« Maître (Le) » : différence entre les versions
(Une version intermédiaire par le même utilisateur non affichée) | |||
Ligne 156 : | Ligne 156 : | ||
<center>*</center> | <center>*</center> | ||
<span id="ancre_11p"></span> | |||
[[Fichier:maitrep11.jpg|300px|thumb|right|'''Photogramme 11''' : ''Le Maître'', '''Plan 36'''. Angela qui demande à Alexandre, « ''Pourquoi tu es comme ça ?'' » Il lui réponds : « ''Je suis comme toi'' ». ]] | [[Fichier:maitrep11.jpg|300px|thumb|right|'''Photogramme 11''' : ''Le Maître'', '''Plan 36'''. Angela qui demande à Alexandre, « ''Pourquoi tu es comme ça ?'' » Il lui réponds : « ''Je suis comme toi'' ». ]] | ||
Ligne 516 : | Ligne 516 : | ||
<span id="ancre_35p"></span> | <span id="ancre_35p"></span> | ||
[[Fichier:maitrep35.jpg|400px|thumb|center|'''Photogramme 35''' : ''Le Maître'', '''Plan | [[Fichier:maitrep35.jpg|400px|thumb|center|'''Photogramme 35''' : ''Le Maître'', '''Plan 106'''. Angela et Elodie coiffent Anna.]] | ||
Dernière version du 29 mars 2013 à 15:26
Aspects techniques du film
Maître (Le) : Année de réalisation : 2005, diffusion 30 septembre 2005.
Titre original : Mistrz (Pologne), Der Meister (Allemagne), The Master (Titre international anglais).
Réalisation : Piotr Trzaskalski.
Pays : Pologne, Allemagne. 117 minutes, couleur.
Nombre de plans (ici, "plan" désigne,"tout morceau de film compris entre deux changements de… plan) : 219
Langues : Polonais, russe.
Production : Agencja Produckcji Filmowej.
Directeur de Production : Jacek Gawryszczak.
Scénario : Piotr Trzaskalski et Wojciech Lepianka.
Images (zdjecia) : Piotr Sliskowski P.S.C.
Décors (scénographie) : Wojciech Zogala.
Costumes : Monika Ugrewicz.
Son (dzwiek) : Jan Freda.
Musique : Wojciech Lemanski.
Montage : Cezary Kowelezuk.
Principaux acteurs :
• Maître Aleksandr Sapalov : Konstantin Lavronenko.
• Musicien (Mlody) : Jacek Braciak.
• Angela : Teresa Branna.
• Anna : Monika Buchowiec.
• Elodie : Aurélia Georges.
• Ela Snigorska : Elzbieta Snigorska.
Résumé du film
Alexandre, dit "le maître", excelle dans l'art du lancer de couteaux. Mais cet ancien soldat russe qui a vécu l'enfer de la guerre en Afghanistan est aussi très porté sur la bouteille. Un jour, alors qu'il a encore une fois trop bu, il ouvre toutes les cages des animaux du cirque. Renvoyé, Alexandre décide de monter son propre numéro et de se lancer sur les routes de Pologne. Lors de ses pérégrinations, il rencontre Andzela, une prostituée, et Mlody, un accordéoniste. La première devient son assistante, et le second son accompagnateur musical. Le trio est bien décidé à amasser suffisamment d'argent pour se rendre à Paris. Mais l'apparition de la belle Anna change radicalement la donne...
Auteur : Cinémotions.com
Le Maître : Chef-d'œuvre inconnu
Encore une fois, nous ne comprenons pas comment un film comme Le Maître, d’une si grande envergure, d’une si grande beauté, riche en rebondissements, en nouveautés, en situations, en innovations, reste inaperçu et passe sous silence. Certes le film a eu des récompenses (Festival du film de Miami (2006) et de Pologne (2005). Mais, que font-ils donc les organisateurs des grands festivals ? Pourquoi des voix ne s’élèvent-elle pas pour signaler et corriger cette immense méprise culturelle ? Pourquoi le féodalisme culturel pèse lourdement sur la rigidité des structures culturelles ? Mais nous ne sommes pas là pour parler des lacunes et des choix des festivals de cinéma. Mais seulement d’attirer l’attention sur un film rare, exceptionnel et tout simplement sublime. Un chef-d’œuvre.
En effet, la construction de l’édifice filmique est à la fois légère et haute. Le ciel est à ses pieds. Les transitions, le montage et le rythme du film sont franchement remarquables et bien souvent inédits (comme par exemple les plans d’ouvertures, les plans en plongée, le rideau d’eau, le croisement du bus et du bateau, etc.)… Finalement, nous pouvons dire que le seul défaut de ce film est qu’il n’en a pas, jamais de lourdeur, de remplissage, de fioriture, tout est à sa place. C’est un bel exemple, en ce qui nous concerne, d’une composition filmique parfaite.
Nous sommes fermement persuadé que le cinéma reste un continent à découvrir, un continent avec des richesses insoupçonnables… Ainsi, nous inaugurons, à travers le film, Le Maître, de l’éblouissant réalisateur polonais, Piotr Trzaskalski, (un nom à retenir), une nouvelle orientation, une autre direction dans l’étude de la cinémancie. En effet, comme nous l’avons déjà dit ailleurs, l’analyse d’un film s’effectue d’une part, du premier plan du film au dernier plan, en tenant compte de la bande son et des dialogues ; et d’autre part, en établissant des combinaisons qui rendent le film si profond.
