Feu

De Cinémancie
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Photogramme Feu : Tarkovski Andreï, Le Miroir, 1974, Plan 20. Le fenil en feu.


Titres des films

Titre Titre original Réalisation Scénario Année Pays Durée (min.)
Feu Follet Malle Louis Malle L. 1963 France 121'
Feu Mathias Pascal L'Herbier Marcel L'Herbier M. 1925 France 3000m.
Feux Croisés Crossfire Dmytryk Edward Paxton J. 1947 USA 86
Feux dans la Plaine Nobi Ichikawa Kon Wada Natto. 1959 Japon 104
Feux de la Rampe Limelight Chaplin Charles. Chaplin C. 1952 USA 138
Feux du Music-Hall (Les) Luci di Varietà Fellini F.Lattuada A. Pinelli T. Flaiano, Fellini F 1951 Italie 90

Autres titres de films

Titre Titre original Réalisation Scénario Année Pays Durée (min.)
Andreï Roublev (Voir détail : Andreï Rublyov) Tarkovski Andreï Tarkovski A.
Konchalovsky A.
1969 URSS 215
Maître (Le)
§. Φω. 3. Plan 4.
(Voir détail : Mistrz) Piotr Trzaskalski Lepianka W.
Trzaskalski P ;
2005 Allemagne
Pologne
117
Mathilde

§. Φω. 14. Plan 177.
§. Φω. 53. Plan 1195.
§. Φω. 56. Plan 1335.

§. Φω. 80. Plan 174.
(Voir détail : Mathilde) Mimica Nina Mimica Nina 2004 Italie, Espagne, Angleterre, Allemagne 97
Miroir (Le) (Voir détail : Zerkalo) Tarkovski Andreï Tarkovski A.

Micharine A.

Et poèmes d'Arseni Tarkovski.
1975 URSS 106
Mosquito Coast Mosquito Coast Weir Peter Schrader P.
Theroux P.
1986 USA 118
Nostalghia (Voir détail : Nostalghia) Tarkovski Andreï Tarkovski A.
Guerra T.
1983 URSS
Italie
130
Stalker (Voir détail : Stalker) Tarkovski Andreï Tarkovski A.
Strougatski A. et B.
1979 URSS 161

Photogrammes extraits des films - Analyse et liens spécifiques du film.

Les signes du feu dans Andreï Roublev, d'Andreï Tarkovski

Andreï Roublev prend feu

Plan 106-1 [1] : 52' 15" : Le 4ème épisode, « La Fête, printemps 1408 », commence par le débarquement de Roublev et de ses compagnons au bord accueillant d'une rivière. C'est le crépuscule. Une musique troublante en chant de cigale amorce une émotion d'excitation sensitive. [2]

Plan 107-2 : 52' 18" : Roublev et Thomas (son jeune et fougueux assistant) se dirigent vers la forêt pour chercher du bois pour le feu du soir. Ils sont munis d'une grande branche.

Plan 108-3 : 53' 01" : Roublev s'arrête au milieu du trajet. Il regarde en arrière. (Un oiseau traverse l'écran.)

Plan 109-4 : 53' 41": Roublev est bouleversé, il dit : « Des sorcelleries.» Abandonnant Thomas sur place, il se lance aussitôt à la poursuite de personnages dont les images sont vagues et floues, comme des ombres.

Plan 111-6 : 54' 40" : Roublev tombe nez à nez devant une bacchante nue aux longs cheveux blonds. Elle est visiblement stupéfaite de voir un moine en habit. Ce dernier est confus et ému. Il mène un combat intérieur entre la raison et l'instinct. Nous distinguons tour à tour "le visage de l'instinct", yeux enfiévrés, exorbités, le regard tendu, celle d'un chasseur, et "le visage de la raison" : la tête qui veut commander à ses pieds de faire pivoter tout son corps et de fuir. Mais l'instinct l'emporte sur la raison. [3] Le corps tendu, il avance vers la femme nue. C'est alors qu'un homme surgit d'on ne sait pas où, il saisit la belle femme, et ils s'allongent ensemble dans les buissons derrière un arbre.

Plan 115-11 : 55' 07" : Roublev reste sur place, il regarde, perplexe, la scène. C'est peut-être la fois de sa vie qu'il voit une femme nue, et qu'il entend un couple s'unir. Il est dubitatif. Il ne tient visiblement pas en place en regardant attentivement cette scène orgiaque :

Plan 116-12 : 55' 14" : Il n'a pas pu voir une torche enflammée qui est à ses pieds et qui commence à enflammer en un instant le bas de sa robe. Le plan est d'autant plus pertinent qu'il montre une branche située près de la tête de Roublev, une branche qui rappelle celle qu'il a cherchée avec Thomas.

