''.  ]]
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====Liens spécifiques du film====
====La relation entre la pierre et les crachats====


Que doit-on dire à présent de Roublev, est-ce qu'il s'est séparé de la sourde-muette ? Ou est-ce qu'il en est délivré ? Peut-on voir dans ce fait un début de délivrance du serment de Roublev ? Pour l'instant, nous ne pouvons pas l'affirmer : il n'a pas reconnu son camarade Kyril. Après le départ de la compagne-serment, il retourne à sa tâche, à sa distance, il retourne à sa pierre, à son silence. La pierre devenant le symbole parfait de son silence ou plutôt, dans le poids de la pierre, il y a le poids de son silence. Mais quelle est la relation entre la pierre et les [[Crachat|crachats]] ? Ou bien devrons-nous dire, quelle est la place des crachats dans l'épisode de la pierre ? Car pour Roublev, il s'agit après tout, d'un amour de pierre : l'épisode commence et se conclut avec la pierre et les crachats.


Voir : ''[[Andreï Roublev]]''
Plus précisément alors, nous pouvons souligner que la place des crachats est la terre, un sol enneigée, froid ; les crachats et la pierre atterrissent sur le sol. Et pour que la graine de la parole et la bienveillance humaine donnent des fruits, il faudra attendre la pluie abondante du [[Drap#La figure du drap plié en cloche|VIIIème épisode]], la fougue débordante d'un jeune homme dans la boue de la terre, dans le son et le bruit de la terre, dans le brassage argileux de sa substance. Tarkovski prépare remarquablement la délivrance de Roublev et donc la délivrance de l'art dans le spirituel. C'est aussi une thématique tarkovskienne, la quête de la foi. Comme le dit le Stalker, "''L'important c'est de ne pas perdre sa foi.''" Roublev n'avait pas perdu sa foi. Sa foi a été violemment perturbée, bouleversée. Il choisit donc de livrer son silence à Dieu. Il n'a pas perdu sa foi, parce qu'il est resté au monastère, et il s'est occupé du fardeau de son silence : la [[Paille#ancre_180|sourde-muette]]. Contrairement à Kyril, pour beaucoup moins que ça, au IIIème épisode, il tue son [[Chien#Les enchaînements de la figure du chien |chien]], il jette son baluchon, c'est-à-dire son fardeau, et il s'en va pour atterrir dans un lac gelé, "l'œil de la terre", <ref>'''G. Bachelard''', ''L'eau et les rêves'', ''[[Thèse:Bibliographie#ancre_14|op. cit.]]'' </ref> poursuivi par les "cousins" du chien, les loups. Kyril, bien plus tard, avouera à Roublev son incrédulité et sa perte de foi. Kyril ne livre pas son silence à Dieu, mais il a la voix enrouée, comme si elle venait des profondeurs de la terre, une voix déterrée. De plus, si nous remontons à l'origine du silence de Roublev, au [[Homicide#L’homicide d’Andreï Roublev|plan 240]], il tue un russe parce que ce dernier a emporté la sourde-muette sur son épaule pour la violer. Au VIIème épisode, 4 ans plus tard, le chef tatar emporte la sourde-muette sur le dos d'un cheval, et Roublev continue sa tâche, comme si de n'était rien. On peut dire que Kyril revient des loups, et Roublev revient des tatars.




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Voir : ''[[Miroir (Le)|Miroir (Le)]]''
Voir : ''[[Andreï Roublev]]''
 




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== Voir aussi ==
*[[Oiseau]]
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Version du 30 septembre 2011 à 23:35

Andreï Roublev, plan 291. Andreï Roublev tenant fermement la pierre chaude avec la paire de tenailles.



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Titres des films

Mode d'emploi de la figure (mot) et abréviations


Titre Titre original Réalisation Scénario Année Pays Durée (min.)
Jardins de Pierre Gardens of Stone Coppola Francis Ford Bass R. 1987 USA 112
Raining Stones Raining Stones Loach Ken Allen J. 1993 Angleterre 90
* * *


Autres titres de films

Mode d'emploi de la figure (mot) et abréviations


Titre Titre original Réalisation Scénario Année Pays Durée
Andreï Roublev (Voir détail : Andreï Rublyov) Tarkovski Andreï Tarkovski A.
Konchalovsky A.
1969 URSS 215
Liste de Schindler (La) Schindler‘s List Spielberg Steven Zaillian S., livre de Keneally T. 1993 USA 195


* * *



Photogrammes extraits des films - Analyse et liens spécifiques des films

Andreï Roublev, d’Andreï Tarkovski

«  Ce qui est intéressant au cinéma,

ce n'est jamais le symbole, c'est sa fabrication, c'est le devenir-symbole du moindre objet. »
— Serge Daney, op. cit., p 74.