D’ailleurs, il nous semble que l’art cinématographique est essentiellement, un art des combinaisons, un art des liaisons. De plus, il ne s’agit pas seulement des liaisons des images, des paroles, des sons, des objets, mais aussi, des liaisons extra-cinématographiques : la relation avec le spectateur, la société, le monde… Mais, cette méthode d’analyse nécessite un temps considérable, avec en un premier temps la constitution d’un corpus d’image significatif, et en un second temps, l’approche par tâtonnements des « relations significatives » du film [1]. Nous sommes conscient que cette approche est hypothétique et discutable…
Nous allons tout d’abord, établir un corpus d’image du film, et ce n’est qu’en second temps, que nous allons effectuer notre analyse. C’est une nouvelle méthode, car contrairement à l’édition du livre, ou l’ordre des pages (et de l’analyse) est à respecter scrupuleusement, grâce à Internet, nous pouvons modifier cette méthode d’analyse strictement linéaire, et d’effectuer des changements instantanés et répétitifs, selon l’orientation du discours. C’est comme si nous partagions, avant analyse, notre « brouillon » ou plan de travail avec le public. Ainsi, la page Internet aura une double fonction, un support de mémoire visuel des plans du film, et un partage des images (magnifiques) du film.
(14 mars 2010 - 10 mars 2011)
Photogrammes extraits des films - Analyse et liens spécifiques du film.
Le Maître, de Piotr Trzaskalski (2005)
Prologue
Photogramme 1. Plan 1. 00h 00' 10" : Prologue. L’enfant aveugle, les clochettes et la balançoire.
Un Cirque en ville
Photogramme 2. Plan 3. 00h 02' 15" : Un éléphant abandonné dans la ville.
Alexandre est renvoyé
Photogramme 3. Plan 4. 00h 03' 38" : Alexandre, le lanceur de couteau, dans la cage des singes.
Alexandre sera renvoyé. Il quitte le Cirque avec son Bus. Une espèce de « maison » mobile.
Photogramme 4. Plan 5. 00h 05' 30" : Le Bus d’Alexandre qui se faufile entre les maisons.
Photogramme 5. Plan 6. 00h 05' 57" : L’image d’Alexandre reflété dans le rétroviseur du Bus. Son passé est derrière lui, il avance vers l’inconnu. (Cette image sera montrée une seconde fois, à la fin du film (plan 214, 1h 40’ 13’’).
Photogramme 6. Plan 7. 00h 06' 48" : Alexandre est de bonne humeur, il peint sur son Bus les lettres : cirque de couteaux.
C’est à ce moment-là qu’il entend les cris d’une personne qui se fait agressée.
Le viol d’Angela
Photogramme 7. Plan 10b. 00h 07' 35" : Alexandre se dirige vers le lieu de l’agression afin de secourir la personne qui hurle.
Il sort un couteau de la main droite. C’est la première apparition d’un couteau.
Il faut dire, qu’il y avait un instant, il tenait un pinceau !
Alexandre libère la fille des mains des agresseurs, en les blessant avec le couteau. Il embarque la jeune femme en larmes dans son Bus.
Premier dialogue entre Alexandre et Angela
Photogramme 8. Plan 11a. 00h 07' 49" : Angela, c’est le nom de la jeune femme, continue à pleurer tout en enlevant une perruque couleur cuivre rouge.
Photogramme 9. Plan 11b. 00h 07' 53" : Sous la perruque apparaissent les cheveux naturels et blonds d’Angela. Alexandre lui propose de devenir son assistante.
Premier spectacle à deux : Polyphème
Photogramme 10. Plan 24. 00h 10' 38" : Alexandre au cours son spectacle. Les yeux bandés, il doit « délivrer » (pour la seconde fois) Angela des bras de Polyphème [2]. Mais Angela prise de panique, prendra la fuite en public, laissant Alexandre dans le noir.
L’amour passagé d’Alexandre et Angela
Photogramme 11. Plan 36. 00h 12' 27" : Angela revient s’excuser auprès d’Alexandre, mais ce dernier est insensible aux charmes d’Angela, qui lui dit : Pourquoi tu es comme ça ? Alexandre lui réponds : « Je suis comme toi ».
Le Jeu du verre
Photogramme 12. Plan 37. 00h 13' 26" : Dans une auberge, Alexandre faisait des paris avec le « jeu du verre ». Il s’agit de laisser tomber un verre d’une certaine hauteur, et Alexandre devait rattraper le verre avant qu’il touche le sol. Nous distinguons, assis, à gauche de l'image, le Musicien qui assiste pour la première fois à un numéro du Maître.
L’agression d’Alexandre : la rencontre avec le Musicien
Photogramme 13. Plan 38. 00h 15' 47" : Alexandre sort de l’auberge riche et ivre, mais il sera agressé par deux individus. Il est allongé au sol. Au même moment, le Musicien sort de l’auberge, il remarque Alexandre, il avance vers lui pour l’aider à se relever.
- Alexandre : Ah, c’est toi, le musicien.
- Le Musicien : J’allai prendre le bus.
- Alexandre : Tu voulais aller où ?
- Le Musicien : Quelque part ?
- Alexandre : Bon, alors on va dans la même direction.
Premier jour de Voyage en Bus
Photogramme 14. Plan 40b. 00h 17' 57" : Le bus s’arrête, les deux hommes descendent pour se soulager. Le Musicien dit à Alexandre :
- Cirque de couteaux, ça veut dire quoi ?
- Alexandre : Je lance des couteaux.
- Le Musicien : Hier, ce n’était pas un couteau (allusion au jeu de verre).
- Alexandre : Hier, c’était juste comme ça, pour s’amuser. (Alexandre se présente) Alexandre Sapalov, Maître des arts du cirque. Diplômé. Chez nous on avait un diplôme pour tout.
- Le Musicien : Enchanté.
- Alexandre : Et toi, tu as des projets.
- Le Musicien : Comme tout le monde.
- Alexandre : Moi c’est Paris, me produire là-bas. Ca c’est un endroit pour le cirque. Là-bas ils comprennent les artistes, toujours, Chagall… Magritte…
- Le Musicien : C’étaient des peintres.
- Alexandre : Et alors ? Je ne suis pas un artiste si je lance des couteaux ? L’art c’est l’art.
Le thé à la Vodka
Photogramme 15. Plan 41. 00h 18' 44" : Alexandre veut fêter à sa manière la rencontre en triangle de ses nouveaux amis. Il verse de la vodka dans le thé de ses nouveaux collaborateurs. Mais, il n’a pas eu, en retour, la réaction espérée. En effet, Angela crachera le liquide avec un certain dégoût, en traitant Alexandre de « crétin », et le Musicien avec la même mixture arrosera le pied d’un arbre. Pour détendre l’atmosphère, Alexandre fait passer la musique de Scriabine par l’énorme haut-parleur du Bus.
