Cloche

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Andreï Roublev, plan 357. Après avoir complètement enlevé le moule d'argile, Boris s'assied près de la cloche.



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Autres titres de films

Mode d'emploi de la figure (mot) et abréviations


Titre Titre original Réalisation Scénario Année Pays Durée
Andreï Roublev (Voir détail : Andreï Rublyov) Tarkovski Andreï Tarkovski A.
Konchalovsky A.
1969 URSS 215


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Photogrammes extraits des films - Analyse et liens spécifiques des films

Andreï Roublev, d’Andreï Tarkovski

La Cloche, VIIIème épisode du film

Le drap plié en cloche

L’épisode commence par une grande subtilité de la part de Tarkovski, en introduisant à la fois le fondeur de cloche, Boris, et l’objet qu’il sera censé de fabriquer, une cloche.

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Le tracé de la cloche

Plan 320-9 [1]: 2h 26' 36" : Boris est en compagnie "d'ouvriers fondeurs", et de jeunes apprentis, qui se trouvent sur un talus :

Plan 321-10 : 2h 27' 07" : - Boris : "Bon, on va creuser ici. Vas-y fais le tracé."

Plan 322-11 : 2h 27' 30" : Boris, très sûr de lui, enfonce un piquet au milieu du talus. Il trace un cercle au sol. Premier obstacle : les fondeurs refusent de creuser le trou. Boris insiste : "Mon père m'a dit que les fondeurs doivent creuser le trou eux même." Les fondeurs refusent toujours.

Plan 323-12 : 2h 28' 12" : Boris commence à creuser aidé des jeunes apprentis. Il bute contre une racine d'arbre. Il commence à dégager la racine sur toute sa longueur, elle se prolonge jusqu'au tronc de l'arbre.

Plan 324-13 : 2h 28' 54" : Panoramique de bas en haut, le long du tronc d'arbre vers le ciel.

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Des aspects techniques élémentaires de la fonte d'une cloche

Pour la pleine compréhension de la fonte d'une cloche, nous devons parler de quelques aspects techniques élémentaires : (…)"la fonte d'une cloche comprend trois opérations successives : le tracé, le moulage, la coulée dans le moule du métal en fusion. (Généralement du bronze : 18 à 22 % d'étain et 78 à 82 % de cuivre.) Le tracé consiste à déterminer la forme et les proportions de la cloche. Le moulage s'exécute dans la fosse même où doit avoir lieu la coulée. Il consiste dans l'établissement du moule (a.) et de la "fausse cloche" ou noyau (b.) séparés l'un de l'autre par une certaine épaisseur de terre (c.) Le moule étant achevé, on le sèche au moyen d'un feu allumé sous le noyau ; les diverses pièces constituant le moule." [2] (Cf. Schéma - Cloche )

Schéma - Cloche  : La fonte d'une cloche : a. moule ; b. fausse cloche ; c. couche tampon.


Cette note technique, nous introduit en fait dans un aspect majeur du registre de la création et de la détermination, dans la prépondérance d'une activité technique, comme si les détails des procédés techniques étaient au cœur de la dynamique de la création. D'autre part, la note technique démontre la difficulté de la tâche, particulièrement le dosage du métal, et comme nous allons le voir bientôt, le choix de l'argile qui sera dans le film un facteur déterminant. Il est par ailleurs significatif de signaler, qu'avec Efim et Roublev lui-même, nous n'avons pas eu droit au détail de leurs inventions, mais seulement aux dernières minutes d'Efim, et à quelques rares secondes (privilégiées) de Roublev à l'œuvre, avec la petite icône d'un saint terrassant un dragon (plan 161). En fait, la question qui se pose est celle de savoir pourquoi Tarkovski choisit de montrer les détails techniques relativement gigantesque de la fonte d'une cloche ? Est-ce pour le symbolisme résonnant de la cloche ? Ou bien pour l'action collective de tout un peuple ? Et quelle est la place véritable de Roublev avec le jeune prodige, Boris ? Car on peut dire que Roublev assiste tous les jours à une réalisation du mythe de l'anti-Sisyphe, si l'on ose dire.


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Il semble précisément que les aspects techniques que nous venons de citer, et que nous allons voir en détail, lancent des ponts qui vont relier des îlots sémantiques entre eux. Ils ont comme but, de saisir, en quelque sorte, le thème de la création de l'intérieur, une espèce "d'embryologie de la création" ou sa "morphogenèse alchimique". Une fois encore, les figures et les objets du réalisateur ont une attirance mystique vers le bas, vers la terre. Ils sont comme absorbés, aspirés. Tout commence par l'acte fécondant de Boris qui enfonce un piquet au milieu du talus (plan 322). Ce piquet devient l'axe du monde, et tout va se dérouler autour de cet axe, pour aboutir, à la fin du film, à un poteau autour duquel va s'accomplir le miracle : Roublev parlera de nouveau. Autour de ce piquet, Boris va tracer un cercle, image de la perfection : c'est le geste mythique de la première habitation de l'homme, car l'habitation primitive était ronde. [3]