Il était venu chercher du bois, et c'est lui qui commence à prendre feu. Le plan 116 est inducteur de plusieurs propositions imaginaires. Nous venons de voir un cas de figure. Un second cas, serait la descente de Roublev en enfer. Un troisième cas : la flamme de feu, le feu éthéré, qui atteint Roublev par ses pieds, par la base de son être.

*

Les figures dérivées du feu : torche et fumée

Dans le plan 116, les pieds de Roublev ont commencé à prendre feu à cause d'une torche lâchée vraisemblablement par la bacchante elle-même – peut-être quand elle a aperçu le moine et pour faire oublier la nudité de son corps. Mais ce feu, est-ce un feu purificateur ? Ou un feu démoniaque ? Notamment avec l'articulation de la signification phallique du pied. L'image peut suggérer un sens érotique, avec en plus, pour renforcer cette idée, la présence de la branche près de la tête de Roublev. Nous pouvons constater que plusieurs idées peuvent prendre sens et forme dans l'âme confuse d'Andreï Roublev, et cela précisément parce qu'il a tout vécu, tout traversé. A la force de l'expression de l'acteur, le cinéaste ajoute des éléments formels qui contribuent à montrer les différents passages du grand peintre.

La figure du feu est prépondérante dans le cinéma de Tarkovski.[4] Nous avons sans doute au plan 116 l'origine de cet éblouissant parallélisme paradoxale de la figure du feu. Elle est, en quelque sorte, traitée de la même manière, à une nuance près : elle n'est pas traitée en séquence de montage parallèle mais comme deux scènes superposées. Car, au

Plan 117 - 11 : 55' 35" : Après la robe en feu de Roublev, nous assistons à une cérémonie étrange, pleine de douceur et de fraternité. En effet, au bord de la rivière, deux rangs d'hommes et de femmes forment une double chaîne humaine qui poussent une petite barque. Dans cette barque on a déposé une curieuse figurine faite de paille, une bougie allumée est plantée au niveau de sa tête. (Cf. Photogramme – Feu 1.)

Photogramme Feu 1 : Andreï Roublev, Plan 117a. La petite barque de procession.

La petite barque est ensuite repoussée délicatement par la double chaîne humaine au fur et à mesure qu'elle voguait sur l'eau. (Cf. Photogramme – Feu 2.)

Photogramme Feu 2 : Andreï Roublev, Plan 117b. L'étrange procession de la petite barque.

Le titre de "Dadouques" donné à l'un des principaux prêtres d'Eleusis signifie "Porte-torche". La torche semble indiquer un symbole de purification et d'illumination. (…) "Elle est la lumière qui éclaire la traversée des Enfers (Perséphone) et les chemins de l'érudition. [5] Les innombrables rites de purification par le feu sont manifestes, de l'occident au Japon, en passant par la Chine, l'Inde, les Aztèques, les Bambaras, les Celtes, etc. Généralement ces rites de passage sont caractéristiques de cultures agraires : (…) "Ils symbolisent, les incendies des champs qui se parent ensuite d'un manteau vert de nature vivante." [6] Mircea Eliade note la signification sexuelle du feu qui est, "universellement liée à la première technique du feu par frottement, en va et vient, image de l'acte sexuel." [7] Cependant il précise que le feu a un caractère ambivalent : (...) "Il est d'origine soit divine, soit démoniaque (car d'après certaines croyances archaïques, il s'engendre magiquement dans l'organe génital des sorcières.) (Ibid.) Gilbert Durand observe que la sexualisation du feu est "nettement soulignée par les nombreuses légendes, qui situent le lieu naturel du feu dans la queue d'un animal." [8] Une illustration de cette image est le plan de la queue enflammée de l'âne dans Au hasard Balthasar , de Robert Bresson.