Second jour : La proposition d’un spectacle à trois
Photogramme 16. Plan 43. 00h 18' 44" : Le lendemain, à 6 heures du matin, Alexandre réveille ses invités : Il propose de monter des spectacles dans les villages touristiques : avec des allemands et des hollandais. (…) Là encore, il n’aura pas la réaction espérée :
- Angela (à demi-réveillée) : Et, hors saison, on fait quoi ?
- Alexandre : J’ai pensé à tout, on ira à Paris.
- Le Musicien : C’est une idiotie.
- Alexandre : Non, un rêve.
Premier spectacle à trois
Photogramme 17. Plan 49. 00h 23' 02" : Finalement, la première partie de sa proposition a été acceptée par le groupe, puisque le soir, ils feront une représentation sur la place d’un village. L’une des innovations du réalisateur est celle de ne montrer qu’une seule fois un numéro de cirque. Ici, Angela invite une spectatrice de monter sur scène et de tourner un disque géant sur lequel sont disposés symétriquement et en croix quatre cœurs. Alexandre avec maîtrise crèvera les quatre cœurs. Cette scène est prémonitoire, parce qu’elle annonce bientôt, le cœur "percé" d’Anna…
Sur la route
Photogramme 18. Plan 52. 00h 23' 43" : La petite équipe voyage. Le réalisateur s’attarde sur les rideaux flottants du Bus. La caméra fait un panoramique en plan rapproché sur les « paupières » du Bus, d’avant en arrière, pour terminer sur le plan suivant :
Second spectacle
Photogramme 19. Plan 53a. 00h 24' 04" : Un pompier en uniforme de parade ivre, tourne pour s'amsuer, le disque géant du spectacle dépourvu des quatre cœurs. Cette fois-ci, le spectacle a déjà eu lieu, et l’équipe se repose. Alexandre est assis au pied de la scène, une bouteille de vodka à la main. Il invite le pompier à boire :
- Alexandre : Tiens. (Il lui tend la bouteille).
- Le pompier : Je ne peux plus (…)
- Alexandre : Tiens, bois.
- Le pompier : Je ne peux pas, (balbutiant) si ça brûle, le garage, les camions, (…) qui l’éteindrais ?
- Alexandre : Moi j’éteindrais.
- Le pompier : Allez, tu éteindras… Toi l’artiste, tu éteindrais ?
- Alexandre : J’éteindrai d’une main, comme ça.
Le Maître fait un tour de magie en faisant disparaître sa cigarette allumée dans le creux de sa main. Et, en ouvrant sa main, il y avait une nouvelle cigarette qu’il offre au pompier. Il se lève en laissant le pompier perplexe et se dirige vers une auberge.
Photogramme 20. Plan 53b. 00h 25' 28" : Devant l’entrée de l’’auberge, il y avait une table vide sur lequel se trouvait une poule. Alexandre, s’arrête devant la table, en posant ses deux mains sur les bords, et fixe la poule d’un air amusé. Il nous semble que nous avons affaire à une image-clé, qui sera en relation avec la séquence de « l’omelette » (plans 67b et 68), que nous verrons plus loin.
Photogramme 21. Plan 55. 00h 27' 36" : Alexandre entre dans l’auberge, et il trouve Angela et le Musicien qui s’embrassent. Alexandre désinvolte lance au Musicien : Il y a chez toi un secret, je ne sais pas quoi ?
Ensuite, il sort de l’auberge, il se dirige vers la table, y dispose une bouteille, et sans toucher la bouteille, il réussit à la faire léviter. Le Musicien regarde le prodige avec étonnement.
Le lendemain du quatrième jour
Photogramme 22. Plan 56. 00h 28' 27" : C’est le matin, l’équipe range les affaires dans le Bus. Le Musicien s’approche d’Alexandre et lui dit :
- C’était génial, hier, la bouteille (…) Tu pourras aller à Paris.
- Alexandre : Aucune chance.
- Le Musicien : Pourquoi ?
- Alexandre : Parce que je ne le contrôle pas. Si je n’ai pas bu, ça ne marche pas.
- Le Musicien : Pourquoi ?
- Alexandre : C’est la vie….
Notons au passage, la boîte au carton que porte le Musicien, et la corde qu’Alexandre enroule en boule. Autres indices intéressants qui sont significatifs et révélateurs sur le caractère et l’évolution des deux personnages.
Choix d’un itinéraire
Alexandre, tout en roulant, met au point l’itinéraire du trajet, les villages cités sont situés dans le centre nord de la Pologne : Siemiany, Zalewo et Pokorzec. Mais aussitôt, le Musicien refuse de passer par Zalewo : « Si vous aller à Zalewo, je vous quitte. »
La route perdu
Photogramme 23. Plan 58. 00h 29' 55" : L’attitude du Musicien n’a pas tardé d’avoir une conséquence immédiate. C’est qu’en changeant la trajectoire de l’itinéraire, le Bus était perdu en plein champ, sans aucune route à suivre. Alexandre sort du Bus en colère, accompagné d’une bouteille de vodka. Angela et le Musicien profitent de la situation pour coucher ensemble.
Cinquième jour
Alexandre réveille le Musicien en lui annonçant que la Batterie du Bus est vide, et qu’il compte retirer la somme nécessaire pour l’achat d’une nouvelle batterie de son salaire. (Car, il avait laissé les lampes allumées toute la nuit). Ensuite, il lui dit, en désignant Angela (qui ne dormait plus) : Ce n’est qu’une pute.
La Disparition d’Angela
Photogramme 24. Plan 65. 00h 34' 38" : Les deux hommes sont de retour à vélo, après avoir fait des courses. Alexandre monte dans le Bus et comprend qu’Angela est partie en lui volant son argent. Il montre au Musicien le livre vide, dans lequel il cachait son argent. Soulignons au passage, la valeur du livre qui devient de la sorte, le trésor du Maître.