*


Au VIIème épisode - L’Amour. Hiver 1412

Quatre ans viennent de passer. C'est un temps relativement important pour la cinémancie. Nous avons vu que cette dernière est inscrite toujours dans le triple temps. Mais ce triple temps peut avoir une grande élasticité, particulièrement pour le passé et le futur où ils sont, soit à court terme, comme par exemple pour les trois derniers épisodes qui sont de 1408, soit à long terme, comme dans ce VIIème épisode, avec quatre ans d'intervalle. [1]

Plan 278-2 [2] : 2h 05' 59" : Plan général d'un monastère et d'une grande cour enneigée.

Plan 279-3 : 2h 07' 12" : Plan rapproché sur la sourde-muette qui mange la végétation qui se trouve sur les écorces des bûches.

Plan 280-4 : 2h 07' 24" : Roublev sort et remarque le "repas végétarien" de la sourde-muette. Il avance vers elle et la force en faisant des gestes et en lui mettant le doigt dans la bouche pour cracher ce qu'elle mange.

Plan 281-5 : 2h 07' 33" : Roublev piétine le crachat de la sourde-muette. Cette dernière pleure un moment près d'un tronc d'arbre, et quelques instants après, elle imite Roublev, et piétine, avec jubilation et en s'amusant ce qu'elle a craché.

(Dans cet intervalle (plans 282 – 287), il y a le retour de Kyril au monastère.)

Plan 288-12 : 2h 13' 30" : Les Tatars font une entrée bruyante dans la cour paisible du monastère.

Plan 289-13 : 2h 13' 58" : Roublev est muni d'une grande paire de tenailles qu'utilisent les forgerons. Il tient fermement les deux poignées des tenailles et veut saisir une pierre de la taille d'une grosse pomme.

Plan 290-14 : 2h 14' 25" : Plan rapproché de la sourde-muett e, elle mange une pomme. C'est une seconde représentation d'Eve et de la pomme. A l'arrière plan l'agitation rustre des Tatars.

Plan 291-15 : 2h 14' 42" : Plan dynamique : Gros plan de la paire de tenailles sur le feu. Il est identique au plan 242-59, celui de la croix sur le feu, qui précédait la torture du trésorier. Ici, Roublev n'est visiblement pas troublé outre mesure par la présence des Tatars. Il agit comme si c'était une présence habituelle. Il continue son obscure tâche : il soulève la pierre chaude, il avance tout doucement à gauche en tenant fermement les tenailles. Il se dirige vers un baril d'eau. Il veut poser la pierre dans le baril. Il n'est plus qu'à quelques centimètres du baril. (Cf. Photogramme – Pierre.) Tout à coup, la pierre tombe sur la neige.


Plan 292-16 : 2h 15' 03" : Gros plan de la pierre fumante sur la neige.


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La valeur du procédé de parallélisme entre épisodes – Changement psychologique d'Andreï Roublev

Qu'est ce que cela veut dire ? Quelle est la place de ces images dans le film ? A quoi correspondent-t-elles ? La présence de la paire de tenailles, du feu, de la pierre et de l'eau ne nous propose-t-elle pas une vision du changement psychologique de Roublev ? Nous avons déjà distingué le procédé de parallélisme entre épisodes, notamment avec le plan 242. Ce procédé est un facteur majeur dans l'élaboration des fondements filmiques, car leur combinaison nous livre un élément de réponse. En effet, cette association suggère l'idée de la torture intérieure de Roublev, qui est matérialisée par la pierre chaude. Un autre parallélisme s'établit cette fois à l'intérieur de l'épisode : Roublev tient la pierre, avec une tenaille et la sourde-muette tient la pomme avec la main. La pomme annonce la trahison prochaine de la sourde-muette. Nous avons vu par parties les principales figures de la trahison d'Eve: l'arbre, la couleuvre, le couple, il manquait la pomme, pour transposer le péché originel, qui est, par ailleurs, une question de choix et de doute. [3]


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Que devient Andreï Roublev ?