La question du feu est vaste, au niveau de sa figure archétypale. [9] Nous le verrons dans Le Miroir. Elle est aussi en profondeur dans cette séquence. Nous allons y revenir, mais pour le moment nous ne devons pas négliger un autre plan étrange qui suit directement la petite barque de procession. En effet, dans le plan 117, les hommes et les femmes sont nus face à face. Dans le plan en question :

Plan 118-12 : 56' 28" : Nous distinguons avec une certaine difficulté, dans une clairière, un homme (ou une femme) debout sur un autre homme. Ils se couvrent ensuite de haut en bas d'une longue tunique de tissu clair : comme un fantôme de la nuit ! C'est l'image d'un géant de plus de trois mètres qui semble avoir un certain sens par rapport aux deux plans qui le précédent : la robe en feu et la petite barque. Par sa forme nettement phallique, c'est, si l'on ose dire, une érection physique de l'esprit, car c'est comme si la partie supérieure de l'homme, la tête, grandissait démesurément. Un sexe géant qui s'accouple avec la forêt. Le tissu clair lui confère un aspect lumineux spectral. Il y a comme une ascension réelle de l'âme. Cette image n'est-elle pas aussi une "image de feu" ? D'après la tradition initiatique peule, "le feu est du ciel, car il monte, tandis que l'eau est de la terre car elle descend en pluie." [10]

Plan 119-13 : 56' 43": Roublev s'approche d'une étable, il assiste à une scène étrange. Une femme nue sous un manteau, s'amuse à sauter à travers la fumée d'un petit feu, situé au bas d'un escalier. Elle monte les trois premières marches de l'escalier, se retourne et saute, et cela plusieurs fois. Ici, nous rejoignons la thèse bachelardienne par rapport aux théories de James Frazer. (...) "Voici le dilemme : fait-on les feux pour adorer le bois, comme le croit Frazer, où brûle-t-on le bois pour adorer le feu, comme le veut une explication plus profondément animiste ? (…) Cette dernière interprétation éclaire bien des détails des "fêtes de feu" qui restent inexpliquées dans l'interprétation de Frazer. (…) Frazer nous représente tous les jeunes gens "sautant par-dessus les cendres pour obtenir une bonne récolte ou pour faire dans l'année un bon mariage. Pourquoi (p. 464.) est-ce "la plus jeune mariée du village (qui) doit sauter par-dessus le feu ?" "Pourquoi en Irlande (p. 490.) Lorsqu’une jeune fille saute trois fois en avant et en arrière par-dessus le feu, (dit-on) qu'elle se mariera bientôt, qu'elle sera heureuse et qu'elle aura beaucoup d'enfants ? etc. [11]

Nous sommes là, de plain-pied, dans le côté versant superstitieux du feu. Nous remarquons que les observations pertinentes de Bachelard, s'appliquent, finalement, en grande partie à tout concept de nature superstitieuse. Cependant la grande question qui se pose, est celle de savoir si une superstition a besoin de preuve ? Est-ce qu'une superstition s'adresse directement à la raison ? Dans sa nature même, celle d'être une croyance locale, ne devient-elle pas un concept d'un instinct raisonné ? N'est-ce pas cela même le grand paradoxe de la superstition ? Toutefois, il faut observer, par rapport à une grande partie des faits superstitieux, qu'il y a souvent une base formelle qui est constamment sous-jacente dans sa conception. C'est à partir d'une accumulation de constats formels qu'on espère dégager, dans la mesure du possible, quelques faits significatifs sur la superstition. Un élément de réponse est donné par une décomposition de la figure en question. Certes, le feu c'est du bois en combustion, mais c'est aussi de la fumée : "Les feux de la saint Jean se caractérisent volontairement par l'abondance de la fumée." [12] (...) "La fumée symbolise les relations entre la terre et le ciel, celle du sacrifice ou de l'encens, elle élève vers Dieu la prière et l'hommage." [13] En Chine et au Tibet, "la fumée élève l'âme vers l'au-delà : aussi l'incinération des Taoïstes était-elle un moyen de délivrance." Chez les Indiens d'Amérique, les fumées rituelles sont purificatrices. Les Aborigènes d'Australie croient que la fumée porte-bonheur. Etc." [14]

Grâce aux quelques figures que nous avons traitées, nous constatons qu'un point est désormais constant dans l'approche anthropo-psychologique des figures : l'aspect ambivalent et paradoxal d'une proposition figurative. Cela, mérite une explication. Nous avons déjà précisé qu'une figure doit être constamment replacée dans le contexte de sa situation générale, dans l'espace et dans le temps. C'est par une confrontation d'une présence multiple, c'est-à-dire à plusieurs moments, qu'un certain sens est susceptible d'être dégagé. Mais après tout, est-ce uniquement le sens qui est visé dans une signification ? Ce qui nous semble être le plus pertinent, ce n'est pas de savoir, si un sens signifie ceci ou cela, (cela ne nous avance que de peu de chose), mais c'est plutôt de sentir le trajet du sens. En effet, si, comme nous venons de le dire, la figure est importante dans sa double situation générale, l'ensemble des figures proposées et, si l'on ose s'exprimer ainsi, leurs confrontations, l'est encore davantage. C'est alors cela qui constitue le "squelette du film", l'articulation des "vertèbres/figures" qui sont alors, d'une façon ou d'une autre, quasiment cinémantique.