Second dialogue d’Alexandre et du Musicien
Photogramme 25. Plan 66. 00h 35' 01" : Sous la pluie, les deux hommes sont secoués des mauvaises nouvelles (1. La disparition d’Angela ; 2. L’argent volé ; 3. Le Bus en panne au milieu des champs).
- Le Musicien : Comment elle a pu faire ça ?
- Alexandre : Je t’ai dit : c’est une pute.
- Le Musicien : Tu n’aimes pas les femmes ?
- Alexandre : Si, je les adorent. Mais je ne crois pas à l’amour.
- Le Musicien : Pourquoi ?
- Alexandre : Parce que c’est toujours la même histoire. Elle commence pareille. Elle se développe pareille, après elle te dépasse, après elle éclate à cause d’elle ou de toi.
- Le Musicien : Tu confonds l’amour et l’orgasme.
- Alexandre : Non pas du tout. Ensuite, viennent les enfants.
- Le Musicien : On peut aimer sans enfant.
- Alexandre : Si on aime, il y a un enfant.
- Le Musicien : Quel mal, y-a-t-il à ça.
- Alexandre : Quel mal il y a. Je vais te le dire. (Il commence à raconter sa tragique expérience de la guerre en Afghanistan, et le massacre par son unité de cinq enfants afghans…)
- Le Musicien : C’était la guerre, Alexandre.
- Alexandre : C’était la vie. (C’est la seconde fois, que le Maître utilise cette expression. (Voir La 4ème journée.)
Soulignons dans la composition de l’image, (comme dans le photogramme 22, au plan 56), le prolongement en perspective des rails de chemin de fer, derrière Alexandre, qui ne se poursuivent pas au-delà, et qui suggèrent un terminus. Et, en ce qui concerne le Musicien, la présence d’une roue de bicyclette, qui propose l’idée, comme nous allons le voir, d’un certain retour. (Voir : Résonance.)
L’Omelette
Photogramme 26. Plan 67a. 00h 39' 27" : Alexandre cuisine, afin de faire une omelette, il utilise son couteau pour casser l’œuf en deux.
Photogramme 27. Plan 67b. 00h 37' 35" : En attendant la cuisson de l’omelette, il s’assied près du Musicien, ce dernier lui dit :
- On fait quoi, maintenant ?
- Alexandre : De quoi tu parles ?
- Le Musicien : Avec tout ça… Avec, tout ce bazar.
- Alexandre : Comme d’habitude, on fait de l’art.
Et, à cet instant précis, à peine il termine sa phrase, nous entendons le couteau qui [[tombe|tombe]], et qui se fiche au sol.
Photogramme28. Plan 68. 00h 40' 34" : Entre temps, les deux hommes ont oubliés la cuisson de l’omelette, qui commençait à brûler. Le Musicien réagit promptement, en emportant la poêle pour la jeter dehors.
Cependant, une grande surprise l’attendait derrière lui, En effet, Angela apparaît, accompagnée d’une amie artiste française, Elodie, qui était en train de peindre des motifs ronds sur le Bus.
Photogramme 29. Plan 68b. 00h 42' 11" : Angela s’excuse auprès d’Alexandre : Voilà l’argent, c’était juste un emprunt. Elle présente Elodie, et demande si elle peuvent rejoindre le cirque.
Sixième jour : Voyage à quatre
De jour, le Bus traverse un village, Angela annonce grâce au haut-parleur : Cirque des couteau, unique au monde. Lancer sur cible mouvante.
Premier spectacle à quatre : Première apparition d’Anna
Photogramme 30. Plan 88. 00h 45' 21" : Au cours du spectacle, Angela demande à un amateur courageux de se placer devant le Maître. Une jeune femme, Anna, accepte l’expérience. Le Maître, lance, les yeux bandés trois couteaux autour du visage inquiet d’Anna.
« Comment c’est Paris ? »
Plan 88. 00h 45' 45" : C’est le soir, après le spectacle, l’équipe se repose, Alexandre et Elodie sont assis autour d’une table, il lui demande qu’elle lui parle de Paris.
Trois enfants réveillent Alexandre
Plans 91 - 97. 00h 45' 54" - 49' 50" : Ils lui offrent une bouteille de bière, et veulent apprendre à lancer des couteaux. Alexandre discute avec les enfants, et termine son discours, avec son habituel : C’est la vie. Voir IV – 16 et 21.
Nous apprenons également avec les enfants, qu’Anna, la volontaire d’hier soir, travaille à la poste, c’est la plus jolie fille, et elle est la sœur d’un des trois enfants.
Chez le Barbier
Plan 100. 00h 49' 51" : Alexandre se fait raser la barbe. Anna entre chez la coiffeuse pour lui remettre son repas. Aussitôt Alexandre va la suivre.
A Vélos
Photogramme 31. Plan 101. 00h 52' 18" : Alexandre rejoint Anna dans les champs. Ils se présentent mutuellement :
- Alexandre : Tu n’as pas eu peur hier.
- Anna : Si.
- Alexandre : Pourquoi tu es montée sur scène.
- Anna : Je me disais que si je le faisais tout s’arrangerait dans ma vie… Comme un pari.
- Alexandre : Et moi qui croyais que tu avais confiance en mon art… (Il l’invite à une soirée).
Anna accepte, mais avant de partir, elle lui dit : « Tu as un problème de roue ».
La roue du vélo est a rapprochée avec le plan 66, et le disque géant (plans 49 et 53)
Anna dans la baignoire
Plan 102. 00h 52' 41" : Anna est heureuse, elle est souriante, elle plonge la tête au fond de la baignoire. Transition remarquable avec le plan suivant :
Sur la barque : Démocrite
Photogramme 32. Plan 103a. 00h 53' 06" : Gros plan d’un « rideau d’eau ». Panoramique du bas vers le haut et transition dans le prolongement du mouvement avec la scène de la barque. Ce plan superbe semble être en relation avec le plan 52, les rideaux du Bus.