Cependant ici, le thème est inversé : c'est l'homme qui donne la pomme à la femme et, par la suite, elle accèdera à la connaissance, elle accèdera à l'amour, en voulant épouser le chef tatar. Nous verrons à ce moment-là l'aboutissement et la confirmation de certaines figures provenant d'autres épisodes. Toutefois, à quoi accède Roublev ? Il en est où ? Que devient-t-il ? Comment va-t-il ? L'explication ne peut venir que des images. D'abord, il tient la pierre à distance, avec des tenailles. Comme si toutes les choses étaient distantes de lui ? Comme s'il considérait toute chose avec des pincettes ? Il y a une espèce de changement anatomique : les mains n'ont plus toutes leurs fonctions. Il ressemble étrangement à un "homme-insecte". Mais pour un peintre, les mains sont primordiales. De plus, elles ne tiennent plus de la peinture, mais une pierre. Le plan 291, suggère aussi une allusion à la légende de Sisyphe.


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Signification de la pierre : symbole de "la vie statique"

"Dans la tradition, la pierre occupe une place de choix. Il existe entre l'âme et la pierre un rapport étroit. Suivant la légende de Prométhée, procréateur du genre humain. (…) La pierre brute descend du ciel ; transmuée, elle s'élève vers lui." [4] "Le temple doit être construit avec de la pierre brute, non de la pierre taillée." [5] J. –P. Roux, dans son étude sur les croyances des peuples altaïques, oppose la signification symbolique de la pierre à celle de l'arbre : (…) "semblable à elle-même depuis que les ancêtres les plus reculés l'ont érigée ou ont, sur elle, gravé leurs messages, elle est éternelle, elle est le symbole de "la vie statique", tandis que l'arbre, soumis à des cycles de vie et de mort, mais qui possède le don inouï de la perpétuelle régénération, est le symbole de "la vie dynamique". [6] La figure de la pierre est inscrite en profondeur dans le génome universel de l'humanité. [7] La pierre est aussi le premier objet-outil de l'homme.


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Superstition de la pierre

Les aspects liés à la superstition offrent d'autres éléments de réponse. Pour Frazer, (…) "le transfert du mal dans une pierre ou bien dans un homme ou un animal, par l'intermédiaire d'une pierre, est une pratique magique commune à tous les primitifs du monde. "Chez les Anciens, la pierre servait également à la divination comme médiatrice entre Dieu et le prophète : (…) "la sibylle transportait une pierre avec elle et montait sur elle pour prophétiser." [8] Il existait un art divinatoire, la lithomancie, qui utilisait plusieurs cailloux, (…) "qu'on poussait l'un contre l'autre et dont le son plus ou moins clair ou aigu donnait à connaître la volonté des Dieux." [9] Enfin, ceux qui ont (…) "un besoin urgent de protection ou de secours, doivent jeter une pierre "dans un endroit sacré, église ou cimetière." [10] Il existe enfin, une tradition superstitieuse qui veut que certaines pierres, (…) "ne doivent pas être touchées, car le mal (qui) s'y est transféré peut-être redonné par contamination." [11] Nous allons suivre à présent les effets de la chute de la pierre.

Lire la suite, (à propos de la sourde-muette capée et enlevée par le chef tatar.)


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La relation entre la pierre et les crachats

Que doit-on dire à présent de Roublev, est-ce qu'il s'est séparé de la sourde-muette ? Ou est-ce qu'il en est délivré ? Peut-on voir dans ce fait un début de délivrance du serment de Roublev ? Pour l'instant, nous ne pouvons pas l'affirmer : il n'a pas reconnu son camarade Kyril. Après le départ de la compagne-serment, il retourne à sa tâche, à sa distance, il retourne à sa pierre, à son silence. La pierre devenant le symbole parfait de son silence ou plutôt, dans le poids de la pierre, il y a le poids de son silence. Mais quelle est la relation entre la pierre et les crachats ? Ou bien devrons-nous dire, quelle est la place des crachats dans l'épisode de la pierre ? Car pour Roublev, il s'agit après tout, d'un amour de pierre : l'épisode commence et se conclut avec la pierre et les crachats.