Le cercle évoque aussi la figure du cycle accompli. (…) "Le cercle est le deuxième symbole fondamental avec le centre, la croix et le carré. Le cercle est d'abord un point étendu ; il participe de sa perfection. (…) Le mouvement circulaire est parfait, immuable, sans commencement ni fin, ni variations ; ce qui l'habilite à symboliser le temps. Le temps se définit comme une succession continue et invariable d'instants tous identiques les uns aux autres. (…) Le cercle symbolisera aussi "le ciel", au mouvement circulaire et inaltérable." [4] Le cercle est une figure universelle, que l'on retrouve de la Grèce antique au bouddhisme zen, chez les Babyloniens, chez les Indiens d'Amérique, etc. Et, entre autres, dans le monde celtique, (…) "le cercle avait une fonction magique, en tant que forme enveloppante, tel un circuit fermé, le cercle est protecteur. (Fonction que l'on retrouve dans l'anneau, le bracelet, le collier, la ceinture ou la couronne.)" [5] Ainsi, le symbolisme du cercle est double, à la fois magique et céleste. A partir du tracé du cercle, nous n'allons plus nous en détacher. Trois représentations vont l'illustrer successivement : d'abord, le plan 323, avec le tracé au sol, ensuite au plan 324 avec le mouvement circulaire de la caméra avec la vue de l'arbre majestueux comme tangente au cercle, et à la fin du mouvement, une vue de l’arbre en contre plongée qui annonce le plan 325, qui est à la fois un plan de transition et une ellipse.

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Le clédon de l’argile : Destin et destination

Voir : Argile

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Le moulage de la cloche. La rencontre d’Andreï Roublev et de Boris

Roublev connaît l'existence de Boris, mais ce dernier ignore tout de Roublev. Sans transition :

Plan 330-19 : 2h 33' 02 " : Retour au chantier de la cloche, nous devrions plutôt dire à la future forge qui est en train de se mettre en place. Dans une grande agitation et parmi de nombreux ouvriers, Roublev circule dans le chantier derrière Boris. Ils se heurtent. Boris lui dit : "va-t'en, tu vas te faire amocher." Voilà un autre clédon intéressant. [6] Ces paroles ne sont pas uniquement une mise en garde contre les dangers liés à la présence du gigantesque chantier, elles sont plus que cela, elles constituent une mise en garde, par rapport à la rencontre de Roublev et du Bouffon. En effet, ce dernier croyait fermement que c'est Roublev qui l’a trahi auprès des cavaliers. Effectivement Roublev allait se faire amocher par une hache tenue par le bouffon. Il sera sauvé in extremis par Kyril, l'auteur de la trahison. Roublev écoutant Boris d'une oreille, continua à l'observer.

Plan 332-21 : 2h 36' 20 " : Boris fait battre un apprenti qui ne voulait pas travailler. Il remarque Roublev une seconde fois et il lui dit : "Qu'est-ce que tu regardes ?" Roublev silencieux, reste sur place, il a pitié de lui.

Plan 334-23 : 2h 36' 45 " : Nous avons vu l'hésitation d'Efim, du prince. A présent, nous allons voir l'hésitation de Roublev. Elle se traduit par une suite de comportement corporel :

  • 1. Il est de face, il regarde Boris ;
  • 2. Il tourne de trois-quarts dos à droite quelques secondes ;
  • 3. Il est à présent de dos ;
  • 4. Il continue de tourner à gauche ;
  • 5. Il est de nouveau de face. Il avance à gauche, il regarde en contre-champ un arbre.

En fait, il fait un tour complet sur lui-même, mais il décompose et ralentit par endroit le mouvement circulaire. De plus, il faut distinguer deux mouvements : le mouvement de la tête et celle du corps. Ainsi, quand au deuxième moment, il tourne de trois-quarts à droite, son corps effectue le déplacement, mais la tête reste encore droite, elle est braquée sur Boris. En revanche, au quatrième moment, le corps n'a pas encore esquissé le mouvement de sorte qu'il est de nouveau face à nous. La tête elle, est presque de face. A cela, il faut ajouter un jeu d'opposition entre le visage de face et le visage coiffé, car il porte constamment sa coiffe de moine. C'est un thème récurrent chez le réalisateur, "une personne qui n'est personne", comme nous l'avons vu dans Le Miroir. Dans ce troisième cas de figure de l'hésitation, l'image-réponse est un insert :

Plan 335-24 : 2h 37' 08 " : une courte projection d'une image du passé : en perspective l'arbre que nous avons déjà vu au plan 176. Qu'est-ce à dire ? Pourquoi tout à coup cette image représentant un arbre surgit-elle du passé ? Pourquoi celui-ci particulièrement ? Puisque nous en avons vu tant d'autres ? On se rappelle que la dernière fois où nous avons vu cet arbre, c’est au moment de la rencontre de Roublev et de la sourde-muette. Il est en pleine crise. Il jette son regard par une fenêtre pour avoir l’arbre en contre champ. Est-ce une réminiscence de cette crise passée ? Ou alors l'arbre témoigne-t-il d'une nouvelle régénérescence ?


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Notes et références

  1. Le premier chiffre correspond aux plans du film depuis le début du film, le second chiffre aux plans du film depuis le début de l'épisode.
  2. Dictionnaire Larousse, article : cloche.
  3. (…) "Parce que l'homme trace plus facilement un contour circulaire qu'un contour rectiligne." Leroux, Les origines de l'édifice hypostyle, Edition Altmann.
  4. G. de Champeaux et S. dom Sterckx, Introduction au monde des symboles, Paris, 1966, p. 24.
  5. Chevalier/Gherrbrant, Dictionnaire des Symboles, op. cit.,p. 191.
  6. Clédon qui rappelle l'aventure du cinéaste en Sibérie.


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