Photogramme 33. Plan 103b. 00h 53' 33" : Alexandre et Anna sont dans une barque sur un plan d’eau luxuriant, vaporeux et impressioniste, qui rappelle le monde proustien. Alexandre offre un livre à Anna : Démocrite. Il raconte :
- Alexandre : Il a imaginé le monde, toi, moi, la barque, l’eau, même ces étoiles, au-dessus, les poissons… Tout ça… C’est ça… Des petites billes. Des atomes. Petites comme ça… La ville, la campagne, même les chiens dans leurs niches sont faits de ces petites billes. Tout est organisé une fois pour toutes, et c’est immuable…Tout… Mais, tu vois, parfois une de ces billes peut se tromper, perdre son chemin, errer, sortir de son orbite…
- Anna : Et après.
- Alexandre : Alors, il arrive quelque chose que personne n’avait prévu.
- Anna : Comme quoi ?
- Alexandre : L’amour.
- Anna : Tu as trop bu.
La fuite d’Alexandre : Le Bus en panne
Photogramme 34. Plan 105. 00h 56' 09" : D’une façon incompréhensible, Alexandre décide de partir et de quitter ainsi Anna, pourtant la veille, il lui déclarait son amour. Angela essaye de l’en persuader, mais il refuse : « C’est du Jolie », en français dans le film.
Tout à coup, le Bus commence à avoir un bruit de moteur inhabituel et suspect. Le Bus s’arrête net, très exactement dans le prolongement de la Poste, dans lequel travaille Anna. Bel exemple de synchronicité dans le sens jungien (voir : Instant (précis), Résonance). Angela et Elodie descendent joyeuses du Bus et se dirigent vers Anna.
La Coiffeuse
Photogramme 35. Plan 106. 00h 57' 05" : Angela et Elodie coiffent Anna.
La réparation du Bus
Photogramme 36. Plan 111. 00h 57' 24" : Les trois jeunes femmes se présentent devant Alexandre qui était entrain de réparer le Bus. Mais, Alexandre était visiblement déçu de la nouvelle coiffure d’Anna, et lance sans vergogne : « On dirait une pute ». Anna s’en va très fâcher, suivie d’Angela pour la réconforter.
Le Dîner silencieux
Tout le monde boude Alexandre : Je ne sais pas ce qui m’a pris.
- Elodie : Tu es aveugle.
- Alexandre : Pardon.
- Le Musicien : Demande lui pardon à elle.
La demande de pardon
Alexandre se rend avec un bouquet de rose rouge à la poste, pour voir Anna : « Tu te rappelles l’histoire des billes. Pour moi, tu es une bille qui change tout. »
La salle des fêtes : l’Amour
Photogramme 37. Plan 116b. 01h 02' 30" : Le couple se réunit dans une grande salle des fêtes.
- Alexandre : Anna… J’ai envie de…
- Anna : Moi aussi, attends.
Elle prend une nappe d’une réserve. Et, Alexandre l’aide à disposer la nappe au sol.
Photogramme 38. Plan 117. 01h 03' 46" : Aussitôt après, le couple se déshabillent, s’allongent avec délicatesse sur la nappe blanche et s’enlacent, comme dans un jeu de cartes : la reine et le roi sont réunit.
Il nous semble que cette image montre l’étendue de l’art de Piotr Trzaskalski en innovant sur un sujet qui a été vu des milliers de fois.
Un nouveau numéro de cirque
Photogramme 39. Plan 118. 01h 04' 40" : Le Maître a des ailes, il est ingénieux. Sous les yeux du Musicien, il met au point un appareillage et crée un nouveau numéro qui concerne la télékinésie. Le Musicien est stupéfait d’admiration.
Chez le forgeron : préparation d’une épée
Photogramme 40. Plan 119. 01h 05' 22" : Le Maître passe a une vitesse supérieure, il veut réaliser son numéro en grandeur nature. Il travaille avec des forgerons sur la fabrication d’une épée « magique », qui aura une répercussion dans la suite des événements.
Construction d’un appareillage de cirque
Alexandre continue la mise au point de son nouveau spectacle. Au loin, nous entendons une première dispute entre Angela et Elodie.
Nouveau spectacle
Photogramme 41. Plan 128. 01h 08' 17" : Le Maître flotte dans les airs.
Le départ du Musicien
Plan 133 : Le Musicien quitte provisoirement l’équipe, et promet d’être de retour pour le spectacle. Au même moment, Alexandre enseigne au petit frère d’Anna, l’art de lancer des couteaux.
Le bateau sur les champs
Photogramme 42. Plan 140. 01h 11' 46" : Au cours du voyage du Musicien, nous assistons à une image insolite et grandiose : Un bateau qui navigue sur des champs verts.
Le retour du Musicien dans sa maison
Photogramme 43. Plan 141. 01h 11' 54" : Le Musicien se retrouve devant la maison du Prologue (plan 1). Il est hésitant, il avance vers la boîte à lettres, glisse une enveloppe (avec de l’argent), et s’en va.
Nouveau spectacle II
Plan 142 : C’est la fin du nouveau spectacle, Alexandre entre dans le Bus, Anna et son petit frère l’attendent.
- L’enfant (intrigué) : Tu peux me dire comment tu fais ?
- Alexandre : Si tu veux être un artiste, tu dois trouver tout seul.
- L’enfant : Mais, dis-moi un peu, quand même.
- Alexandre (il prend la main de l’enfant et lui fait sentir la poignée de l’épée) : Tu vois ça.
- L’enfant : Il y a comme une fissure.
- Alexandre : Voilà, je t’ai mis sur la voie.
La découverte du mystère
Plan 146 : L’enfant est curieux, profitant de la présence de l’équipe à l’extérieur. Il étudie l’épée de nouveau, et en manipulant la poignée en appuyant légèrement, il découvre avec stupéfaction, l’émergence d’une petite tige de 10 cm de longueur, qui se dresse perpendiculairement par rapport à l’axe de l’épée.