Plus précisément alors, nous pouvons souligner que la place des crachats est la terre, un sol enneigée, froid ; les crachats et la pierre atterrissent sur le sol. Et pour que la graine de la parole et la bienveillance humaine donnent des fruits, il faudra attendre la pluie abondante du VIIIème épisode, la fougue débordante d'un jeune homme dans la boue de la terre, dans le son et le bruit de la terre, dans le brassage argileux de sa substance. Tarkovski prépare remarquablement la délivrance de Roublev et donc la délivrance de l'art dans le spirituel. C'est aussi une thématique tarkovskienne, la quête de la foi. Comme le dit le Stalker, "L'important c'est de ne pas perdre sa foi." Roublev n'avait pas perdu sa foi. Sa foi a été violemment perturbée, bouleversée. Il choisit donc de livrer son silence à Dieu. Il n'a pas perdu sa foi, parce qu'il est resté au monastère, et il s'est occupé du fardeau de son silence : la sourde-muette. Contrairement à Kyril, pour beaucoup moins que ça, au IIIème épisode, il tue son chien, il jette son baluchon, c'est-à-dire son fardeau, et il s'en va pour atterrir dans un lac gelé, "l'œil de la terre", [12] poursuivi par les "cousins" du chien, les loups. Kyril, bien plus tard, avouera à Roublev son incrédulité et sa perte de foi. Kyril ne livre pas son silence à Dieu, mais il a la voix enrouée, comme si elle venait des profondeurs de la terre, une voix déterrée. De plus, si nous remontons à l'origine du silence de Roublev, au plan 240, il tue un russe parce que ce dernier a emporté la sourde-muette sur son épaule pour la violer. Au VIIème épisode, 4 ans plus tard, le chef tatar emporte la sourde-muette sur le dos d'un cheval, et Roublev continue sa tâche, comme si de n'était rien. On peut dire que Kyril revient des loups, et Roublev revient des tatars.


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Liens spécifiques du film

Voir : Andreï Roublev



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Notes et références

  1. La question qui se pose c'est celle de savoir, s'il y a une validité permanente des figures dans le temps. Cela complique encore plus la question. Ainsi, dans L'Intendant Sancho, la scène de l'arrachement de la branche est représentée une seconde fois avec dix ans d'intervalle, et dans les deux scènes nous assistons au début d'un grand malheur qui s'abat sur la famille, et les deux fois une certaine euphorie précède l'acte d'arrachement. Il est de tradition de demander à l'arbre (ou à la forêt) la permission de prendre avec humilité ses enfants. Les deux images anticipent la séparation de la mère et des enfants. Cet exemple, peut impliquer qu'il n'y a pas d'obstacle à la permanence d'une figure.
  2. Le premier chiffre correspond aux plans du film depuis le début du film, le second chiffre aux plans du film depuis le début de l'épisode.
  3. Cf. F. Cesarman, à propos de la pomme dans Tristana de L. Buñuel : (…)"Tristana offre une pomme à Saturne (…) la pomme n'a pas ici la valeur de symbole démoniaque et destructeur mais témoigne simplement du besoin qu'éprouve Tristana de donner pour être aimée et acceptée". Pp. cit., p. 202. La dernière image du film termine de cette façon : (…) "Tristana offre une pomme au jeune sourd-muet, scène qui revêt alors une toute autre importance." p. 215.
  4. Chevalier/Gherrbrant, Dictionnaire des Symboles, op. cit., p. 751.
  5. Exode 20, 25.
  6. J. –P. Roux, Faune et Flore sacrées dans les sociétés Altaïques, Paris, 1966, p. 52.
  7. Cf. G. Durand : (...) "Bétyle, pierre levée, flèche du cocher signifient selon G. de Saint-Thierry, "vigilance et attente de l'union divine"(cité par M. Davy, Essai sur la symbolique romane, p. 13.), op. cit., pp. 142-143 ; 214; pierre plate, 354 ; 392.
  8. Chevalier/Gherrbrant, Dictionnaire des Symboles, op. cit., p. 755.
  9. Collin de Plancy, Dictionnaire Infernale…, op. cit., Article, lithomancie.
  10. Dictionnaire des superstitions, Le jas, Forcalquier, Editions Robert Morel, 1967.
  11. Chevalier/Gherrbrant, Dictionnaire des Symboles, op. cit., p. 756.
  12. G. Bachelard, L'eau et les rêves, op. cit.


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