Ainsi pour revenir au squelette du film.

Plan 120-14 : 57' 07" : Andreï Roublev regarde la scène de la femme qui saute sur la fumée. (Cf. Photogramme – Feu-fumée 3.)

Photogramme Feu-fumée 3 : Andreï Roublev, Plan 119. Une jeune femme qui saute à travers une fumée, après avoir monter un petit escalier.

Il est surpris par trois moujiks malveillants : « Passez-moi les rênes » dit un moujik. Ils le mettent en croix, les bras ficelés solidement. « Comme le christ », dit un autre moujik ! Roublev demande le supplice extrême : « Je veux la tête en bas.»

Plan 121-14 : 58' 19" : Travelling de l'intérieur sur deux moujiks qui se déplacent de gauche à droite. A la fin du travelling, une femme nue (vraisemblablement celle qui sautait l'escalier, elle n'était pas loin) regarde Roublev. Plan dynamique. Elle se détache de l'ombre et elle avance vers le crucifié et lui dit : « Pourquoi voulais-tu la tête en bas ?» Gêné par la nudité de la jeune femme, Andreï Roublev répond : « C'est un péché de courir nu.» Cette question et sa réponse déviée, semblent offrir le visage psychologique de Roublev. Ce petit dialogue constitue une synthèse partielle. Il conclut, en quelque sorte, un certain nombre de figures que nous avons vu : l'inversion, la croix, les pieds. Soulignons que la figure de la tête en bas est un caractère du bouffon (plans II 26-5 ; 33-12). De fait, n’y a-t-il pas dans cette figure comme une suggestion d'un pouvoir titanesque, l'homme qui porte la terre : « l'homme Atlas » ?

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Liens spécifiques du film

Voir : Andreï Roublev

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Notes et références

  1. Le premier chiffre correspond aux plans du film depuis le début du film, le second chiffre aux plans du film depuis le début de l'épisode.
  2. F. Farago écrit : (…) "Des images d'une poésie envoûtante, doublées d'une musique magicienne, dépeint la grande nuit slave…", Andreï Tarkovski, Études cinématographiques, N° 135-138, Éditions Lettres Modernes, Minard, Paris, 1983. p. 33.
  3. Cf. Charles Darwin (1809-1882), L'expression des émotions chez l'homme et les animaux, traduit de l'anglais par Samuel Pozzi, Editions C. Reinwald, Paris, 1890. Jacques Fradin, Les états fonctionnels de l'instinct : nouveau feed-back des thérapies comportementales et cognitives, Editions Institut de médecine environnementale, Paris, 1992. Henri Piéron, Les problèmes actuels de l'instinct, Editions Cariscript, Paris, Collection Lacunes, 1991. Philippe Lekeuche et Jean Mélon, Dialectique des pulsions, Editions universitaires, Paris, 1990. Niko Tinbergen, The study of instinct, Oxford university press, 1989. Steven Pinker, The language instinct : the new science of language and mind, Penguin Books, London, 1995.
  4. Peut-être l'image la plus emblématique et la plus éclatante qui est d'ailleurs une illustration parfaite de la torche…humaine, c'est l'avant-scène finale de Nostalgia : Domenico le Fou et son immolation par le feu, et en montage parallèle le Poète et la flamme de la bougie dans la piscine de sainte Catherine.
  5. Chevalier/Gherrbrant, Dictionnaire des Symboles, op. cit., p. 956.
  6. R. Guenon, Symboles fondamentaux de la science sacrée, Op. cit.
  7. Mircea Eliade, Forgerons et Alchimistes, op. cit., p. 41.
  8. Op. cit. pp. 360-361.
  9. Cf. Christian Roche et Jean-Jacques Barrère, Le feu, Editions du Seuil, Paris, 1999. Eric Golay (sous la responsabilité de), Editeur : musée d'ethnographie de Genève, 1999.
  10. Amadou Hampate Ba, Kaydara, document de l'Unesco.
  11. Gaston Bachelard, Psychanalyse du feu, op. cit., pp. 66 sq.
  12. Chevalier/Gherrbrant, Dictionnaire des Symboles, op. cit. p. 795.
  13. Chevalier/Gherrbrant, Dictionnaire des Symboles, op. cit. p. 470.
  14. Éloïse Mozzani, Le livre des Superstitions, op. cit. p. 794.
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