Le lavage du Bus
Plan 147 : Alexandre et l’enfant lavent le Bus, en s’aspergeant mutuellement d’eau.
La séparation d’Angela et d’Elodie
Plan 148 : Au même moment, Angela et Elodie ont une nouvelle dispute. Elodie lui tourne le dos et part, laissant Angela en larmes qui se réfugie dans les bras d’Anna.
La nuit d’Alexandre et d’Anna
Photogramme 44. Plan 152b. 01h 17' 24" : Le couple est réuni. Anna est inquiète : Tu ne me quitteras pas, (elle lui montre une boîte de photographies, Alexandre lui demande d’en prendre une), je ne veux pas que tu ailles à Paris, il y a des touristes, tu peux travailler ici aussi.
Alexandre seul
Plan 153 : Alexandre est dans les champs, il boit de la vodka et médite. Il est confus.
Le soir de la fin d’un spectacle
Plan 154 : Alexandre est fâché : C’est un cirque ça. C’est plutôt un bordel. Vous n’êtes qu’une bande d’amateur.
Un mariage
Plans 155 - 172 : Alexandre rencontre Anna dans une arrière salle de la salle de fête dans lequel a lieu un mariage. Anna particulièrement heureuse, lui déclare qu’elle est enceinte. Mais, Alexandre lui fait comprendre qu’il vaut mieux avorter : Tu connais quelqu’un de confiance. Je paierai tout. Le visage d’Anna change subitement, elle se lève et part sans dire un mot.
Déception d’Anna
Photogramme 45. Plan 185. 01h 27' 06" : Anna se réfugie dans sa baignoire, (comme au plan 102), mais cette fois-ci, elle ne plonge pas la tête dans l’eau, indifférente, elle laisse l’eau déborder de la baignoire.
La dispute de l’équipe
Plan 183 : Vive altercation entre Alexandre et le Musicien, Angela s’interpose pour les séparer. Le Maître annonce que le spectacle de ce soir sera le dernier.
Dernier spectacle à trois
Photogramme 46. Plan 195. 01h 28' 21" : Peu de temps avant le spectacle, et pour venger sa sœur, le petit frère glisse dans le Bus, et enlève une partie du mécanisme de l’épée.
Par la suite, Alexandre s'aperçoit que la tige métallique est absente, et soupçonnera le Musicien du sabotage du mécanisme. Mais, à notre grande surprise, le spectacle a eu lieu comme il se doit.
Troisième dialogue d’Alexandre et du Musicien
Plan 208 : Le Musicien cherche Alexandre et le trouve :
- Alexandre : Comment tu m’as trouvé ?
- Le Musicien : Je suis comme toi. (Il prend une chaise et s’assied près d’Alexandre). Alexandre, je t’ai menti. J’ai une femme et un enfant, je les ai laissés… Jas a 5 ans. Il est aveugle de naissance. Je ne pouvais pas supporter son handicap. Je ne pouvais pas imaginer comment lui apprendre le monde… (…) Quand il avait un an. Je n’ai pas supporté. Il se cognait aux meubles, il tombait sur ses jouets. Il se blessait. J’ai senti que je devenais fou. Pourquoi moi ?
Alexandre ramène le Musicien chez lui
Plan 209 : Encore une fois, la transition de ce plan, démontre la finesse de l’art du réalisateur. En effet, le plan commence avec un bateau qui vogue sur l’eau, et qui se dirige droit vers nous. Nous avons donc l’impression que le Musicien a repris le chemin de sa maison. Mais un zoom arrière montre en croix, un pont que le Bus emprunte de gauche à droite.
Plan 210 : Alexandre réveille le musicien : On est arrivé sur la place.
- Le Musicien : Où ça ?
- Alexandre : A Paris. (Mais le Musicien se rend compte, qu’il est chez lui).
- Le Musicien : Tu es fou.
- Alexandre : Si t’y vas pas maintenant, tu n’auras jamais le courage de le faire.
Plan 211 : Le Musicien sort du Bus et se dirige vers la maison. Sa famille était dehors.
Photogramme 47. Plan 212. 01h 40' 24" : L’enfant aveugle, Jas, se précipite vers son père, lui touche le visage avec les mains, et lui dit avec un grand bonheur : Papa.
Alexandre retourne, en vain, chez Anna
Plan 214 : Alexandre, comprend son erreur, et roule chez Anna, au bureau de poste du village. Au cours du déplacement, le réalisateur cadre de nouveau l’image d’Alexandre réfléchit dans le rétroviseur, comme au plan 6. Mais, hélas, Alexandre va apprendre qu’Anna a fait une fausse couche.
La décision du Maître
Photogramme 48. Plan 217a. 01h 45' 24" : Alexandre met le feu au Bus, les rideaux vont brûler, rapidement, en premier.
Photogramme 49. Plan 217b. 01h 45' 34" : Alexandre n’emportera qu’un seul objet du Bus en feu : la photographie qu’Anna lui a donné (photogramme 44, plan 152b), et qu’il glisse dans la poche revolver de sa veste, côté coeur. Il fait quelque pas, et s’allonge sur l’herbe.
Anna
Plan 218 : Dernier plan du film. Anna devant une fenêtre fermée.
Hypothèses provisoires : Niveaux de lecture du film, Le Maître
A la lumière du corpus des images, des dialogues et des différentes idées qui sont issues des éléments filmiques. Il nous semble, comme pour tous les grands chef-d’œuvres, qu’il y a plusieurs niveaux de lectures. Toutefois, nous ne souhaitons pas (encore), si l’on ose dire, démystifier tout le film, nous allons seulement, livré quelques pistes, qui démontrent par la même occasion, la « hauteur » de ce chef-d’œuvre.
Importance de l’ouverture du film : Premier niveau de lecture : La valeur des animaux
En effet, à un premier niveau, nous discernons, Alexandre, un « Maître », lanceur de couteaux qui sera renvoyé d’un Cirque, parce qu’il avait tendance à boire sans modération, et à accomplir au cours de ses états éthyliques, ou plus poétiquement, dans ses états dionysiaques, des gestes et des comportements qui sont souvent hors du commun, mais, hélas, ils ne seront pas toujours appréciés par son entourage. Comme par exemple, dans l’ouverture du film, la libération des animaux du cirque dans lequel il travaille. Arrêtons nous un instant sur cet acte (inconscient), car, il peut sembler que ce premier niveau de lecture offre un second niveau qui va appuyer d’une part, une compréhension sur le personnage du « Maître », une description poétique du caractère d’Alexandre ; et d’autre part, il semble déclencher une autre interprétation (métaphorique) qui semble déviée de la première.
Certes, en un premier lieu, nous pouvons dire que la libération des fauves et un acte (instinctif) de révolte contre un système politique, idéologique ou sociologique, si l’on ose dire : la perte de l’instinct premier (ou primordiale), l’homme n’est plus « libre », ce qui explique le fait qu’il va finir par s’enfermer dans la cage des singes... Cependant, si nous tenons compte de l’ordre chronologique de la libération des animaux, avec l’appui d’autres indices du film, nous obtenons alors une interprétation différente ou complémentaire de la première. Ainsi, l’ordre de la libération est le suivant : Un dromadaire, un lama, un éléphant, Alexandre, la bouteille à la main, passe près de la cage du Tigre, en lançant ironiquement : « Tu penses trop mon vieux ». Enfin, devant la cage des singes, il s’excuse : « Désolé », ouvre la cage, libère les singes, jette les clés, trébuche en montant et s’enferme à l’intérieur. Ainsi, nous pouvons transposer (calquer) les différents animaux sur la personnalité exubérante d’Alexandre, qui devient, ou commence à devenir, tour à tour, un dromadaire, une personnalité capable de sobriété, mais qui suggère aussi un climat désertique, est-ce une allusion au séjour d’Alexandre en Afghanistan ? Un éléphant, c’est-à-dire une personnalité lourde, pesante, et lente, de plus, l’éléphant se trouve devant un petit bassin, c’est une image transposée sur l’inclinaison d’Alexandre à la beuverie ; devant le tigre, Alexandre ne fait que passer ; et enfin, il trouve refuge dans la cage des singes, comme s’il a choisi son symbole, mais aussi, comme quelqu’un qui imite les gestes, les mimiques, les attitudes et les actions des autres... Un homme qui n’est plus libre. Or, peut-on, comme il le prétend au plan 40, être un artiste, si l’on n’est pas un homme libre ?
La valeur du prologue : Hypothèse qu'un protagoniste représente métaphoriquement un pays
Le prologue du film est déroutant, car nous commençons à saisir, partiellement, la place de ce plan qu’au troisième tiers du film, au plan 141 (sur 219 plans), et ensuite, lors de la confession du Musicien, au plan 208. Qu’est-ce-à dire ? Pourquoi le réalisateur a fait ce choix ? Il nous semble alors, que le discours du film peut prendre une toute autre direction de ce que le film semble suggérer à une première lecture. Sans entrer dans des grandes démonstrations, nous commençons par émettre une hypothèse qui va nous conduire à considérer chaque protagoniste du film comme étant un représentant d’un pays. Ainsi, l’enfant du prologue devient une représentation métaphorique (dans son sens étymologique, du grec, metaphora, « transposition »), du pays du réalisateur, la Pologne. Mais, un problème s’impose : le nom du pays n’est pas cité une seule fois, il n’y aucune allusion directe à des symboles fort du pays (Varsovie au sud est à plus de 250 km. du centre topographique du film, Gdansk au nord, est à plus de 500 km.), il y a seulement cités des noms de petits villages : Siemiany, Zalewo et Pokorzec (centre nord de la Pologne). La seule ville avec un symbole fort qui sera citée plusieurs fois, c’est Paris. La Russie est citée indirectement, lors de la guerre en Afghanistan, et quand le maître se présente au Musicien : « Maître des arts du cirque. Diplômé. Chez nous on avait un diplôme pour tout ».
En somme, il nous semble que le film multiplie les angles de vues concernant l’amour. Ainsi, il ne s’agit pas seulement de l’amour qu’un homme peut porter à une femme (Alexandre et Anna), et inversement une femme à un homme, ou d’une femme à une femme (Angela et Elodie), d’un père à son enfant (le Musicien et Jas). Mais aussi, l’amour qu’on peut porter à son pays. De la sorte, chaque personnage du film, prend alors un rôle « différent », et parfois un rôle « double ».
La valeur et la métamorphose des objets : table, cheveux et vision
Sous cet angle, les données changent et nous donnent une version tout autre de ce que l’on a cru comprendre. Ainsi, l’image du prologue : l’enfant, la balançoire et les clochettes, suggère une représentation du pays, un pays jeune mais incertain, qui « se balance », qui se cherche. Les clochettes proposent par synecdoque (figure consistant à prendre la partie pour le tout) l’image des églises, seul témoignage du sacré dans le film. (Mais, à son tour, ce sacré est hésitant...) Il faut enfin souligner la valeur de la tablette de la balançoire, qui va se manifester dans le film, soit d’une façon identique, en particulier au plan 118, quand le Maître effectue ses recherches sur le nouveau numéro de cirque ; soit en subissant un agrandissement, la tablette devient une table, plan 37b (le jeu de verre II), plan 53b (la poule), plan 55 (lévitation de la bouteille), plan 114 (le dîner silencieux), plan 116b (la nappe de table disposée sur le sol : la terre polonaise qui devient « une table d’amour »).
Il reste encore la table sur laquelle Angela allait se faire violer (plans 9 et 10). Elle représente à son tour (ou prend le relais de l’enfant du prologue) la Pologne qu’on voulait violer ; elle sera sauvée, in extremis par un étranger qui, soulignons-le, descend d’une certaine hauteur pour venir la sauver. (Cf. Photogrammes – 50 et 51. )
Plan rapproché sur la table et la tentative de viol d’Angela.
Ainsi, dans le prolongement immédiat de la tentative de viol, l’indice des cheveux prendra une valeur significative. En effet, dans le Bus, Angela en larmes enlèvera une perruque « rouge-cuivre » pour laisser apparaître ses cheveux blonds naturels. Nous avons alors, le vrai visage d’Angela...
Et, en fonction de ce que nous venons de dire, ne peut-on pas déduire que l’étranger sauveur : Alexandre, représente la Russie ? Mais, il faut se rappeler qu’Alexandre à son tour sera agressé (plan 38a), et à l’issue de cette agression, c’est un musicien (un artiste polonais) qui viendra porter secours à Alexandre, en l’aidant à se redresser, en l’aidant à se tenir droit. C’est à partir de cette rencontre que la question de la « direction » acquiert de l’importance. D’ailleurs, nous nous demandons, en fin de compte, si cette question n'est pas le centre névralgique du film. Ainsi, le film déborde de sa première lecture, à savoir, la (les) trajectoire (s) de plusieurs passions amoureuses, vers une nouvelle plate-forme qui met en question, la place qu’un artiste (Piotr Trzaskalski) doit porter sur son pays et sur son évolution. Nous avons ainsi, une espèce de « surimpression » de deux films, en un seul film, avec deux discours différents (ou complémentaires). De la sorte, le film devient, un film-manifeste d’une nouvelle vision sur l’évolution de l’homme et de l’art.
D’ailleurs, la vision est un autre centre important du film, à commencer par l’enfant aveugle, et un peu plus loin, lancer des couteaux, les yeux bandés, d’une part, sur Polyphème, le Cyclope à l’œil unique [1] (plans 30 et 76) ; et d’autre part, sur une cible vivante, Anna (plan 88). Ensuite, il y a l’allusion à Démocrite (plan 103b), rappelons qu’il va se crever les yeux, c’est une façon, dit-on de : « Fermer les yeux à toutes les distractions du dehors et concentrer toute son[ activité dans la pensée ». [3] Et, enfin, la confession du Musicien sur son fils (plan 208). Ainsi, la question de la vue du réel déborde sur la question de la vision globale du monde. Et, en parallèle, c’est la question de la direction à prendre (plan 38b), du choix d’un itinéraire (plan 57), et de la route perdu (plan 58) qui vont prendre graduellement de l'épaisseur. Nous comprenons alors le message du réalisateur à un moment dramatique du film (plan 67a). Quand ils sont perdus au milieu de nulle part, la batterie du Bus vide et l’argent volé. Le Musicien demande : « On fait quoi, maintenant ? » Alexandre répond : « Comme d’habitude, on fait de l’art.» (Plan 67b) Dans le même registre, il y a le dialogue de la quinzième séquence, entre le pompier et Alexandre sur le feu : « J’éteindrai (le feu) d’une main, comme ça. » (plan 53) Et il nous semble que ces messages, ne s’adressent pas uniquement aux protagonistes du film, mais aussi aux spectateurs du film… La finesse du message est plein d’espoir : l’art est essentiellement salvateur.
Nous arrêtons là, pour le moment, nos hypothèses, tout en sachant que dans le même ordre d’idée, il reste beaucoup à dire, en particulier, sur les questions du cirque, de la maison-Bus, du couple couteau-épée, de la culture grecque, des expressions, comme le « maître », le « ça » (citée plusieurs fois), « je suis comme toi » (citée trois fois), « c’est la vie » (citée trois fois), « ce n’est qu’une pute » (citée quatre fois) ; l’humour, le rêve (Paris), la bouteille, la table, le vélo, les rideaux, le livre, la barque, la nappe, la boîte de photographies, l’eau, le petit frère, le mensonge et le feu. Nous verrons toutes ces questions ultérieurement, quand ils vont intégrer le corps du dictionnaire.
(25 mars 2010 - 15 mars 2011)
Notes et références
- ↑ En ce qui nous concerne, il nous semble qu’il est impossible d’analyser un film en l’ayant vu une ou deux fois. Un film se feuillette comme un livre. Il faut prendre des notes, se poser des questions, faire une enquête, des dessins, ouvrir un chantier, essayer de se mettre à la place du réalisateur, etc. Ensuite, on laisse reposer quelques temps, avant de revenir sur les résultats obtenus, et c’est ainsi que le produit gonfle, prend de l’épaisseur, trouve une direction. Et par la suite, chaque détail crée un pont vers d’autres éléments du film, les résultats se précise en se prolongeant et en plongeant dans d’autres relations, d’autres combinaisons. En résumé, un film reste ouvert.
- ↑ Polyphéme : « C’est un personnage célèbre qui joue un rôle dans l’Odyssée. Il est le fils de Poséidon et de la nymphe Thoosa, elle-même fille de Phorcys. Le récit homérique le présente comme un géant horrible. (...) Ulysse et ses douze compagnons ont été capturés par Polyphéme… Alors que le Cyclope était profondément endormi, sous l’effet du vin, Ulysse et ses compagnons aiguisèrent un immense pieu, le durcirent au feu et l’enfoncèrent dans l’œil unique du géant. (...) Une fois en liberté, Ulysse se moqua de lui… C’est à partir de ce moment que date la colère de Poséidon, le père de Polyphème contre Ulysse. » Pierre Grimal, Dictionnaire de la Mythologie grecque et romaine, P.U.F. Paris, 1988, p. 386.
- ↑ Démocrite : « Né entre 520 et 460 av. J.-C. à Abdère, en Thrace, (200 km. à l’est de Thessaloniki, nord de la Grèce), un des plus grands noms de la philosophie grecque avant Socrate. (…) Démocrite s’attache à réhabiliter l’être phénoménal. De là les deux grandes thèses : 1° la matière n’a qu’une divisibilité limitée ; 2° le vide existe aussi bien que le plein. La divisibilité de la matière n’est pas infinie, il y a des particules élémentaires et indivisibles au delà desquelles il est impossible de remonter : c’est ce qu’on appelle des atomes (insécables, indivisibles). » Nouveau Larousse Illustré.